Monsieur le Secrétaire
général,Messieurs les Présidents,Mesdames et Messieurs les Ministres,Mesdames,
Messieurs, Chers amis,
Les responsabilités d’un homme
d’Etat ne s’achèvent pas avec ses mandats publics. Par-delà l’engagement
politique, demeure l’engagement de l’homme, le sens de ses combats, ce en quoi
il croit.
Si cet homme est français, il est
l’héritier d’une vieille culture révélée à elle-même dans l’éclat humaniste de
Cette culture est singulière mais
elle aspire au vent du large. Ses idéaux sont aussi ceux de nombreux peuples
dans le monde. Toujours à réinventer, ils forment ce que Léopold Sédar Senghor
avait si admirablement perçu comme un appel à une « civilisation de
l’universel ».
Il y a dans l’être même de
Que la liberté progresse, que
l’injustice sociale recule, que la dignité de chacun soit reconnue, c’est tout
le sens de mon engagement public.
Un engagement partagé, je le sais,
par les hautes personnalités qui m’ont fait l’amitié et l’honneur de
m’accompagner dans la nouvelle entreprise de cette
fondation.
Chers amis, vous êtes tous d’ardents
militants de la paix, du dialogue, du développement. Vous jouez tous un rôle
éminent dans vos pays ou à la tête d’organisations internationales. Vous
représentez, ensemble, la diversité d’expérience et de cultures nécessaire à
l’équilibre du monde. Je vous remercie du fond du cœur de votre présence
aujourd’hui à mes côtés. Elle est un encouragement et une
promesse.
Construire une culture du respect
mutuel, tisser des liens entre les hommes, bâtir une société internationale plus
harmonieuse, est une urgence vitale pour l’humanité.
La crise alimentaire ou
l’ébranlement des finances mondiales nous rappellent que notre monde est
confronté à une conjonction de périls sans précédent. Tous les hommes de bonne
volonté doivent se mobiliser pour que prévale la paix sur les facteurs de
guerre, la solidarité sur l’indifférence, le partage sur l’égoïsme, la
responsabilité sur la résignation à la fatalité.
La grande question aujourd’hui est
bien celle du monde que nous allons léguer aux générations futures. C’est aussi
parce qu’il s’agit de l’avenir des Français, de leurs enfants, que j’ai souhaité
prendre toute ma part dans ce combat. Avec eux, je veux rester pleinement
mobilisé.
Alors que la mondialisation a
favorisé une multiplication des échanges et des progrès sans équivalent dans
l’histoire, l’humanité peut-elle poursuivre sa marche sans résoudre les crises
profondes qui l’affectent ?
Depuis la fin des années 1980, un
triple danger s’impose à nos consciences : le danger d’uniformisation de
nos cultures, celui de la destruction de notre
environnement, celui du scandale de la pauvreté. Ce sont là autant de menaces
majeures pour la paix et pour la survie même de notre
planète.
Ces menaces ont leurs
antidotes : d’une part, le respect et la défense de la diversité des
cultures; de l’autre, la conception et la mise en œuvre de modes de
développement durables.
Jusqu’à présent abordés de manière
séparée, ces deux sujets sont, pourtant, intimement liés.
Chaque culture s’est construite dans
un dialogue intime avec la nature qui l’a vu naître. Notre planète est une et
partout différente. Ainsi en va-t-il de l’humanité : dans le génie de leurs
expressions, les hommes, unis par leur condition et leur communauté de destin,
sont pourtant, et heureusement, eux aussi partout
différents.
Le développement technologique a
accéléré la mondialisation. Il a permis d’importants progrès en matière de santé
ou de lutte contre la pauvreté ; dans le même temps, il a mis en péril des
équilibres vitaux pour notre survie collective. Le réchauffement climatique en
est l’exemple le plus spectaculaire.
Au moment où s’impose la nécessité
de repenser la notion de progrès pour réconcilier l’homme et son environnement,
il faut remettre la culture, la diversité des cultures, au cœur du projet même
de l’humanité.
Car on voit bien aujourd’hui que nos
civilisations techniciennes, qu’on y participe ou qu’on en soit exclu, ont créé
d’extraordinaires outils de libération en même temps que de dangereuses
impasses. Nous devons ainsi faire face à une double crise : une crise de la
nature, qui se manifeste par l’appauvrissement des ressources ou l’accélération
des catastrophes naturelles, et une crise de la culture qui se manifeste par la
crispation identitaire, le développement de comportements xénophobes de mépris
et de rejet de l’autre, par la montée, aussi, du terrorisme.
L’une ne se résoudra pas sans
l’autre et les deux contiennent l’enjeu d’un développement qui, pour être
vraiment durable, doit plonger ses racines dans cet humanisme intégral qu’avait
si bien pressenti Jacques Maritain.
