NOUVEL
HOMMAGE A MARCUS GARVEY
LE PLUS GRAND
GENIE ORGANISATIONEL DU MONDE NOIR
Conférence à la réunion du Mouvement des
Africains Français (MAF) à Paris
Le
4 mai 2013
Pascal
ADJAMAGBO
Ingénieur
de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris,
Docteur
d'Etat et Agrégé de Mathématiques,
Maître
de Conférence à l’Université Paris 6
1.
Introduction
sur Marcus Garvey, la figure la plus emblématique du panafricanisme
A
l’ouverture du premier salon du livre panafricain à Paris dédié à Marcus Garvey,
j’ai eu l’honneur ce matin même, en ma qualité de président de son conseil
scientifique, de rendre à Marcus Garvey l’hommage que lui doivent tous les
panafricanistes et tous les autres noirs du monde entier qui ne connaissent pas
encore ses œuvres légendaires en faveur de la cause des noirs, ces œuvres qui
lui confèrent les titres bien mérités de « la figure la plus emblématique
du panafricanisme », de « père fondateur du panafricanisme en
action », de « fondateur et animateur du plus grand mouvement
panafricain de l’histoire », et du « plus grand génie organisationnel
du panafricanisme et du monde noir ». Par manque de temps, je n’ai
malheureusement pas pu illustrer comme je le souhaitais ces œuvres
exceptionnellement édifiantes qui justifient ces titres et qui interpellent tout
particulièrement tous les militants du MAF.
Je
suis donc particulièrement heureux de pouvoir partager plus librement avec mes
frères et sœurs du MAF cette justification, après avoir souligné l’importance
capitale de l’organisation pour les mouvements, les communautés, les
institutions et les états noirs, et en plus spécialement pour le MAF, comme je
l’avais déjà fait mais plus brièvement à la réunion du 3 décembre 2011, avant de
laisser à Kwame Nkrumah et à Martin Luther King l’honneur de conclure cet
hommage à Marcus Garvey.
A
la fin de cet hommage, nous aurons alors le plaisir d’inaugurer aux réunions du
MAF une série d’entretiens pédagogiques basés sur les enseignements de Marcus
Garvey et consistant à écouter la lecture de certains de ses enseignements à
l’attention des militant de son mouvement, suivie d’un partage fraternel sur les
enseignements écouté, comme des chrétiens fait des partages sur des
enseignements de la Bible.
2.
Sur l’importance et la nécessité de l’organisation au sein des communautés et
institutions noires
Compte
tenu des positions politiques, économiques et sociales particulièrement
défavorables dans lesquelles se retrouvent les noirs partout où ils se trouvent
sur le continent Africain ou dans la diaspora, le but de toute organisation
communautaire, politique ou institutionnelle des noirs devrait être la conquête et de la gestion de la part du
pouvoir politique, économique et social qui lui revient là où elle est
enracinée, en particulier en France, à l’exemple édifiant des communautés ou
institutions juives, conformément aux objectifs du MAF.
Ici,
le mot « politique » doit être compris en son sens étymologique et
noble de « affaires de la cité, c’est-à-dire de la communauté, depuis le
niveau local, c’est-à-dire villageois, citadin, communal, départemental et
régional, jusqu’au niveau global, c’est-à-dire national et
international.
De
même, ici le mot « organisation » doit être
doit être entendu à la fois au sens de « associations de personnes »
pouvant exercer certains droits civiques, et au sens de « système de stratégies et de
tactiques ».
Pour
atteindre son objectif, toute organisation communautaire, politique ou
institutionnelle des noirs devrait donc cultiver au plus haut point le « sens de l’organisation »,
avec les mêmes exigences de rationalité,
d’efficacité, et de rigueur que dans une grande entreprise performante, avec les mêmes exigences d’ordre, de discipline,
de loyauté et de combativité que dans une armée exemplaire, et surtout avec la conviction militante que « le nerf de la guerre, c’est
l’organisation et non l’argent », car avec une bonne organisation,
l’intendance suit.
La
complémentarité, la fécondité et l’efficacité de ces deux conceptions de
l’organisation se nourrissent du fait que « la rigueur est une source de
vigueur ».
C’est
ce « sens de l’organisation » qui a fait des européens et des
occidentaux les maîtres actuels du monde depuis la découverte de Nouveau Monde
jusqu’à nos jours.
C’est
le « sens de l’organisation » qui est en train de faire des
asiatiques, en commençant par les japonais et les coréens, et en continuant par
les chinois et les indiens, les futurs maîtres du monde dans le courant de ce 21
e siècle.
