M’POKOMANDJI SONNY. L’HOMME ET SON HISTOIRE (Par Félix Yepassis-Zembrou)

 

M’pokomandji Sonny est sans nul doute l’un des derniers géants du basket-ball Centrafricain ayant remporté pour la première fois Yassitoungou. C’était en 1974 lorsque « Les Gars de Boston » comme on les appelait, avaient gagné la 7e édition du Championnat d’Afrique de basket au Centre national de basket-ball, baptisé plus tard du nom de l’un des leurs, Martin Ngoko. Oui, en dépit de leur taille moyenne comparée aux « Nikpa » (sangsues) terrassant un éléphant à l’instar de David et Goliath, les Fauves du Bas-Oubangui ont donné au basket centrafricain ses lettres de noblesse sur l’échiquier continental voire international.

M’pokomandji Sonny, de son petit nom M’Pokson, est né à Bangui le 29 fevrier 1948, une année bissextile. Ce qui fait que son anniversaire tombe tous les quatre ans comme il se plaît souvent à le dire sous forme de boutade à ses proches.

Il est le troisième d’une fratrie de sept enfants dont l’aîné, Théophile Sonny Cole fut l’une des grandes figures du syndicalisme centrafricain au lendemain de l’indépendance. Le père Ambroise Sonny est originaire de Kouango, sous-préfecture de la Ouaka tandis que la mère, Elisabeth Sapki est de Satema, village côtier situé en amont de la rivière Oubangui, dans la Basse-Kotto.

M’pokomandji Sonny a débuté ses études fondamentales à l’école catholique Saint-François Xavier de Fort-Archambault (actuel Sarh) au Tchad où son père était affecté ainsi que de nombreux ressortissants de l’AEF (Gabon, Tchad, Oubangui-Chari, Congo). Notons que là-bas on les appelait les « Congo » parce que la capitale de l’AEF se trouvait à Brazzaville. Il y avait aussi à cette époque à Fort Archambault, Enoch Derant Lakoue, Daniel Nditifei Boyssembe qui eux étaient au collège, et au petit séminaire de Fort Archambault, Joseph Pingama, Alphonse Blague, Philippe Mballa. Durant son séjour au Tchad, il a eu la joie de voir Tempête Mocaf venue de Bangui livrer un match contre une équipe locale. L’on comptait au sein de la formation centrafricaine, les Mberet, Ndoyama, Ledo, etc. Il faut dire que déjà à cette époque, le jeune Sonny cultivait la passion pour le football.

A 12 ans, Sonny Mpokomandji quitte Fort Archambault pour Bangui. Ses parents arrivés peu après en 1960, au lendemain de l’accession des anciennes colonies de l’AEF à l’indépendance, s’établissent au quartier Sango puis à Lakouanga dans le 2e Arrondissement de la ville de Bangui. Après d’infructueuses tentatives d’inscription dans les écoles catholique de Saint-Louis et Saint-Charles, Sonny est admis à l’école Lakouanga, dans la classe de Louis-Pierre Gamba au CM2. Parmi ses camarades il y avait Michel Gouandjia, Gilbert Gombet, Gabriel Gbebri, Marcel Bimale Binet et Éloi Limbio Carpenter. Les deux derniers habitant le quartier Lakouanga s’entraînaient régulièrement avec lui au foot sur le terrain de l’école et au stade municipal en même temps qu’ils jouaient dans les clubs respectifs de Brazza Sport (actuel US Cattin) et Fu Manchu. Chacun voulant qu’il intègre son équipe. L’on dut procéder à pile ou face pour départager. Ainsi Sonny se retrouva avec Limbio Carpenter, Fabien Rekian, Charlie Perriere dans l’équipe minime de Fu Manchu devenu Sporting Moura. C’était aussi l’époque des clubs de jeunes avec notamment les 7 Jumeaux, les Carroussels, les Dauphins, les Supins, et celui de Sonny, les Jaguars dont le président était André Nzapayeke.

