SOMMAIRE DU DOSSIER
I - PREAMBULE
II - L’OUVRAGE (Résumé, extraits, textes de présentation)
1 - Résumé
2 - Extraits
Extrait 1 : L'image des Pygmées d'après les sources historiques anciennes
Extrait 2 : La désignation "Pygmée Aka" et "Pays des esprits"
Extrait 3 : Le Pygmée ou "Négrille" : à propos des stéréotypes raciologiques
Extrait 4 : Les citoyens Aka témoignent et racontent
Cartes et légendes
III – LE COMPTE RENDU DE
I - PREAMBULE
Dans la dernière livraison de L’Homme, Revue française d’anthropologie (N° 179 - Juillet/Septembre 2006, pp. 227-235), l’africaniste Luc BOUQUIAUX, chercheur en « ethnolinguistique » au CNRS propose sous le titre caricatural et tendancieux « Les Pygmées Aka, victimes de l’afrocentrisme ? » un compte rendu de l’ouvrage de Victor BISSENGUE 1 intitulé « Contribution à l’histoire ancienne des Pygmées : l’exemple des Aka ». D’entrée de jeu, notre critique s’y livre à des attaques rageuses contre d’autres chercheurs africains coupables de travailler dans le sillage du Professeur Cheikh Anta DIOP. Du reste, ce dernier ainsi que son principal disciple Théophile OBENGA sont affublés du qualificatif de « pères fondateurs » d’une prétendue « idéologie afrocentriste » (p. 227). La suite du texte sur près de cinq pages (pp. 227-231) s’écarte délibérément des idées exposées dans l’ouvrage incriminé de Victor BISSENGUE pour s’adonner à un véritable règlement de comptes dont la cible privilégiée n’est autre que le « présentateur » supposé de l’auteur, l’égyptologue Jean-Charles Coovi GOMEZ (cf. « Considérations et remarques préliminaires »). Soulignons au passage que la préface extrêmement encourageante et constructive de feu Pierre KALCK, juriste, historien, ancien administrateur civil en Oubangui Chari (République Centrafricaine), membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, est purement et simplement passée sous silence par Luc BOUQUIAUX dont l’intention à peine voilée est d’opposer les chercheurs africains indépendants comme Victor BISSENGUE qu’il qualifie indistinctement d’« afrocentristes » à tous les spécialistes européens, accréditant ainsi le soupçon d’un soi-disant antagonisme racial. Il oublie ce faisant que des chercheurs aussi éminents que Jean LECLANT, Hartwig ALTENMULLER, Gunther BRAUER, pour ne citer que ceux-là, considèrent de nos jours comme largement fondée la thèse de l’origine africaine de l’humanité et de la civilisation défendue, arguments scientifiques à l’appui, par les Professeurs Cheikh Anta DIOP et OBENGA au cours du célèbre et désormais inoubliable Colloque international d’Egyptologie du Caire (1974).
Victor BISSENGUE a voulu pour sa part insister sur l’extraordinaire vitalité de la culture des Pygmées en général et des Aka en particulier. Sa contribution à la reconstitution de pans entiers de l’histoire immémoriale des Pygmées Aka déjà connus des Pharaons d’Egypte depuis la plus haute Antiquité demeure irremplaçable. Cette entreprise fort louable mais néanmoins vilipendée par Luc BOUQUIAUX a été encouragée en ces termes par Pierre KALCK : « Il faut se réjouir qu’en cette fin du vingtième siècle, l’identité et l’étrange force culturelle de la population pygmée se trouvent, enfin, révélées, étudiées, présentées » (p. 16). En soutenant non sans une certaine légèreté que l’étude de lexicologie comparée de Victor BISSENGUE « ne sert strictement à rien, sinon à enfoncer à grand fracas une porte ouverte » (p. 234), Luc BOUQUIAUX se méprend d’une part sur le caractère fécond des comparaisons lexicologiques (cf. les travaux d’Emile BENVENISTE), et d’autre part sur la validité et la solidité d’une investigation directement puisée à la source. Il est patent que contrairement à son critique, Victor BISSENGUE est lui-même locuteur des langues dont il procède à l’analyse lexicale. Le problème soulevé par cette controverse purement tendancieuse est celui de l’incompétence notoire de certains chercheurs africanistes qui ignorent tout des langues dont ils se disent « spécialistes », tout en donnant des leçons de transcription, de traduction et même d’interprétation aux Africains.
On s’étonne dans ces conditions que Luc BOUQUIAUX s’évertue de façon autoritaire et quelque peu paternaliste à fournir les « conseils » suivants aux chercheurs africains : « On ne s’improvise pas linguistes et si on veut utiliser des arguments linguistiques, on s’adresse à des spécialistes (sic). Quand « on consacre une partie de son activité à la défense des cultures africaines » (p. 13), on se soucie d’abord de noter leurs langues avec respect en rendant compte correctement de leurs particularités. Enfin on ne fait pas appel à de prétendus garants qui auraient « pris la peine de lire le manuscrit et apporté les critiques nécessaires » (p. 9) alors qu’ils n’ont aucunement lu et encore moins approuvé le contenu, mais seulement donné leur caution pour la transcription du sango (communication personnelle de Marcel Diki-Kidiri). » (p. 234)
Ces allégations appellent de notre part trois principales remarques :
1 – Les spécialistes de la linguistique historique comparative (Meillet, Benveniste, etc.) soulignent avec force que cette méthode largement éprouvée dans le domaine des langues indo-européennes requiert une compétence spécifique qui échappe à bien des experts en linguistique générale. M. BOUQUIAUX qui ne maîtrise apparemment aucune des disciplines considérées se permet lui-même de se ranger au nombre des « spécialistes » que tout africain qui désire comparer les langues du continent noir devrait nécessairement solliciter. Il ignore ce faisant que le recours à des preuves d’ordre linguistique dès lors qu’elles sont solidement étayées est légitime dans un travail de reconstruction historique. C’est ainsi que s’impose pour la validation du travail entrepris par Victor BISSENGUE l’utilisation de données lexicologiques dûment établies.
2 – En revanche, l’« ethnolinguistique » dont se réclame M. BOUQUIAUX demeure une discipline au statut épistémologique incertain pour ne pas dire douteux. Rappelons à la suite de Ferdinand DE SAUSSURE et de ses continuateurs sérieux que toutes les langues du monde sans aucune exception appartiennent à une tradition donnée, et peuvent à ce titre faire l’objet d’une étude scientifique rigoureuse. Point n’est besoin de passer un demi-siècle à décrire des langues réputées exotiques, pauvres et relevant exclusivement du registre de l’oralité.