Il nous faut donc aujourd’hui
dépasser la simple logique du développement. Il faut répondre à la question du
pourquoi de notre action collective. Qu’est-ce que le développement, sinon
donner du sens à l’aventure humaine ?
Ma conviction est que chaque peuple
a un message singulier à délivrer au monde. Chaque peuple peut enrichir
l’humanité en apportant sa part de beauté, de création, de vérité. L’attention à
la diversité culturelle, c’est le prix donné à la singularité de toute création,
c’est le goût retrouvé des choses, c’est le refus d’un standard qui bâtirait un
univers exclusivement rationnel et parfaitement aseptisé - pour tout dire,
inhumain.
« L’humanité s’apprête à
produire la civilisation de masse, comme la betterave. L’ordinaire ne comportera
plus que ce plat…» : cette mise en garde de Lévi-Strauss, dont le lieu où
nous nous trouvons réunis célèbre la pensée visionnaire, est hélas devenue pour
partie réalité. Si nous ne voulons pas que cette sombre prédiction
s’accomplisse, nous devons agir en faveur d’un monde divers, pluriel, d’un monde
qui garde intacte sa capacité à créer du nouveau, de l’inédit, de la différence.
C’est l’acte même de communiquer au
travers de nos différences qui construit la solidarité de l’humanité, et non pas
l’uniformisation des contenus et des modes d’expression. L’unité de l’humanité
est une dynamique. Elle vient d’un désir éveillé, elle ne s’identifie pas à un
état immuable des choses.
Le combat pour la diversité
culturelle n’est pas la préservation anxieuse ou nostalgique de ce qui vient du
passé. Il est élan, il est mouvement.
Les cultures sont vivantes, elles se
transforment sans cesse en rencontrant d’autres expressions culturelles. C’est
cette inventivité perpétuelle qui les rend si précieuses.
Dans cette perspective, comment ne
pas rapprocher le dérèglement de notre modèle économique et écologique de
l’appauvrissement de notre patrimoine culturel ?
Nous savons qu’avant la conquête
européenne, les Indiens d’Amazonie maîtrisaient une façon de préparer leur
terreau au moyen de micro-organismes qui régénéraient naturellement la terre et
en assuraient la pérennité. En favorisant de cette façon la couverture
forestière, ces mêmes Indiens, dont les connaissances sont aujourd’hui perdues,
ont aidé à la stabilisation du climat sur la planète, climat que la
déforestation massive menace aujourd’hui de dérèglement irrémédiable.
Biodiversité et diversité culturelle
sont liées. Il est connu qu’un milieu naturel appauvri ne saura pas résister à
un virus ravageant l’une de ses espèces : l’hyper spécialisation fera
qu’aucune autre plante ne sera à même de suppléer la plante déficiente, et c’est
l’ensemble du milieu naturel qui périra. A l’opposé, un milieu riche en espèces
résistera beaucoup mieux à l’invasion d’un virus, car une plante voisine pourra
remplir les fonctions de la plante attaquée. Le milieu dans son ensemble sera
capable de survivre.
Culturellement, il en va de
même : une société diverse est plus mobile, plus adaptable, et mieux en
mesure de s’épanouir dans un développement durable.
Ainsi, à travers le dialogue des
cultures, se joue la capacité de l’humanité à mobiliser toutes ses ressources
pour résoudre la crise globale qu’elle connaît aujourd’hui et qui menace jusqu’à
sa survie.
Le défi du « développement
durable » est trop souvent réduit à son contenu technique. Bien entendu,
préserver nos ressources naturelles exige, par exemple, d’édifier des bâtiments
moins dispendieux en énergie, d’investir dans le retraitement des eaux, ou de
continuer la recherche autour de nouvelles sources d’énergie. Ce n’est pourtant
pas suffisant.
Si nous voulons garantir les
conditions d’existence des générations futures et permettre à l’humanité de
poursuivre le cours de son histoire, il nous faut replacer l’homme, sa liberté,
son exigence de justice, à la racine de l’économie.
Il nous faut, tous ensemble, pays
développés, pays émergents, pays en développement, fonder un mode nouveau de
gouvernance mondiale. Un mode nouveau qui prenne en compte l’urgente
satisfaction des besoins de base encore refusée à une part trop importante de la
population mondiale. Un mode de gouvernance qui se projette aussi, au-delà de
cet horizon de simple survie et donne à chaque homme la possibilité d’offrir ce
qu’il a de meilleur.
Nous devons procéder à une
révolution de nos modes de pensée et d’action, une révolution de nos modes de
vie.
Nous devons le faire maintenant.
Demain, il sera trop tard.