En 1961, Sonny Mpokomandji passe avec brio le double concours de bourse et d’entrée en 6e. Dans le même temps, l’ancien dirigeant de son équipe Fu Manchu , frère Claude, est affecté à Berberati (ex-Haute Sangha). Il propose à Sonny de venir avec lui et il l’inscrit au collège Juvenat (une congrégation religieuse qui forme les frères maristes). Dans cette ville provinciale, Sonny se fait de nouveaux amis, notamment les frères Mailli (Lucien et Jean), Mathieu Bisseni, Clément Eregani, Bernard Tabio, etc. Le collège Juvenat possédait son équipe de basket-ball. Le collège Barthélémy Boganda aussi. Ainsi durant l’année scolaire 1967-68, l’équipe de Hit Tresor composée entre autres de Igor Follot, Dieudonné Wazoua Crispino et conduite par son président, François Pehoua, rencontre à Berberati la sélection locale et s’incline devant elle. Un dur affront que François Pehoua voulut coûte que coûte relever, en exigeant un match retour à Bangui lequel sera fort heureusement remporté par son équipe. Pehoua décide alors de retenir et d’intégrer Sonny Mpokomandji, Gaston Koyt, Jean Mailli, Mathieu Bisseni, dans le Hit Tresor Sporting Club à la seule condition qu’ils renoncent aux autres disciplines sportives tels que le football et le volley-ball …)lesquels sont susceptibles d’engendrer des surmenages physiques ou des blessures.

Ayant quitté Berberati en classe de 3e, Sonny Mpokomandji est orienté vers le lycée des Rapides où il fera la Seconde et la 1ère. L’établissement sous la houlette de Mazarin avait une solide équipe de Basket-ball avec Prosper Indo, Claude Nkossi Dambita, Jean Limbassa, André Latou, André Dougouma. Par la suite Sonny Mpokomandji s’inscrit en Terminale au lycée Barthélémy Boganda où il trouve de nouveaux camarades sportifs notamment Guy Darlan, Charles Mballa. En 1968, en pleine année scolaire, il participa au Championnat de l’Afro-Basket de Casablanca au Maroc à l’issue de laquelle la RCA a terminé 3e au classement général avec une médaille de bronze. Une sortie risquée d’autant plus que c’était l’année du baccalauréat.

Finalement, nanti du bac M’pokomandji Sonny retourne au Maroc ce malgré lui, parce qu’après une visite officielle dans ce pays ami, le président Bokassa a décidé d’y envoyer dix étudiants centrafricains parmi les nouveaux « bacheliers ». Sonny Mpokomandji figurant dans la première promotion devrait faire étudier les Ponts et chaussées. Malheureusement cette filière n’existait pas, du moins pas encore au Maroc. Aussi dut-il quitter Rabat par ses propres moyens pour la France en traversant le détroit de Gibraltar et l’Espagne. Avec un léger retard sur le calendrier académique, il a pu néanmoins s’inscrire à l’Université de Perpignan, en faculté des sciences section Maths/Physiques.

Un soir dans les rues de Perpignan, il croise Gilbert Bec, un ancien coopérant et coéquipier de basket-ball à Berberati. Celui-ci l’introduit dans son club, le Basket Olympique Perpignanais (BOP) évoluant en 3e division. A la fin de la saison sportive, le BOP termine deuxième derrière Pau Orthez. Plus tard, sur les recommendations de Sonny Mpokomandji, Mathieu Bisseni alias Belfort, intégre l’équipe de Pau Orthez dont il fera longtemps les beaux jours.

Après Perpignan, Sonny arrive à Montpellier pour préparer une licence et une maîtrise en Electronique, Electroniaue et Automatisme (EEA) à l’Université des Sciences et Techniques dans le Languedoc Roussillon. Là, il retrouve son ami Prosper Indo. Tous les deux évolueront ensemble au Montpellier Université Club (MUC) pour le bonheur des passionnés du basket-ball de la région.

Notons qu’en marge de ses années d’études dans l’hexagone, Sonny M’pokomandji a eu plusieurs fois l’occasion de jouer au basket sous le maillot national dans des compétions africaines. C’est ainsi qu’en 1972 la fédération centrafricaine lui fit appel pour participer à la CAN de Dakar au Sénégal à l’issue de laquelle la RCA sortit 4e derrière le Mali.