3 – C’est le lieu de rappeler que M. BISSENGUE ne s’est jamais abrité derrière une « caution scientifique » quelle qu’elle soit puisqu’aussi bien son travail de comparaison lexicale ne porte pas exclusivement sur la langue Sango dont M. Marcel DIKI-KIDIRI est un spécialiste incontesté et incontestable. Pour son propos, et pour le but visé par son travail, M. BISSENGUE n’avait nullement besoin de faire appel à de « prétendus garants ». Le recours à une mystérieuse communication ou correspondance personnelle entre Luc BOUQUIAUX et Marcel DIKI-KIDIRI est donc sur ce point précis qui nous préoccupe sans objet et de nul effet. Du reste, le procédé qui consiste à opposer les chercheurs africains les uns aux autres pour ensuite les discréditer comme semble le faire Luc BOUQUIAUX est désormais connu. Il est évident que loin de faire preuve d’un unanimisme de tous les instants les Africains ont parfois des points de vue divergents, ce qui est tout de même normal dans le cadre d’un débat intellectuel ouvert. Ceci n’empêche en rien le respect mutuel et la courtoisie, autant de vertus cardinales que semble ignorer Luc BOUQUIAUX. Se pose ici la question de la phénoménologie de l’inauguralité dont il convient de citer quelques traits significatifs : « [...] L’impossibilité d’inaugurer dans la recherche sans une rupture épistémologique par rapport aux paradigmes existants. Or cette rupture n’est pas possible avec la seule connaissance enseignée par l’Establishment qui défend les paradigmes institués. Il s’agit d’une connaissance travaillant à la reproduction des valeurs établies. [Nominalisme scientifique]. […] L’inauguralité s’ouvre alors comme la seule réponse au péril de l’exclusion. Inaugurer est alors d’autant plus nécessaire pour la science qu’elle crée des théories capables de se concurrencer et d’assurer son incessant procès. Ainsi la question de l’inauguralité convoque d’abord le retour constant de la science sur elle-même, condition de sa survie. 2. »
Dans un souci d’objectivité, de transparence et d’équité, nous mettons ici à la disposition des internautes intéressés par le devenir des « Etudes africaines » les principales pièces du dossier tout en précisant que conformément aux règles déontologiques consacrées par l’usage, les chercheurs africains mis en cause par les écrits hargneux mais dépourvus de toute pertinence scientifique de Luc BOUQUIAUX se réservent naturellement le droit de fournir les réponses qui s’imposent. On doit signaler enfin qu’une « critique » similaire formulée sans preuves ni retenue par Luc BOUQUIAUX contre les travaux linguistiques du Professeur Théophile OBENGA avait fait l’objet d’une réplique foudroyante et argumentée qui est restée curieusement sans suite (cf. ANKH N° 4/5, 1995-1996 « Réponse aux réflexions de M. Luc BOUQUIAUX »).
1. Contribution à
l'histoire ancienne des Pygmées : l'exemple des Aka
par Victor BISSENGUE (Paris, Editions L’Harmattan, Collections Etudes
africaines, 2004, illustrations, 205 pages).
L'auteur Victor BISSENGUE est diplômé d'Etudes
Approfondies en science de l'éducation et de la communication. Il possède un
Doctorat de 3e cycle d'études de Cinéma, Télévision, Audiovisuel. Auteur de
quelques articles de presse et autres publications, il est témoin et
observateur du "phénomène Beaubourg" au Centre National d'Art et de
Culture Georges Pompidou (CNAC GP) à Paris depuis 1975.
2.
M’BOKA Kiese, « Phénoménologie de l’inauguralité » in Hommage à Cheikh Anta Diop, Paris,
Editions Paari, 2004, p. 141
II
- L’OUVRAGE (Résumé, extraits, textes de présentation)
Contribution à
l'histoire ancienne des Pygmées : l'exemple des Aka
Victor BISSENGUE (Paris, Editions L’Harmattan, Collections Etudes africaines, 2004, illustrations, 205 pages)
1 - Résumé
Les Pygmées sont considérés comme
des descendants de très anciennes populations localisées au paléolithique dans
les régions des Grands Lacs : le Rwanda, le Burundi, le Kenya,
L'histoire des Pygmées fascine et trouble aussi bien les spécialistes que les populations qui se différencient d'eux ou qui s'en approchent par curiosité, afin de vérifier le bien fondé des nombreux clichés accumulés depuis la nuit des temps. Cependant pour certains esprits attardés, il s'agirait toujours d'êtres imaginaires ou surnaturels, d'animaux, de nains, etc. et d'autres s'ingénient encore à nier purement et simplement leur existence. Ils apparaîtront enfin comme le possible révélateur de l'état du primitif paléolithique ou "le chaînon manquant". Pourtant, on a bel et bien à faire à des hommes dotés de toutes les capacités qui les élèvent au-dessus de l'animal. Au demeurant, les connaissances dont ils font preuve notamment dans les domaines de la biomédecine, de la zoologie, de la cosmogonie, les placent parmi les meilleurs experts. Les Aka furent également des acteurs économiques de premier plan qui prirent largement part aux échanges commerciaux trans-nilotiques avec les populations voisines.
Dans l'état actuel de nos connaissances, toute l’historiographie, toute la science, replacent les Pygmées dans le foyer de départ, c’est-à-dire parmi l’homo sapiens sapiens. Linguistiquement et culturellement, ils ne peuvent pas être distincts des autres habitants de l’Afrique. Ils ont toujours développé des relations étroites, surtout économiques, partagé leurs connaissances médicales (pharmacopée, soins, guérison), avec leurs voisins. C’est auprès d’eux, et depuis plus de trois mille ans, que les botanistes, les écologistes, les sociétés forestières, les musiciens, les missions scientifiques, les chasseurs et bien d’autres voyageurs ainsi que des chercheurs de "denrées rares" (animaux et peaux d’animaux, ivoire, or, bois, etc.), se tournent pour recueillir de précieuses informations.
Les Pygmées sont les dépositaires d'un grand nombre de connaissances qui témoignent d'une rare maîtrise des éléments constitutifs aussi bien de la nature que de l'univers. Ils sont cependant considérés comme des reliques de populations primitives qu'il s'agirait d'étudier, de sauver, de préserver, d'assimiler, de visiter.
Ils rencontrent ainsi des modes de vie nouveaux qui se traduisent par des problèmes d'éducation, de formation, de travail, de santé, d'urbanisation, d'évangélisation, mettant en péril leur identité et leur survie. Les Pygmées ont pris conscience de leur situation actuelle; en effet, ils redoutent plus que tout la négation de leur citoyenneté et la tendance à vouloir les infantiliser et les diriger. Ils ont leur mot à dire et le clament tout haut.
2 - Extraits
Extrait 1 : L'image des Pygmées d'après les sources historiques anciennes
Le Pygmée n'est pas dévalorisé dans la tradition. Considéré comme surnaturel et mystique, tout souverain des temps anciens veut l'avoir près de lui. Il accède aux objets sacrés pour les temples et les trônes. La simple présence permet de concilier la grâce du Très Haut. Cette présence préserve le roi des esprits maléfiques. C'est aussi pour contenir les forces maléfiques, par conséquent, dangereuses.
