« L’histoire de
l’homme », l’ouvrage du savant, du paléontologue Yves COPPENS vient de
paraître. La revue "Le Point" ouvre les "Débats", faisant parler
l’auteur, celui qui fit connaître Lucy au monde entier.
Coppens
: « L'homme s'adapte ou disparaît »
Dans le bureau
qu'il va quitter, il laisse des moulages de crânes, de dents et autres os
appartenant à ces très lointains ancêtres avec lesquels il passe sa vie. Son sac
de couchage est là. Yves Coppens semble toujours faire halte entre deux
expéditions : la paléontologie n'est pas une « science assise ». Ce facétieux
savant, qui évoque irrésistiblement Indiana Jones, publie le résumé de « 22 ans
d'amphi au Collège de France ». Sa contribution à « L'histoire de l'homme »
(Odile Jacob).
Le Point : Certains sont attirés
par les vieilles pierres. Vous, vous avez passé votre vie à étudier les vieux et
même les très vieux êtres humains ou, plus précisément, leurs restes fossilisés.
Comment cette passion vous est-elle venue ?
Yves Coppens : Quand j'étais enfant, en
Bretagne, j'avais une collection de monnaies anciennes et une autre de fossiles.
La première provenait de ma grand-mère et l'autre de mon père... et des
tranchées. Il avait dû rapporter ça du front. Peut-être est-ce ce qui a
déterminé ma vocation pour la paléontologie, cette discipline qui s'efforce de
reconstituer l'histoire des êtres vivants disparus en étudiant les restes de ces
vies que sont les fossiles.
Beaucoup de sciences, y compris
les sciences humaines, mais plus encore les religions, tentent de répondre à la
question : « Qu'est-ce que l'homme ? » Cette interrogation vous a-t-elle guidé
?
Peut-être. Dans mon exploration de
ces disciplines qui vont de la géologie-l'histoire des roches-à la
paléontologie-celle du vivant-et à la préhistoire, qui ouvre l'histoire des
hommes, j'ai toujours été beaucoup plus attiré par l'homme que par les restes
animaux, végétaux ou minéraux. Je dirai que l'homme est un primate, donc un
mammifère, qui a su s'adapter aux changements climatiques par une augmentation
de son système nerveux central, qui lui a donné la conscience. Et c'est ainsi
qu'il est devenu le seul être pensant de cette histoire de la vie qui remonte
tout de même à la bagatelle de 4 milliards d'années.
La définition de l'homme est aussi
un enjeu à l'intérieur de votre discipline. Tout fossile qui semble être celui
d'un homme ou d'un proche parent doit batailler pour se faire admettre dans la
famille.
Tout paléontologue trouvant un
fossile proche de l'homme est tenté de croire qu'il a enfin trouvé notre
véritable ancêtre, le vrai, le bon. Sauf que l'évolution fonctionne plus en
réseau qu'en ligne, ce qui signifie que nous n'avons pas un seul ancêtre mais
plusieurs. Bien sûr, au bout du compte, il existe nécessairement une lignée qui
mène à nous, mais elle est balisée par des branchements latéraux, des chemins de
traverse. De plus, s'il n'existe par définition qu'un genre humain, les
descendants de la première population de premiers hommes se sont répartis entre
différentes espèces humaines. Pendant une longue période, quatre d'entres elles
ont coexisté : Neandertal en Europe, l'homme de Java, l'homme de Flores et
Homo sapiens . Seul Homo sapiens a survécu.
Vous avez d'abord situé la
naissance du genre humain dans
A l'époque, je parle du début des
années 80, il était de plus en plus clair que l'Histoire avait commencé en
Afrique équatoriale ; or les grands singes de notre temps n'existent qu'à
l'ouest de
Dans votre discipline, les
nouvelles découvertes aboutissent souvent, peut-être pas à invalider, mais à
relire les découvertes précédentes. Cela vous a-t-il rendu amer, que votre belle
construction soit remise en question ?
Croyez-moi si vous voulez : pas le
moins du monde. Lorsque Brunet est venu me voir avec ses fossiles, je n'ai eu
aucun doute. Il me fallait revoir mes conceptions et envisager d'autres
hypothèses qui intègrent ces nouvelles données. C'est la loi de la connaissance
scientifique.
Peut-on imaginer qu'un jour toutes
les couches géologiques existantes auront été explorées et que votre science
aura dit tout ce qu'elle a à dire ?
Aucun risque ! En revanche, on va
vers un schéma de l'histoire de l'homme de plus en plus stable. On est sûr qu'il
est né en Afrique tropicale et qu'il a bougé géographiquement en se répartissant
à travers l'Afrique, l'Eurasie et l'Amérique.
Les sociétés ont longtemps opposé
une grande résistance à l'idée que les humains avaient des ancêtres tels que
ceux que vous avez découverts.