Après sa maîtrise en Électronique, Électronique et Automatisme,

Sonny Mpokomandji est admis sur concours à la prestigieuse Ecole Nationale de l’Aviation Civile (ENAC), de Toulouse pour une formation d’ingénieur.

En 1974, son diplôme d’ingénieur en Aviation civile en poche, il rentre au bercail où il retrouve sa famille du basket-ball plus soudée que jamais autour de son dirigeant, François Pehoua, un visionnaire et un fin stratège qui a su hisser le basket centrafricain au sommet de la gloire, ayant à son actif de nombreuses rencontres sous régionales et internationales.

Le 14 avril 1974, une date qui restera dans les annales du basket-ball Centrafricain. Et pour cause, la Coupe d’Afrique des nations remportée à domicile, devant un public en délire. Les « Nikpa » de Boston venaient de terrasser le tenant du titre, le Sénégal. C’était un jour de Pâques et Yassitoungou est née. Fort de cette victoire historique, la RCA a eu l’insigne honneur de représenter le continent africain au championnat du monde de basket-ball à Porto Rico.

Dans la foulée, M’pokomandji Sonny entre de plain-pied dans la vie active, déterminé à servir corps et âme son pays. Il obtient sa première fonction à l’ACESNA après le retrait de la RCA de l’ASECNA voulu par le président Jean Bedel Bokassa.

Mais la tentative du coup d’Etat du commandant de l’Escadrille Fidèle Obrou à l’aéroport international de Bangui-Mpoko le 16 février 1976, changea le cours des choses. Ce jour là, en compagnie d’un fonctionnaire de l’OACI (organisation de l’Aviation civile internationale), Sonny M’pokomandj auscultait la piste d’atterrissage lorsque la grenade lancée par l’un des insurgés tomba aux pieds de Bokassa au moment où il s’apprêtait à embarquer sur un vol à destination de Ndele, dans le nord du pays. La grenade a fumé sans exploser. Plaqué au sol par un élément de sa sécurité, Bokassa se releva et donna un ordre : « Prends le commandement, mon fils ! », aurait-il dit à l’officier debout à ses côtés, en l’occurrence le Commandant Fidèle Obrou qui plus est son gendre, sans se douter que celui-ci était dans le coup. Il s’ensuivit des échanges de tirs nourris entre la garde présidentielle et les putschistes au cours desquels l’un d’entre eux se tira une balle dans la tête. Tandis que le commandant Fidèle Obrou lui, prit la fuite ainsi que son frère jumeau Martin Meya. Il y eut une vague d’arrestations. M’pokomandji Sonny et tous les responsables de l’ACESNA sont convoqués au Conseil des ministres pour besoin d’enquête. Puis sur instruction du Chef de l’Etat, on ferma l’aéroport et les frontières jusqu’à nouvel ordre.

Plus tard, le service des renseignements intercepta une banale lettre postale que M’pokomandji Sonny adressa à un ami en France dans laquelle il fit allusion au putsch manqué et à la vague d’arrestations qui s’en est suivie.

A cause de son prénom « M’pokomandji » à consonance banda, il est arrêté et jugé nuitamment par un tribunal militaire, le même qui avait prononcé la sentence de mort contre les neuf présumés auteurs de la tentative du coup d’état, qualifié de « Coup d’Etat des banda ». Il est condamné à 9 ans de prison ferme et une amende de 300.000 F Cfa de préjudice, payables à Bokassa.

M’pokomandji Sonny passera 7 mois à la prison de Ngaragba parmi les prisonniers politiques, les bandits de grand chemin et autres prisonniers de droit commun. Il sera libéré à la faveur de la grâce impériale accordée aux détenus (plus d’une centaine), à l’occasion du couronnement de Bokassa 1er, le 04 décembre 1977. Les bénéficiaires de la dite mesure ne devront toutefois pas reprendre leurs activités professionnelles dans l’administration publique. Afin de joindre les deux bouts, M’pokomandji Sonny dut donc ouvrir une petite structure pour la vente de boisson appelée « Carrefour » parce que située à l’intersection des avenues de France et Ben-Zvi. Parmi sa fidèle clientèle il y avait des expatriés. Aussi l’un d’entre eux lui proposa-t-il un travail comme chef magasinier à Oubangui-Automobiles, une société concessionnaire des voitures Mercedes, Mitsubishi qui vend également des pièces de rechange.