La vertu et le bonheur
d'accueillir le Pygmée Aka ne sont pas perçus par
tout le monde, y compris Herkhouf qui attend du
Pharaon des récompenses bien plus importantes que celles obtenues par l'envoyé
du Pharaon Isesi Djedkarê
vers la fin de
De tout temps, les Pygmées ont
occupé une fonction particulière auprès des souverains. Ils représentent pour
le Pharaon, des intercesseurs auprès de la puissance divine et la force
cosmique. On les retrouve donc à la cour comme "danseurs de Dieu",
musiciens, chanteurs, imitateurs, comme ceux qui éloignent les génies
maléfiques qui affaiblissent le roi. Leur musique réjouit le cœur du pharaon,
tout comme l'on dit "la musique adoucit les mœurs". Ils sont par
ailleurs employés dans des ateliers d'orfèvrerie. Des auteurs comme Leca et Montet rapportent que les
premières opérations étaient accomplies par les hommes de taille normale alors
que les travaux de finition, le polissage, le montage, étaient réservés aux
nains. Ces orfèvres venaient de
Lalouette note dans ses Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte, les « Egyptiens avaient remarqué que les Pygmées qu'ils connaissaient (et qui étaient très recherchés par la cour d'Egypte, pourvus d'honneur: l'un d'eux fut maître de la garde-robe de Pépi II) pratiquaient des danses rituelles au lever du soleil; pour cette raison ils furent associés au culte solaire.»
Serge Bahuchet fait observer par "L'invention des Pygmées" : «Pas plus que Schiaparelli, Maspéro ne traduit "danga" par ''Pygmées'', mais il apporte la présence du Danga dans une formule funèbre des Pyramides, où celui-ci représente l'âme du défunt Pharaon qui va danser devant Osiris ».
Il importe de noter que le terme égyptien ''DNG'' (deneg) traduit par ''nain'' et rapporté pour ''Pygmées'' (mot grec signifiant haut d'une coudée), ne rend pas la réalité de l'existence de cette population reconnue et révélée par les textes anciens et actuels. Le mot nain se dit "NMW" (nemou). Il n'y a pas de confusion possible.
Extrait 2 : La désignation "Pygmée Aka"
et "Pays des esprits".
La lettre du Pharaon Neferkarê Pépi II envoyée à Herkhouf fait apparaître, au sujet des Pygmées, une expression égyptienne sur laquelle nous nous interrogeons : « Pays des Esprits ».
L'étymologie
et l'approche de la conception cosmogénétique de
l'homme chez les Egyptiens permettent de suggérer une explication religieuse.
Le composé humain est constitué de neuf entités ontologiques (1). Considérons toutefois les quatre éléments suivants qui nous semblent les plus essentiels :
le Khat h3t ou corps corruptible
le Akh 3h qui est l'esprit immortel et lumineux du Défunt;
le Ba b3 l'âme volatile protectrice du Défunt;
le Ka k3 la force vitale, le réservoir des énergies inépuisables.
L'ibis à crête représente, on l'a vu, « la puissance spirituelle lumineuse et inépuisable, l'esprit des défunts ».
La transcription du signe hiéroglyphique étant :
il rend le son akh; le signe censé représenter le "placenta" serait en fait le tamis (o) qui fait fonction de complément phonétique.
Nous avons par ailleurs l'expression :
T3 3hw « le pays des esprits », l'Afrique profonde, qui coïncide avec T3 Ntrw « le pays des dieux ».
Le nom Aka, qui s'applique aux Pygmées, se rapporte à l'idée que les Egyptiens de l'époque pharaonique se faisaient d'eux. Neferkarê Pépi II désigne le Pygmée et le situe dans un espace géographique en ces termes : « danseur des dieux qui réjouit le cœur », « Pays des Arbres », «Pays des Esprits» (T3 3hw).
La divinité apparentée aux Pygmées appelée Bès fut attestée dans les textes égyptiens dès l'Ancien Empire.
Le terme Aka provient vraissemblablement de la racine 3h qui est le radical insécable en Egyptien ancien et dans de nombreux idiomes négro-africains (2). On aurait donc le schéma suivant: 3h (AKH) qui donne "AKA", et implique "BA(Y)AKA" c'est-à-dire "Les AKA". La particule préfixale BA exprime le pluriel en BANTU, comme d'ailleurs dans ce même terme : NTU = homme / BA-NTU = les hommes. Bayaka étymologiquement signifierait "les esprits". Ce qui revient à écrire :
3h (AKH) -> AKA => BA (Y)AKA => Les AKA.
« Les Egyptiens connaissaient les Akka sous le nom qu'ils portent encore, car Mariette-Pacha l'a lu à côté du portrait d'un nain sculpté sur un monument de l'ancien empire ». [Quatrefages, Les Pygmées, 1887, p. 25] Ce passage cité par Quatrefages de Bréau renvoie à l'anthropologue (et docteur en médecine) Hamy Ernest-Théodore dans son - "Essai de coordination des matériaux récemment recueillis sur l'ethnologie des Négrilles ou Pygmées de l'Afrique équatoriale" (3).
Quatrefages souligne l'importance de la première rencontre d'un explorateur européen avec le Pygmée connu sous le nom "Akka", tant décrit ou dépeint à travers le temps : « C'est Schweinfurth qui a eu l'honneur de démontrer ce que le mythe d'Homère cachait de réalité, et de justifier les paroles d'Aristote... C'est à la cour de Mounza qu'il découvrit cette race naine, encore appelée dans le pays du nom d'Akka que Mariette avait lu à côté du portrait d'un nain, sur un monument de l'Ancien Empire » (1887 : 253).
Le voyageur venu d'Europe qui s'est approché le plus près des Pygmées fut en effet Schweinfurth. Il s'est rendu à la cour de Mounza et a rencontré le Pygmée Aka dont il parle dans son ouvrage. (Au cœur de l'Afrique: 1868-1871. Voyages et découvertes dans les régions inexplorées de l'Afrique centrale) :
« J'ai enfin sous les yeux une incarnation
vivante de ce mythe qui date de milliers d'années. Sans perdre de temps, je
commence son portait... Nous y arrivons si bien qu'au bout de deux heures le
Pygmée est esquissé, mesuré, festoyé, comblé de cadeaux et soumis à un minutieux
interrogatoire.
« Son nom est Andimokoû; il est chef d'une
petite colonie établie à une demi-lieue de la résidence royale. J'apprends de
lui-même que le peuple auquel il appartient s'appelle Akka.