C’est
ce « sens de l’organisation » qui manque si cruellement aux Africains
depuis les temps révolus de l’Egypte Noire Pharaonique, et que les Africains ont
le devoir sacré de retrouver et de cultiver partout où les vents de l’histoire
les ont dispersés et où ils ont décidé de s’enraciner.
C’est
surtout ce « sens de l’organisation » qu’illustre d’une manière si
éloquente qui nous interpelle en nous lançant un défi à relever l’expérience
extraordinaire mais hélas éphémère de notre frère de la diaspora africaine aux
Antilles et aux Etats Unis d’Amérique au début du 20-ème siècle, Marcus Garvey,
à la tête du mouvement dénommé UNIA et dont le sigle signifie « Association
Universelle pour le Progrès des Noirs ».
3.
Sur le génie organisationnel exceptionnel de Marcus Garvey
Les
objectifs officiels de l’UNIA créé par Marcus Garvey le 20 juillet 1914 en
Jamaïque, et dont le siège fut transféré à Harlem New York en 1916, est de « Rassembler tous les peuples
noirs du monde entier au sein d'une
même organisation et créer en Afrique une nation centrale avec un
gouvernement central qui leur
serait propre, en créant entre autres partout où vivent des noirs des
universités, des collèges, des
académies et des écoles pour l'éducation et la culture des peuples
noirs ».
C’est
pour atteindre tous ces objectifs que Marcus Garvey a fait preuve d’un génie
organisationnel et d’un dynamisme politique, économique et industriel qui depuis
lors n’ont jamais été égalés dans aucun des mouvements de noirs que le monde a
connus jusqu’à nos jours.
Un
peu plus de deux ans seulement après son lancement aux Etats-Unis, l’UNIA
revendique dès 1919 2 millions d’adhérents dans le monde entier et en majorité
aux Etats-Unis, 4 millions en 1920, 6 millions en 1923 et 8 millions en 1924,
avec les moyens de communication, de publicité et de mobilisation de l'époque,
qui sont sans comparaison avec ceux de nos jours. En effet, dès le 17 août 1918,
Marcus Garvey crée l’organe de presse officiel de l’UNIA, le journal
hebdomadaire intitulé « Le Monde Noir (The Negro World) », qui devient
très vite le journal noir américain
le plus populaire, diffusé dans tous les Etats-Unis, au Canada, dans les
Caraïbes, en Europe et en Afrique, avec un tirage de 200 mille exemplaires à son apogée, avec
une édition en langue espagnole des 1923 et une en langue française dès 1924. Ce
journal fut une caisse de résonnance extraordinaire pour l’éloquence et les
idées de Marcus Garvey sur la conscience des noirs, leur entraide mutuelle et
leur indépendance économique qui ont beaucoup contribué à la fécondité et à la
créativité du génie organisationnel de Marcus Garvey.
L’année
1919 restera dans les annales du panafricanisme comme l’année faste et l’apogée
de cette fécondité. En effet, c’est le 26 juin de cette année que Marcus Garvey
crée la compagnie maritime de l’UNIA grâce à l’engagement militant
d’actionnaires noirs, sous le nom de « Black Star Line », c’est-à-dire
« Compagnie de l’Etoile Noire », qui restera comme l’initiative
économique la plus emblématique et audacieuse du panafricanisme en action,
illustrant ainsi avec une beauté et une élégance qui forcent l’admiration la
célèbre recommandation de Wolfgang Goethe « Tout ce que tu es décidé à
entreprendre, commence le, l’audace a du génie, de la puissance, de la
magie ». Pour être à la hauteur de ses ambitions et de ses activités
débordantes, l’UNIA acquière dès le mois de juillet de cette année à Harlem un
immeuble avec une salle de réunion d’une capacité de 6 000 places, baptisée
« Liberty Hall », c’est-à-dire « la Salle de la Liberté »,
qui va devenir très vite « le temple du panafricanisme de masse et en
action » et va permettre à l’éloquence de Marcus Garvey d’éduquer et de
galvaniser les troupes de l’UNIA. C’est au mois d’août de la même année
que Marcus Garvey crée la société commerciale appelée « Negro Factories
Corporation », c’est-à-dire la « Société des Manufactures
Noires ».