Dans la grande tradition de
l'éducation, l'homme avait été créé à l'image de Dieu. Il était difficile
d'avaler que l'ancêtre de l'homme ne fût pas beau. Avec son front surbaissé et
ses grosses orbites, Neandertal a remporté un franc succès ! On a dit que
c'était un arthritique qui avait reçu des coups sur la tête. Et lorsqu'on a
découvert Homo erectus , d'abord à Java puis en Chine, cela n'a guère été
plus brillant. On a fini par l'accepter comme un cousin très éloigné. Le
problème, c'est qu'on avait trouvé à côté de lui des pierres taillées, ce qui
témoignait d'une parenté beaucoup plus directe avec les humains d'aujourd'hui.
Avec cette tête-là, il était impossible, pensait-on, qu'il eût su faire des
outils. On a donc décidé qu'il y en avait un autre, qu'on n'avait pas encore
découvert, un homme beau qui avait taillé les pierres avant de se faire bouffer
par Homo erectus . Deux cents ans après, on ne l'a toujours pas trouvé.
Et pour cause.
Vous avez percé le mystère de la
naissance de l'humanité avec une théorie que vous avez judicieusement baptisée
l'« événement de l'Omo ». Et celle-là est toujours valide.
Je crois même que c'est la
principale idée qui restera de moi. Il faut dire que c'est une belle idée, non ?
Entre 1965 et 1977, je travaillais dans le sud de l'Ethiopie, dans la vallée de
l'Omo, dans des terrains qui avaient entre un peu plus de 3 millions d'années et
un peu moins de 1 million d'années. J'avais des collègues qui travaillaient
au-dessus de 2 millions d'années et d'autres au-dessous de 3 millions d'années,
mais j'étais le seul à fouiller dans la tranche allant de 3 à 2 millions
d'années. En dix ans, j'ai ramassé 50 tonnes d'os ! J'ai donc pu élaborer des
statistiques et observer, au cours de la période, un changement des faunes sous
l'effet d'un réchauffement climatique auquel certaines espèces s'étaient
adaptées et d'autres pas. Parmi celles qui ont survécu, il y avait l'éléphant,
l'hippopotame, le cheval, le cochon... et l'homme. A travers les objets
récoltés, j'ai littéralement « vu » le préhumain, notre ancêtre, acquérir une
denture de mangeur de viande et développer son cerveau. Celui-ci est passé de
400 à 800 cm³ : ce n'est pas rien !
En somme, ce qui fait l'humain, ce
sont de bonnes dents et 400 cm³ de matière grise. C'est
poétique...
Peut-être plus que ce que vous
croyez. Pendant ce million d'années, le cheval change sa patte pour courir plus
vite, les dents de l'éléphant s'allongent pour lui permettre de manger de
l'herbe. L'homme a la chance de connaître une évolution de son système nerveux
central qui lui permet d'avoir une stratégie de défense face à la nature en même
temps que ses dents se transforment pour s'adapter à son nouveau régime
alimentaire. Il devient humain parce qu'il n'a pas plus le choix que les autres
animaux. Il s'adapte ou il disparaît.
Votre discipline bénéficie du
progrès extraordinaire des techniques d'investigation et d'analyse : on sait de
mieux en mieux faire parler les os.
Les progrès de l'électronique et
de l'informatique ont beaucoup changé le métier, ne serait-ce qu'en permettant
l'exploitation de séries statistiques. Par ailleurs, on utilise de plus en plus
l'imagerie médicale. Grâce aux techniques de radioactivité, on a pu dater toutes
les périodes géologiques ainsi que
Peut-on imaginer une science
reposant sur la technologie, reléguant au second plan toute créativité théorique
?
La part d'imaginaire que l'on est
obligé d'ajouter aux données sera toujours considérable à cause de la profondeur
du temps. Ce n'est pas un hasard si l'on parle de la « nuit des temps
».
« L'histoire de l'homme. 22 ans d'amphi au Collège de France (1983-2005) » (Odile Jacob, 240 p., 22,90 E).
Propos recueillis
par Élisabeth Lévy - 29/05/2008 N°1863 Le
Point
Coppens
1934
Naissance à Vannes
1956 Entre au CNRS
1960 Première mission en Afrique
tropicale (Tchad)
1965 Découverte d'un hominidé fossile,
« Tchadanthropus »
1967 Expédition en Ethiopie et
découverte d'« Australopithecus æthiopus »
1974 Découverte de Lucy, «
Australopithecus Afarensis »
1980 Première chaire d'anthropologie
au Muséum d'histoire naturelle
1983-2005 : Seconde chaire de
paléoanthropologie au Collège de France
1983 « Le singe, l'Afrique et l'Homme
» (Fayard)
1988 « Pré-ambules » (Odile Jacob)
1999-2002 Expéditions en Sibérie
1999 « Le genou de Lucy » (Odile Jacob)
2001 avec Pascal Picq-« Aux origines
de l'humanité » (Fayard)
2006 « Histoire de l'homme et
changements » (Fayard)
2007 Expédition en Mongolie
http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/coppens-l-homme-s-adapte-ou-disparait/989/0/248997
Histoire et
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