«J'ai su plus tard que ce peuple habite, au sud des Mombouttou (Mangbettou), une grande province située à peu près entre le premier et le deuxième degré de latitude nord. Une partie de la nation reconnaît l'autorité de Mounza qui, jalouse, d'accroître la splendeur de sa cour par tous les moyens possibles, a contraint plusieurs familles d'Akka à venir demeurer auprès de lui. » [1875, Tome 2 : pp. 110, 113]
Une approche de l'étymologie du nom Akka est donnée par Simha Arom et Jacqueline M.C. Thomas:
« Le terme semble être, sinon le nom propre
des Pygmées, du moins un qu'eux-mêmes s'attribuent volontiers et qui fut repris
souvent par les voisins pour les désigner; il remonte à l'antiquité égyptienne
et se retrouve aujourd'hui en usage depuis le nord-est du Zaïre jusqu'au sud du
Cameroun. Le vrai nom des Pygmées de
Paul Monceaux rapporte un témoignage encore plus ancien :
« A Beni-Hassan en
Egypte, sur une tombe de
Des voyageurs,
des explorateurs, des scientifiques, ont rencontré les "hommes à petite
taille". Qu'ils se dénomment Aka, Babenzélé, Bayaka, Bambuti, ou qu'ils portent des noms attribués par d'autres
peuples, ou encore des sobriquets, les Pygmées existent. Ce sont des hommes et
des femmes dont les descendants sont venus, à Paris à
___________________________________
1 - Les entités ontologiques sont au nombre de neuf
: Khat, Akh, Ba, Ka, Khaibit,
Sekhem, Ren, Ib, Sahou.
2 - La contribution de Jean-charles
C. Gomez (philosophe, historien) nous a été précieuse pour l'hypothèse sur
l'étymologie de AKA et la démonstration linguistique. [cf. "La
signification du vocable AKHU en Egypte ancienne et en Afrique noire
contemporaine" in Ankh N°3, juin
1994, pp. 83-113, note infrapaginale - et plus
explicitement la note infrapaginale, p. 94]
3 - Document rare mais disponible à
4 - La venue des Pygmées Aka
à Paris (Grande Halle de
Extrait 3 : Le Pygmée ou
"Négrille" : à propos des stéréotypes raciologiques
A propos de la prétendue "race Négrille" et de ses caractères bio-somatiques héréditaires, il importe de reproduire intégralement le texte ci-après. [HAMY, 1879]
Ces allégations pseudo-scientifiques se passent de commentaire en ce sens qu'elles nous renseignent de façon édifiante sur les préjugés racistes dont plus d'un "anthropologiste" de l'époque coloniale avait peine à se défaire.
Le périodique français, Le Monde diplomatique (août 2000), rend compte du
phénomène dans ses colonnes sous le titre "Ces zoos humains de
Au demeurant, de nombreux travaux ont été consacrés aux Pygmées. Nous nous limitons à quelques cas remarquables qui relèvent des domaines à la fois ethnologique, anthropologique, génétique et théologique.
Des auteurs comme le Père Schmidt affirment que les Pygmées appartiennent à une race unique, la plus primitive de toutes, qu'ils constitueraient la souche la plus ancienne, souche qui se serait ultérieurement différenciée, vers l'Est en donnant naissance aux Négritos et, vers le Sud en formant les Bochimans; d'autres n'admettent pas que l'on considère les Pygmées comme les plus anciens représentants de l'humanité; ils attribuent la petitesse de la taille à leur genre de vie dont le caractère par la suite s'est radicalement fixé.
Dans une publication parue à Moscou, Les races humaines, Mikhail Nestourkh rapporte :
« Le problème de l'origine des Pygmées présente un grand intérêt tant
pour l'anthropologie ethnique (science qui a pour objet la genèse des races)
que pour la doctrine de l'anthropogenèse en général.
« Depuis longtemps, les anthropologues se livrent bataille autour de
cette question. Les savants réactionnaires veulent voir les Pygmées la plus
ancienne et la moins évoluée des races humaines, une espèce presque simiesque
que l'histoire a vouée à l'extinction.
« Les études menées à ce sujet par l'anthropologie soviétique ont
entièrement démontré l'inanité scientifique et le fond réactionnaire de cette
thèse. Les groupes occidental et oriental des Pygmées ont tous les deux une
vitalité remarquable et ne présentent aucun signe de dégradation. Biologiquement,
ils ne le cèdent à aucun type anthropologique et sont aussi aptes que les
autres au progrès culturel.
« En même temps, les anthropologues soviétiques ont soumis à une critique serrée l"hypothèse qui prétend que les Pygmées sont les ancêtres de l'humanité… D'une façon générale, les Négrilles ressemblent beaucoup à leurs voisins noirs : ils ont comme eux la pigmentation le plus souvent foncée, la chevelure crépue, le nez très large et le front bombé.» [Les races humaines, Moscou, pp. 83-84].
Bernard Heuvelmans
avec Les bêtes humaines d'Afrique
relate les "découvertes" de Gaspar Mollien qui visitait en 1818 le Tenda Maïe dans le Fouta-Djallon en Guinée. Ce dernier découvrit aux sources
de
« Il put donc encore, sans craindre le ridicule, donner à la légende des Pygmées une explication naïve, que bien des faits peu connus démentaient pourtant. Après avoir, dans son discours sur les révolutions du globe (1832), pourfendu sans merci "les cynocéphales, les sphinx et les satyres des anciens naturalistes" qui ornaient les monuments d'Egypte, il se contenta d'ajouter négligemment : L'habitude d'y représenter dans un même tableau des hommes de tailles très différentes - le roi ou le vainqueur gigantesque, les vaincus ou les sujets trois ou quatre fois plus petits - aura donné naissance à la fable des Pygmées.» [cf. Les bêtes humaines d'Afrique, Paris, Plon, page 378]
Au nom de la science, des populations africaines - tout particulièrement les Pygmées et les Bochimans - considérées comme le "chaînon manquant" de l'évolution entre l'animal et l'homo sapiens sapiens subirent des traitements les plus humiliants, les plus sordides et les plus inhumains. Elles connurent les tests de vérifications anthropologiques, les dissections en laboratoires, l'empaillage, des exhibitions, des expositions in situ (foires, cirques, zoos, musées, expositions universelles ou internationales). Les points forts se situent autour des années 1870, 1900 et 2000 en Allemagne et en France. L'Autre devient le sujet d'études et d'expositions; des disciplines telles que l'anthropologie physique, l'ethnographie, la raciologie étaient alors à la mode. Ce qui conduit à l'exploration systématique des régions et des zones (colonies, dépendances) où demeurent des "sauvages", des "populations purement naturelles". Les spectacles ethniques ou exotiques y compris la reconstitution en métropole des villages, des familles entières, et les fruits de conquêtes, connurent de francs succès à Paris, à Londres, à Bruxelles. Certains cas firent scandale et prirent une dimension internationale.
