Rétro : Le Paris Musique de Bill Akwa Bétotè (photographe) [du 12 mai au 1er juin 2015; et, du 1er au 29 juillet 2015]
Miriam
Makeba, Fela Kuti, Salif Keïta... Dans les années 80, le
photographe camerounais immortalise en noir et blanc les premiers pas des
artistes africains dans la capitale française. Un travail unique sur un
mouvement d'affirmation identitaire, qui révèle, aujourd'hui, sa dimension
historique. Rencontre.
Bill
Akwa Bétotè grandit à Douala dans les années
Arrivé en
France, le grand Camerounais choisit de vivre de sa passion. A Marseille, où il
réside dans la seconde moitié des années 1970, il apprend les ficelles du métier
aux côtés d'un photographe corse, entre mariages et portraits en studio.
" La photo m'est devenue
indispensable, puisqu'elle me permettait de m'exprimer et de rencontrer des
gens. C'était même le déclencheur de mon lien avec les autres. J'avais trouvé ma
voie".
A Paris, le
jeune photographe s'essaie au packaging, court mariages et baptêmes, publie ses
premiers reportages dans la presse. Bill Akwa Bétotè va se passionner pour la
scène musicale africaine. C'est l'objet du travail "Paris 80 - Pulsations"
exposé au Théâtre Berthelot, à Montreuil, jusqu'au 1er juin, à l'occasion du
festival "Rares Talents" après Babel Med à Marseille en mars. "L'arrivée de la gauche au pouvoir a marqué un
changement social et culturel en France", se
souvient le photographe, "qui a
imposé et fait exploser la notion de culture. Cette émulation n'était pas
uniquement le fait de ce qui se passait dans les communautés. Un travail
politique et social a permis l'éclosion de lieux, et l'arrivée à Paris
d'artistes repérés par le réseau culturel à l'étranger, notamment en
Afrique".
Parmi les
images exposées, le premier concert de Fela Kuti à Paris en 1981, au Studio
Gabriel, avec à ses côtés, au saxophone, son fils Femi. Bill collabore
au Matin de
Paris à l'époque, à Libération et aux
médias panafricains tels qu'Amina,
Bingo, Jeune
Afrique ou Africa International. Avec Philippe Conrath, Rémy Kolpa-Kopoul, Jacques Matinet et
"l'indispensable" Franck Tenaille, ils " quadrillent " les
salles de concert parisiennes, traînent au Farafina, dans les maquis sénégalais
et congolais. "On commençait par
le Nord, La Cigale et L'Elysée Montmartre, avant de redescendre par la Rue
Blanche, jusqu'au New Morning, puis Le Rex, L'Eldorado, Le Palace et L'Opéra
Night dans le quartier des Grands Boulevards, La Chapelle des Lombards à
Bastille. Et le vendredi, à La Main Bleue à Montreuil. C'était le début du
week-end".
En 1985,
Miriam Makeba est invitée par le Conseil général des Hauts-de-Seine à
l'inauguration d'une place Nelson Mandela à Nanterre. "Elle devait faire un discours, mais elle a dit'je
vais chanter' ". Autre instant gravé par le
photographe que l'on retrouve dans l'expo "Paris 80 - Pulsations". Bill Akwa y
présente également des clichés de Manu Dibango, avec Ray Lema, Lokua Kanza,
Guem, Baaba Maal. Au-delà de l'anecdote, et avec le recul, les années 1980 sont
un grand moment pour l'émergence de ces musiques dans le monde. Quand Mamadou
Konté, manager de Salif Keïta à l'époque, signe à Paris avec Chris Blackwell du
label Island pour son premier album, Soro, à paraître en
1987, c'est encore une fois lui qui immortalise
l'événement.
"C'était la naissance
d'un lien entre les cultures du sud. Le 28 rue Dunois était un haut lieu de la
confrontation entre jazz, free-jazz et musiques africaines. Il y avait aussi le
Centre Américain. Et le reggae venait de frapper très fort, donnant aux musiques
africaines une force et une résonance nouvelles. Dans la lignée de musiciens
américains précurseurs, qui ont revendiqué leur identité avec leur musique, ces
courants ont secoué Paris et m'ont donné des pistes sociologiques sur cette
mouvance". Plus que le scoop, c'est l'urgence de
cette scène en effervescence et de cette affirmation identitaire à travers la
musique que Bill Akwa Bétotè cherche, à l'époque, à documenter. Un travail qui
révèle toute sa saveur et sa dimension historique,
aujourd'hui.
"Bill Akwa Bétotè est
un photographe des milieux, un témoin, un sujet, une langue en
lui-même", écrit Jacques Matinet à son sujet.
"Le système n'était pas le même
qu'aujourd'hui, où la communication à outrance a dévalorisé notre travail
", poursuit le photographe. "D'un côté la photo numérique a bouleversé la
pensée des gens, qui font des photos au lieu de profiter de l'instant, de
regarder les monuments ou les concerts. Sur le plan professionnel, le marché
s'est dégradé, a évolué dans le mauvais sens. Les gens pensent que les photos
sont gratuites, ne se rendent plus compte de la valeur de notre
travail".
Pour
autant, le grand Bill, casquette vissée sur la tête, n'a pas perdu la foi en son
métier. Et le temps a sans doute révélé la valeur des images qu'il expose
aujourd'hui. Une passion qu'il s'attelle à transmettre, par le biais d'ateliers,
de master-classes. "Au-delà de la
technique, les photographes peuvent apporter leur expérience, leur vision, leur
talent, et faire partager leur travail. C'est une pédagogie sociale et
culturelle".
Jean Berry
"Paris 80 -
Pulsations", du 12 mai au 1er juin au Théâtre Berthelot à Montreuil dans le
cadre du festival Rares Talents, et du 1er au 29 juillet au Cabaret Sauvage dans
le cadre du Black Summer Festival.
Source: http http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=12992