C’est ce sentiment d’urgence qui m’a
conduit à orienter les premières actions de ma fondation vers l’accès aux
médicaments, vers l’accès à l’eau, vers la lutte contre la déforestation et la
désertification, vers le dialogue des cultures et tout particulièrement le
soutien aux langues et cultures menacées.
Il s’agit-là de quatre sujets qui
concernent très directement la culture, la sécurité des personnes et des
sociétés, et par conséquent la paix. Quatre sujets qui se répondent car les
premières victimes du défaut de soins, les premières victimes de la sécheresse
ou de l’insalubrité, les premières victimes de la déforestation et de la
désertification, sont toujours les populations les plus fragiles, les plus
menacées dans le respect de leur culture, de leur identité et de ce qu’elles
peuvent apporter au monde.
Quatre sujets qui n’en font
qu’un : celui de parvenir à un développement qui soit vraiment durable, un
développement qui donne tout son sens à l’aventure humaine, un développement qui
ne laisse personne au bord du chemin.
L’accès aux médicaments tout d’abord
est à la fois un problème moral et un problème de sécurité : les pandémies,
qu’elles soient anciennes ou nouvelles, menacent en effet la survie de sociétés
entières dès lors que les traitements préventifs ou curatifs ne sont pas
disponibles à des coûts accessibles au plus grand nombre, dès lors que l’accès à
des médicaments de qualité n’est pas garanti pour tous.
C’est pourquoi
La même problématique prévaut pour
l’accès à l’eau : sans une eau accessible, en quantité et qualité
suffisantes, il n’y a ni vie, ni santé, ni agriculture, ni nourriture. La crise
alimentaire en cours en apporte la tragique démonstration dans les Etats frappés
par la sécheresse ou les inondations. C’est pourquoi la fondation soutiendra, au
Sénégal et au Mali, un plan de renforcement des capacités pour un accès durable
à l’eau potable et à son assainissement en milieu rural, en partenariat avec
Enjeux qui nous concernent tous, la
déforestation et la désertification s’expliquent largement par l’extension
désordonnée des surfaces cultivées alors que la population mondiale continue de
croître inexorablement.
Nous le savons aujourd’hui, et
C’est pourquoi la fondation
soutiendra des actions visant à lutter contre la déforestation et la
désertification, dans une logique de gestion durable des ressources et de
création de revenus pour les populations locales.
N’oublions pas :
l’appauvrissement culturel s’accompagne, la plupart du temps, de déclassement
social. Le combat pour la diversité est aussi un combat pour la dignité et un
combat pour la paix : quand une culture est niée dans ce qu’elle peut
apporter à l’universel, la violence n’est jamais très loin.
C’est pourquoi ma fondation
apportera une attention toute particulière au sujet des langues et des cultures
menacées d’extinction.
Pensons-y : sur les quelque
6000 langues parlées aujourd’hui dans le monde, 90 % risquent de disparaître au
cours de ce siècle. Est-ce cela que nous voulons ? Un monde qui
s’appauvrirait et ne saurait plus préserver que ce qui est immédiatement
rentable ?
Pour ma part, je le refuse.
J’appelle l’ONU et l’UNESCO, qui ont proclamé l’année 2008 « année
internationale des langues », à la tenue d’un Sommet sur ce sujet, pour
envisager les solutions à la disparition de ce trésor commun qu’est le
patrimoine linguistique de l’humanité. Grâce aux nouvelles technologies, les
solutions existent. Mettons-les en œuvre. Avec le programme qu’elle lance et
dont les rencontres internationales qui se tiendront ici même cet après-midi
seront le premier acte, la fondation entend jouer tout son
rôle.
A travers les projets qu’elle a
choisi de soutenir,
Face à des problèmes globaux, ces
projets ont l’ambition d’apporter des éléments concrets de réponse, duplicables
ou transposables selon la diversité des situations rencontrées.
Le temps nous est
compté.
Si chacun se mobilise à l’image de tous mes amis ici réunis, à l’image de Kofi Annan et du Président Chissano, de Jean Chrétien, de mon frère Abdou Diouf, de Bronislaw Geremek, d’Enrique Iglesias, ou de Federico Mayor, à l’image de cette combattante inlassable pour les droits des minorités qu’est Rigoberta Menchu, à l’image de Youssou N’Dour, de Rajendra Pachauri, d’Andrés Pastrana, d’Andrea Riccardi, d’Ismaïl Serageldin, à l’image du Président Vall, grande figure de la démocratie.
Alors peut-être
pourrons-nous bâtir, tous ensemble, dans le respect de l’identité de chacun et
l’ouverture à l’autre, cette société mondiale de justice et de paix qui doit
être notre seul horizon.
Je
vous remercie.