1 - Guy Philippart de Foy et Serge Bahuchet soulignent dans Les Pygmées d'Afrique centrale les préoccupations de certains auteurs qui ont voulu approcher les Pygmées :
Les premiers chercheurs se lancèrent à la découverte du "degré le plus ancien accessible à nos connaissances de l'échelle de l'évolution de l'homme". D'autres perspectives furent envisagées comme certaines "vérifications" théologiques sur le "monothéisme" primitif prêté aux Pygmées et sur la pratique de leur monogynie, preuve de leur pureté originelle.
Le Pape Pie XI lui-même subventionna en 1923 une expédition en Centrafrique, menée par les R.P. Schebesta, Schumacher et Vanoverberg, pour l'étude des groupes Pygmées.
Le R.P. Schmidt, directeur du
Musée Pontifical du Latrau, fondateur de
l'"Ecole culturo-historique'' de Vienne et de la
revue Anthropos
fut à l'origine de nombreuses expéditions qui ont sillonné différentes parties
du monde; on retrouve le R.P. Schebesta pour les
Pygmées de l'Ituri et les Sémangs de Malaisie, le
R.P. Schumacher pour les Pygmées du Rwanda, le Docteur Lebzelter
pour les Bochimans, les RR. PP. Koppers et Gusinde
pour
2 - À Saint Louis aux Etats-Unis d'Amérique, en 1904, il fut organisé l'Exposition Universelle où l'anthropologie tînt une place majeure. L'homme devait se pencher non seulement sur ses propres inventions et productions, mais aussi se mettre en scène à travers des échantillons représentatifs d'êtres dits ''primitifs''. on retrouva parmi ceux-ci, des Esquimaux d'Alaska, des Aïnous du Japon, des Aettas des Iles Philippines, des Apaches d'Amérique du nord, des Zoulous d'Afrique australe, des Baloubas et des Pygmées du Congo. Cependant, «l'homme moderne, occidental, était dispensé d'étude in vivo». (cf. p. 28) Mais l'histoire la plus frappante fut celle de l'un des douze Pygmées appelé Ota Benga qui a été tour à tour, captif au Congo, compagnon de l'aventurier et missionnaire Samuel Phillips Verner, sujet de curiosité au Muséum d'histoire naturelle de New York.
Ota Benga (Binga) dont l'homonymie veut dire en langue bantu et précisément en AKA "bienvenue, ami", né au Congo (ex Belge) en 1881 avait une femme et deux enfants. Capturé en 1904, enchaîné, mis en cage par le chercheur évolutionniste, il fut présenté au public avec d'autres espèces de singes - des chimpanzés, un gorille appelé Dinah et d'un orang-outan appelé Dohung - comme "le lien transitionnel le plus proche de l'homme". Le directeur évolutionniste du zoo, le Dr William T. Hornaday prononçait des discours pour dire à quel point il était fier d'accueillir cette forme transitionnelle dans son zoo et traitait Ota Benga exactement comme n'importe quel animal. Il fut ainsi exhibé avec les singes mis en cage au zoo de Saint Louis, connut l'orphelinat et l'errance, servit d'attraction dans des foires. On pouvait lire sur une pancarte l'inscription suivante :
« OTA BENGA, Pygmée africain / Age: 28 ans. Taille:
Les invités à la manifestation qualifiée d'''université de l'homme'' subirent par ailleurs le ''supplice des essais pour sauvages'' et les ''Journées de l'anthropologie''. Ce qui les conduisit à se soumettre tout au long de l'été "aux attouchements de la foule". Ces hôtes «étaient préparés au contact des dynamomètres, sphygmomanomètres, céphalomètres, esthésiomètres, pantographes, sphygmographes et mètres à ruban». Mais il fallait attendre le premier décembre 1904 pour que la foire fermât définitivement ses portes. A partir de ce moment, les invités du département d'anthropologie, y compris les Pygmées, pouvaient porter des vêtements plus appropriés au climat. Pour les spécialistes, les vêtements « auraient gêné les fonctions normales de la peau nue, ce qui aurait entraîné des conséquences graves sinon fatales » Les hôtes quittèrent enfin Saint Louis. Après mille péripéties, les Pygmées regagnèrent leur pays où l'on retrouva leurs traces en mai 1905 sur le Kassaï au Congo.
Ota Benga passe douze ans aux Etats-Unis (1904-1916). Traqué, fatigué, démuni et sans espoir de trouver un billet de bateau pour l'Afrique, il décida un jour de construire lui-même le pont entre sa terre natale, son passé et son imaginaire à travers des danses et chants rituels. Sentant le moment de partir proche, Ota Benga chasse les enfants qui avaient pris l'habitude de venir jouer avec lui. Il se déshabille, ne gardant qu'un pagne, se retrouve maintenant seul autour d'un grand feu qu'il a fait. « Alors que s'étirent les ombres de l'après-midi, il va chercher le revolver caché dans le foin de la remise à voitures, et, sans cesser de chanter, pointe contre son cœur et tire. » [cf. p. 271] Le corps d'Ota Benga repose désormais à Lynchburg en Virginie où il s'était éteint ce 20 mars 1916 à 17 heures.
Extrait 4 : Les citoyens Aka témoignent et racontent
De la question de l'appellation "Pygmée" et de l'affirmation
de la citoyenneté
Mathurin Bokombé utilise le terme "Pygmée" lorsqu'il doit s'exprimer en français.
A la place du mot Pygmée ou d'autres formules qui s'appliquent à eux, la préférence va pour des expressions comme : centrafricains - citoyens centrafricains - citoyens de Bayanga, ou Babenzélé. L'appellation courante en sango qui est "Bambénga" n'a jamais été employée : elle est considérée comme péjorative.
La
conversation avec les Bayaka devait se poursuivre
comme Mathurin Bokombé le souhaitait en sango, langue officielle de
Les Bayaka vivent près de Bayanga,
dernière localité importante avant la frontière du Congo, région de la forêt
dense arrosée par
Pour nous faire comprendre d'une autre manière, Mathurin Bokombé, l'un des Pygmées invités à Paris, l'exprime en langue sango en partant d'une situation plus concrète, plus illustrée : la pratique d'une danse observée dans les deux communautés.
Böon! na mbâgë tî âsitoayëen nî
äpë?! Töngana dôdô alêngbi na mbênî mbâ tî
mo äpe, ayeke
"réussir" äpe. Mo mä?
Böon, ayeke
"habitude" tî sô âla manda nî na ködörö tî âla,
bon! angbâ gï da. Mo mä tënë nî
awe? Böon! ködörö tî mbâ
tî mo, mo pêe tîtene mo hînga dôdô nî äpe.
Mo mä tënë nî awe? Böon
kôme fadësô ë yeke lâsô ûse:
Bangombe ayeke da, Babenzele ayeke da. Böon, parsekê Bangombe
ayeke "camerounais", bon! Babenzele ayeke
"centrafricain". Mo mä tënë
nî ?