Confiant à son étoile, il obtient plus tard par l’entremise d’Antoine Pehoua Sabro un poste d’Expert en Transport aérien à la Commission des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) à Addis-Abeba, en Ethiopie. Ce fut de longues années d’expérience enrichissante qui lui ont donné l’occasion de sillonner l’Afrique et le monde.

A la chute de l’Empire en septembre 1979, la RCA réintègre l’ASECNA. M’pokomandji Sonny en devient le représentant mais pour peu de temps, car l’USTC (Union syndicale des travailleurs du Centrafrique) dont le secrétaire général est Théophile Sonny Cole, est dissous par les nouvelles autorités du pays suite à une longue grève des travailleurs du secteur public ayant paralysé toute l’Administration. Du coup, le frère M’pokomandji Sonny est relevé de ses fonctions. Mais la nouvelle traversée du désert fut de courte durée car eu égard à ses compétences professionnelles, la direction générale de l’ASECNA lui confia un nouveau poste à Dakar au Sénégal, et quatre années plus tard à Paris.

En 2000, M’pokomandji Sonny quitte définitivement l’ASECNA après 19 ans de bons et loyaux services et rentre à Bangui où il a créé avec deux de ses jeunes frères, une société de Transit dénommée Mondial Air Fret (MAF).

De 2003 à 2005 il entre au gouvernement en qualité de ministre des Transports et de l’Equipement et ministre résident de la Sangha Mbaere. En 2011, son travail sur le terrain et ses attaches avec la population locale lui permirent d’être élu député de la nation dans la circonscription de Nola.

En 2013, il est nommé Conseiller de transition sous Michel Djotodja puis de 2014 à 2016 de nouveau Conseiller sous la Transition assurée par Catherine Samba-Panza.

Toujours animé par sa passion pour le sport, il a présenté en février 2021 sa candidature à la présidence de la FCBB (Fédération centrafricaine de Basket-ball) avec pour objectif la relance du basket national. Malheureusement il sera battu par Aimé Serge Singa.

M’pokomandji Sonny est marié à Rose Francine (fille de l’un des premiers commissaires de police de Centrafrique, Gaston Ouakara-Sow) et père de quatre enfants (3 garçons et 1 fille). Aujourd’hui cet homme aux mille casquettes, discret, un tantinet timide mais une boule de feu sur l’aire de sport, passe une retraite bien méritée entre Bangui et Paris, partageant avec ses anciens coéquipiers, champions d’Afrique 1974 encore en vie (Prosper Indo, Felicien Ngounio, Dieudonné Koyou), les souvenirs des moments palpitants de gloire où le basket-ball était encore le sport roi en Centrafrique.

Nous saisissons l’occasion pour exprimer nos affectueuses pensées à ces valeureux « Nikpa » entrés dans l’histoire et aujourd’hui disparus, dont les noms magiques ont vibré dans les stades et fait rêver la jeunesse centrafricaine tout entière : Georges Follot « Igor », Jean Bengue « John », Gaston Gambor « James », Marcel Joseph Bimale « Binet », Éloi Limbio « Carpenter », Jacques Serefio « Afrika », Barnabé Sanga « Papa Kimba », Aimé Yesse « Chrisos », Martin Ngoko, Dominique Ganabrodji, etc. « POUR LES FAUVES, BAMARA ! ! ! ». FYZ

 

Felix Yepassis-Zembrou

Le mercredi 22 septembre 2021 06:59

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Note :

Une belle chronique De Félix YEPASSIS ZEMBROU.« Bravo et grand merci aux FIGURES DU BASKET CENTRAFRICAIN. Honneur et fierté. »

Victor Bissengué.