Bon! Voilà ce qui se passe du côté des citoyens. Si la danse qui se mène ne convient pas à ton voisin, il ne pourra pas la réussir. Vois- tu ? Bon! C'est une question d'habitude : quand on l'a apprise dans son pays, on continue à la pratiquer. As- tu compris ? Tu ne peux pas prétendre connaître la danse que mène le citoyen d'un autre pays. As- tu compris ? Bon! D'autant plus que nous formons deux entités distinctes : il y a le Bangombé d'une part et le Babenzélé d'autre part. Bon! Le Bangombé est camerounais et le Babenzélé est centrafricain. Vois-tu ce que je veux dire ?
Böon! "Deuxième question" : töngana dôdô tî
mbâ tî mo, mo pêe tîtene mo yôro
terê tî mo na yâ nî äpe
parsekê mo hînga yâ tî dôdô
nî ôko äpe.
Töngana âBangombe ahë dôdô, ë pêe
tîtene ë gue tî ë tî lï na yâ
nî äpe; ë yeke mä tî
ë na mê, ë yeke bâa tî ë na lê.
Böon! töngana ë, ë sâla dôdô tî
ë, Bangombe agä tî bâa na lê,
agä tî mä
na mê. Böon, lo yeke sâra
tënë nî na âmbâ tî lo
kâ. Tî tene
"tel" sô
töngasô, ayeke na ködörö sô, mo pêe
tî dö nî
äpe?!
Sî töngana atene zengi, parsekê zengi, dôdô
nî na ë gï ôko, lo yeke
dö gï lêgë
ôko kôme ayeke dö na Bangombe,
kôme ayeke dö na ë âCentrafricain. Mo mä tënë nî
awe? Dôdô tî ë sô alêngbi
terê gï ôko,
gï töngana zengi.
"C'est ça la question".
Bon! Deuxième question : tu ne
peux pas t'intégrer dans une danse qui est propre à un citoyen étranger, parce que tu en ignores les subtilités. Quand les
Bangombé font une danse, nous ne pouvons
pas y prendre part; on se contentera de l'écouter et de la voir se
dérouler. Bon! si c'est nous qui menons
la danse, le Bangombé viendra voir et écouter;bon! il en parlera à ses
congénères. Si on te raconte qu'il existe telle danse dans tel pays, tu ne pourras donc pas prétendre savoir évoluer sur le rythme !
S'il s'agit du "zéngi", parce que c'est la même chose de part et
d'autre, on dansera de la même façon chez
les Bangombé que chez les Centrafricains. As- tu compris? La seule danse de
chez nous semblable à la leur est le zéngi. C'est ça la question (C'est la
réponse à la question posée).
Les occasions de réjouissances rapprochent les gens, les liens se tissent et nourrissent les alliances matrimoniales. Les Pygmées pratiquent la monogamie. Le mariage se fait habituellement par l'échange de femmes entre deux groupes et il n'y a pas de versement de dot. Les Bayaka Babenzélé ont des rapports privilégiés avec leurs voisins camerounais appelés Bangombé; ils sont apparentés. Ainsi, les unions sont assez fréquentes entre les deux communautés. Elles pratiquent les mêmes rites, surtout ceux qui sont liés au zéngi, à la chasse, à la récolte du miel - Zéngi est l'esprit de la forêt - ézéngi : la cérémonie ou le déroulement de la cérémonie liée à l'esprit de la forêt.
N. Ballif dans Les
Pygmées de la grande forêt (p.119) écrit : "En
Chaque groupe
de Pygmées donne un nom à l'autre. Les voisins non-pygmées et les chercheurs
dans leurs contacts attribuent également des noms qui ne sont pas toujours pris
en compte par les intéressés; ces noms créent parfois de la confusion difficile
à démêler (exemple: Bayaka, Aka,
Baka, Baaka, Babenzélé, Bangombé, Babinga). « A
Jacqueline
M.C. Thomas et Serge Bahuchet dans leur Encyclopédie des Pygmées Aka,
fascicule I (p.23), précisent : « Les Aka s'identifient comme différents d'autres Pygmées dit Babenzélé. Mais en fait, ces derniers sont simplement les
voisins Pygmées aka occidentaux dont chaque groupe a
connaissance. Le terme Babenzélé est toujours utilisé
par un groupe aka pour en désigner un autre situé
plus loin vers l'Ouest. Cependant, les Pygmées vivant dans les vallées de
Les Bayaka sont citoyens et ambassadeurs de
a) - Mathurin Bokombé :
- Ë gä na Parïi tî
sâla dôdô tî ë, âsitoayëen tî Bayanga.
Ë yeke lâkûê tî sâra kua
tî ë parsekê ë yeke "Centrafricain". Ë löndö
ayo; ë gä tî sâra ngîâ
tî ë na bê ôko.
E gä na na Parïi tî sâra kötä ngîâ na bê tî âmbunzû! âzo tûu tûu agonda ë âsitoayëen tî "Centrafrique". "On est toujours en Centrafrique".
- Tënë tî kua : âzo tî
güëngö na ngonda ayeke da. Mo mä tënë nî? Azo
tî güëngö na ngonda ayeke da. Azo sô amanda
likôlo ayeke da. Azo sô asâla
kua na ködörö ayeke da. Kôme na ë ge na "Centrafrique", âzo
sô ague na likôlo ayeke da, âzo sô ayeke
fâa yäkä ayeke da, âzo sô
ayeke gue na ngônda ayeke da, âzo sô
ayeke sâla nzönî da ayeke da. Bon! mbï yeke mä
yângâ tî mo.
- Nous sommes à
Paris pour faire la danse de chez nous, citoyens de Bayanga
(une ville de la région de
Nous sommes
toujours à pied d'œuvre parce que nous sommes centrafricains (jouant nos
rôles). Nous sommes partis de loin, nous venons nous amuser ensemble.
Nous sommes à
Paris pour une grande manifestation pour réjouir le cœur des Blancs. Tout le
monde nous félicite, nous, citoyens de Centrafrique. On est toujours en
Centrafrique.
- A propos du
travail : il y a des gens qui vont à la chasse. Il y a ceux qui apprennent à
l'école. Il y a ceux qui travaillent en ville. Chez nous en Centrafrique, on a
des gens qui vont à l'école, des gens qui cultivent, des gens qui vont à la
chasse, des gens qui construisent de belles maisons. Bien! J'écoute ce que tu
as me dire.
b) - Balonyona :
E yeke
"Centrafricain". E â "Centrafricain" laâ
ë gä ge sô.
Ayeke ködörö tî âmunzû laâ
Bon! Mo laâ mo mû ë na Yâdûmbë; ayeke nzönî mîngi. E yamba mo mîngi; ayeke nzönî mîngi. Sô ayeke ködörö tî ë, ngbanga tîtene ë mû kamënë na lê tî mo äpe.
Nous sommes
Centrafricains. Nous sommes venus ici en tant que Centrafricains. Ici, c'est le
pays des Blancs.
Il va de l'honneur de notre pays. Il ne faut pas te décevoir (s'adressant au Chargé de mission M. Djamani venu les accompagner).
C'est toi qui nous as emmenés de Yadoumbé; c'est très bien. Nous t'honorons beaucoup; c'est très bien. Il va de l'honneur de notre pays. Il ne faut pas te décevoir.
De l'égalité de traitement ou toute peine mérite un salaire
Les Bayaka ont une conscience de la justice et de leur devoir. Mais quand il le faut, ils revendiquent haut et fort leur dû et leurs droits :
Alphonse Mossombo :
Me, veremäan, "coup" sô ayeke sïönï
na ë lâkûê,... mbï laâ mbï yeke
sâla tënë sô; mbï Alphonse Mosombo mbï tene,
kôme âla sâla töngasô, me veremäan âbabâ, ë yeke na ngonzo mîngi ngbanga tî
lâkûê ë gue na dôdô na
Nola, ë gue dôdô na Berberati, me ë de wara kadöo nî
äpe zûsûka
"présent" sô; tënë
sô agä amarakêe
na lê tî mbëtï.
Mais vraiment, le tort qui nous a été souvent infligé,... c'est moi qui parle, moi Alphonse Mossombo, je le dis : compte tenu de ce qui est arrivé par le passé, avec tout le respect que je vous dois, nous sommes fâchés parce que bien souvent nous allions danser à Nola, à Berbérati, mais nous ne recevions aucun cadeau jusqu'à ce jour. Cette affaire a été enregistrée dans un document.
De l'éducation et de la relation avec
l'esprit des aïeux
Mathurin Bokombé s'attache à souligner les différentes formes d'apprentissage, et d'éducation spirituelle.
Les Pygmées Aka d'où est issu le groupe Bayaka ou Babenzélé ont la notion du Dieu Suprême et unique appelé Nzambi. Ils sont respectueux des mânes et des ancêtres qu'ils sollicitent pour leur bienveillance et leurs faveurs pour la réussite de toutes les activités qu'ils mènent.
a) - Dôdô tî ë sô âkötarä tî ë adö,
nî laâ; mo sô babâ tî
mo afa na mo kodë tî kua sô,
forosemäa mo môlengê nî mo dutï "content".
Töngana mo dü môlengê tî mo amû gï
pekô tî yê
sô mo yeke sâra. Töngana mo sâra kîrîkiri na babâ tî mo, babâ
tî mo ayeke fa na mo
"conseil".
Notre danse vient d'une pratique lointaine de nos ancêtres. Partant de ce fait, si ton père t'apprend cette forme d'activité, il va de soi qu'enfant, tu en seras "content" (ravi). Si toi, tu mettais au monde un enfant, il suivrait tes pas. Si tu agis mal, n'importe comment avec ton père, il te donnera des "conseils".
b) - Les AKA font montre de sagesse et de connaissances profondes à travers toute activité comme la danse, les chants, les contes, les récoltes, la pêche, la chasse. Bokombé nous confie par exemple :
Mbênî dôdô ayeke, atene, yê sô,
eh... soo. Soo sô ayeke dôdô
tî âkôlï. Wâlï asï da äpe.
Akôlï adö ngbii, na miliëe tî bï. Mo bübä
zo mo sï da äpe! Ayeke dôdô
tî âkötarä sô adö giriri
; ayeke tî fadësô äpe. Nî
laâ ë yeke manda nî na pekô tî
âla yeke yeke tîtene ë gue sï na ndâ tî
sô âla sâla
lâ nî na dôdô nî. Mo mä
tënë nî awe
?
Il existe une danse appelée, euh…"soo". Soo est une danse réservée aux hommes. Les femmes ne prennent pas part. Les hommes danseront jusqu'à minuit. Un simple d'esprit n'y met pas les pieds. C'est la danse que pratiquaient jadis nos aïeux; elle n'est donc pas récente. C'est ce que nous essayons d'apprendre en suivant tranquillement leurs pas qui doivent nous mener finalement à la connaissance pratique qu'ils avaient de cela. As-tu compris ?
Cartes
et légendes :
Peuplement d'Afrique - carte
des migrations des populations négro-africaines à partir de la région du
Haut-Nil et des Grands Lacs (d'après C.A. DIOP)
Carte relative à l'origine
préhistorique des Pygmées
1- Berceau nilotique commun : à ce stade, le processus
de séparation des langues, ainsi que la formation des différents groupes
humains ne sont pas achevés. - 2- Du Soudan méridional, Pays de Yam, les
groupes humains dénommés Pygmées (Aka, Babenzélé Babongo, Baka, Bambuti, Batwa, etc.) se différencient et investissent par vagues
successives leurs zones d'implantation actuelle. - 3- Cette nouvelle étape
marque la progression des Pygmées en général et des Aka
en particulier vraisemblablement sous la pression de migrations des peuples
bantous vers la forêt équatoriale qui leur servira pendant des siècles de
zones-refuges.
III
– LE COMPTE RENDU DE
Le
contexte
Le
Vendredi 19 novembre 2004 de 18h30 à 22h00, s’est tenue à l’initiative de
Il s’agissait pour les organisateurs de la manifestation de sensibiliser le public parisien à la problématique de l’histoire, de la culture et même de la condition actuelle des Pygmées d’Afrique en général et des AKA en particulier.
En adoptant volontairement une démarche pluridisciplinaire et un style clair, précis et concis, l’auteur a voulu faire œuvre de pédagogie dans son propos préliminaire. De fait, l’originalité du livre tient avant tout au fait qu’il s’agit de la première synthèse historique consacrée à ces populations tant décriées mais finalement méconnues.
Aussi, M. BISSENGUE a-t-il tenu à insister sur le caractère non exhaustif de
son travail qui devra être soumis au crible de la critique scientifique la plus
exigeante. C’était pour lui l’occasion de saluer la présence parmi les nombreux
participants de quelques personnalités au nombre desquelles on peut mentionner
les représentants des Editions l’Harmattan Jérôme MARTIN et Virginie ROBERT,
l’ex-président de
L’exposé de l’auteur
Dans son exposé introductif, l’auteur a mis l’accent sur la genèse de l’ouvrage
en rappelant des événements vécus en Centrafrique même au contact des Pygmées
AKA (le cas singulier de Michel MBOYA devenu instituteur puis député en dépit
de nombreux obstacles fut évoqué), sur ses nombreuses et édifiantes lectures,
et enfin sur des événements tels que la venue à Paris respectivement en 1991,
en 1997 puis en 1999 des AKA où ils firent admirer les multiples facettes de
leur répertoire.
Contrairement aux clichés exotiques et aux préjugés raciologiques accumulés par l’ethnographie coloniale, une approche rigoureuse des faits préhistoriques et historiques démontre le rôle crucial des Pygmées dans la transmission des connaissances dans les domaines de la bio-médecine, de la cosmogonie, de la pharmacopée, etc. Les autres populations de l’Afrique leur sont redevables dans tous les domaines de la culture, de la spiritualité et même de l’économie.
Il apparaît en effet que loin d’être des créatures imaginaires, des animaux
ou des chaînons manquants entre l’homme et la bête, ils descendent de l’homo
sapiens sapiens attesté il y a environ 130 000 ans
sur le continent africain (cf. le fossile dit OMO I). Soit dit en passant, les
premiers hominidés remontent à 7 millions d’années et non à 4 millions comme
semblent l’accréditer certains ouvrages de référence. Il est inimaginable que
ces Pygmées dont les ancêtres les plus lointains ont d’abord séjourné dans la
région des grands lacs africains n’aient pas pris part au processus cumulatif
ayant conduit à l’émergence des premiers éléments de la civilisation. Des
archéologues ont exhumé de nombreux vestiges qui témoignent de cet apport
initial. Il en fut de même dans l’antiquité comme l’indiquent les sources
pharaoniques qui font état dès 2400 avant notre ère de contacts directs entre
les Egyptiens de l’antiquité et les AKA dont le pays d’origine (YAM) se
situerait aux confins de
De nos jours hélas, la condition des Pygmées apparaît particulièrement précaire comme le rappelle un spécialiste de l’envergure de Serge BAHUCHET. L’auteur rapporte entre autres des témoignages relatifs à la déportation et à l’exhibition dans des zoos humains de certaines figures comme Ota BENGA à Saint-Louis (USA) en 1904. Il faut convenir enfin, que les Pygmées continuent à souffrir sur le continent de certains maux et préjugés qui conduisent à s’interroger sur leur devenir. Sans pour autant partager le pessimisme de certains chercheurs qui leur prédisent une fin imminente, l’auteur en appelle au sens des responsabilités des décideurs africains qui se doivent de préserver le patrimoine des Pygmées tout en leur garantissant un statut de citoyens à part entière. Il rejoint ainsi l’opinion de son préfacier feu Pierre KALCK mais également celle non moins autorisée de Gilbert ROUGET.
Les commentaires et les réactions de
l’assistance
Invité par l’auteur à donner son point de vue, M. Jean-Charles C. GOMEZ
(historien) a souligné d’entrée de jeu l’intérêt historiographique de
l’ouvrage. Dans le domaine des études égyptologiques en particulier, il lève
une hypothèque qui a longtemps pesé sur les investigations des spécialistes.
Les conclusions de Victor BISSENGUE établissent de façon péremptoire
l’existence de relations directes, régulières et continues entre les
populations de la vallée du Nil égypto-nubienne et celles du reste de l’Afrique
noire. Les échanges culturels, économiques et politiques entre ces entités qui
n’en font qu’une sont également restitués avec rigueur et précision. Il s’agit
donc d’une contribution majeure à l’histoire générale de l’Afrique et de
l’humanité.
Certains participants ont demandé des précisions sur le sort actuellement réservé aux Pygmées sur le continent africain. Des témoignages font état de nombreuses injustices pour ne pas parler d’exactions. Quelle est exactement la part de responsabilité qui revient à ceux qu’on a coutume d’appeler les "Grands noirs" ?
D’autres intervenants mettent l’accent sur les préjugés dont les Pygmées font l’objet dans une certaine littérature ethnographique d’origine occidentale. Ils s’interrogent sur le silence coupable pour ne pas dire la complicité de l’administration coloniale et de certains "savants".
Tous insistent sur les mesures à prendre de toute urgence pour mettre les Pygmées à l’abri de l’oppression et de l’exploitation dont ils font l’objet.
Les réponses et la conclusion de l’auteur.
M. BISSENGUE rappelle qu’il n’a pas éludé dans l’ouvrage la question du sort
réservé en Afrique aux Pygmées. Il énumère les causes historiques et
économiques de ce drame humain. Cependant, comme le soulignait Pierre KALCK, il
se refuse à accentuer plus que de raison le prétendu antagonisme séculaire
entre Pygmées et "Grands noirs". Malgré les conflits d’ordre
économique et la destruction accélérée du patrimoine forestier, il parie sur
une prise de conscience réelle et sur une coexistence pacifique. Le rôle de
l’Union Africaine (UA) et des Etats pris individuellement lui paraît à cet
égard primordial.
Au sujet des préjugés accumulés par les "spécialistes" non africains, il relève l’action nocive de CUVIER, HAMY, le R.P. SCHMIDT, le missionnaire VERNER, etc. qui passent pourtant aux yeux du grand public non-averti pour des humanistes. Il résume enfin l’épisode répugnant de Saartjie Baartman plus connue sous le surnom de Vénus hottentote.
En conclusion, M. BISSENGUE informe l’auditoire que cette année 2004 marque d’après l’UNESCO la fin de la décennie des populations dites minoritaires et donc menacées. En outre cette même institution internationale considère la culture des Pygmées comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité. L’ouvrage intitulé Contribution à l’histoire ancienne des Pygmées… s’inscrit précisément dans le cadre de cette célébration universelle.
DAZO, le rapporteur (23 novembre 2004)
NB : Les participants ont été conviés après la dédicace par l’auteur des exemplaires de son ouvrage à une collation. La séance a été définitivement levée à 22h00.
Photos :
L'auteur Victor BISSENGUE |
L'invité imprévu: l'ex-président André KOLINGBA |
Une intervention de l'historien Jean-Charles. C GOMEZ |
L'assistance suivant l'intervention de l'auteur |
Une partie du public écoutant la réponse à une question posée. |
La dédicace de l'ouvrage |
LE COMPTE RENDU PAR M. LUC BOUQUIAUX DE L’OUVRAGE : CONTRIBUTION
A L’HISTOIRE ANCIENNE DES PYGMEES : L’EXEMPLE DES AKA [cf .
L’Homme Revue française d’anthropologie (N° 179 - juillet/septembre
2006, pp. 227-235 : « Les Pygmées, Aka
victimes de l’afrocentrisme ? »]
NB : L’auteur se réserve le droit de solliciter un
droit de réponse auprès de la Rédaction de la Revue L’Homme. De même, les
chercheurs africains mis en cause nommément par M. Luc BOUQUIAUX dans son compte
rendu choisiront les modalités d’une réponse argumentée et constructive.
Un droit de réponse a été accordé à Victor Bissengué par la revue L'Homme N° 181 janvier/mars 2007, pp. 189 à 195 : Pour une réconciliation des civilisations africaines
avec l'histoire universelle.