D’après
l’historien africain Têtêvi
Godwin dans son livre « Marcus Garvey, Père de l'Unité Africaine des Peuples »,
Le
but premier de cette société est d'installer
et de faire fonctionner « des entreprises dans les grands centres
industriels des Etats- Unis, d'Amérique Centrale, des Antilles et d'Afrique,
pour y fabriquer tout produit commercialisable. Cette nouvelle compagnie réussit
en effet à réaliser, à Harlem, une chaîne de magasins d'alimentation, des
restaurants, une teinturerie, un atelier de confection, un magasin de mode, une
fabrique de chapeaux, une fabrique de poupées noires pour enfants noires, une
blanchisserie, un hôtel, une entreprise de troc, et une maison d'édition. En
Cependant,
toujours d’après Têtêvi Godwin dans son livre cité, c’est la compagnie maritime
« Black Star Line (BSL) », devant relier la côte est des Etats-Unis
aux Caraïbes et à l'Afrique, qui, « plus que n'importe quelle autre
création, captive l'imagination des Africains et des Afro-américains ». En
effet « partout où les vaisseaux de la BSL ont pu se rendre, ils ont été
salués par des scène d'enthousiasme populaire. A la Havane (Cuba), un bateau de
cette compagnie fut couvert d'une pluie de fleurs et de fruits. A Bocas del Toro
(Panama), des milliers de travailleurs désetèrent leur emploi pendant toute une
tournée pour voir le SS Frederick Douglas. Ils emmenèrent des cadeaux de fleurs
et des fruits et dansèrent sue le pont du bateau. Au
sud de la Californie (Etats Unis), des gens louèrent un train spécial pour se
rendre au port de Charleston le jour où un navire de la BSL y fit
escale ».
Nous
estimons quant à nous que le symbole le plus éloquent et le chef-d’œuvre de son
génie organisationnel sont sans doute « les Etats Généraux » de l'UNIA
qui réunirent durant tout le mois d'août 1920 plus de 2 000 délégués venant de
22 pays des quatre coins du monde, et dont l'apothéose fut le défilé le 3 août
1920 des forces vives de l'UNIA, dont les images d’archive impressionnantes
filmées par le FBI ont été publiées dans le film documentaire de Lascony
« Evangile selon Marcus Garvey ». En effet, comme le rapporte si bien
Têtêvi Godwin dans son livre cité, « les rues de Harlem résonnaient au son
des marches entraînantes et des pas cadencés de troupes défilant dans leurs
élégants uniformes. Il y avait là entre autres les membres de l'armée de l'UNIA,
appelée « la Légion d'Afrique », dans sa tenue bleu-foncé, aux
pantalons à raies rouges avec l'épée pour les officiers, les membres du corps
des infirmières de « La Croix Noire », les membres du « Corps
motorisé universel d'Afrique », les membres du « Corps d'aviation de
l'Aigle Noir », les choeurs et les troupes spécialisées des jeunes
réservistes. Ce défilé s'acheva par un fervent meeting de 25 000 personnes au fameux
« Madinson Squarre Garden » de New York. Cette première
« convention » de l’UNIA fut couronnée par l’adoption d’une
« Déclaration de Droits des Peuples Noirs dans le monde » qui garde
toute son actualité près d’un siècle plus tard, dénonçant les injustices et les
insultes dont sont victimes les Noirs, et proclamant les droits fondamentaux et
inaliénables de ces peuples.
Pour
atteindre ses multiples objectifs, Marcus Garvey su mettre à contribution son
éloquence proverbiale pour mobiliser les Africains et les panafricanistes de
tous les temps par des exhortations
comme les suivantes qui méritent de figurer dans une « Anthologie du
panafricanisme » à écrire :
« Nous sommes les descendants d'un
peuple qui a souffert. Nous sommes les descendants d'un peuple résolu à ne plus
souffrir. »
« Un
peuple ignorant de son histoire est comme un arbre sans
racines ».
« Si
tu n’as aucune foi en toi-même tu es doublement vaincu dans la course de la vie.
Avec la foi tu as gagné avant même d’avoir
commencé ».
« L’éducation est le moyen par lequel un peuple se prépare
pour la création de sa civilisation propre et aussi l’avancement et la gloire de
sa propre race ».
« Soyez
autant fiers de votre race aujourd’hui que l’étaient vos pères dans le passé.
Nous avons une histoire magnifique, et nous allons en créer une autre dans
l’avenir qui étonnera le monde».
« La
seule protection contre l’injustice de l’homme est le pouvoir physique,
financier, scientifique ».
« Nous allons mobiliser les quatre cents millions de Noirs de la planète et
planter sur le sol d'Afrique la bannière de la liberté. »
« Le noir s'est battu en Europe. Il faut
qu'il se batte en Afrique »
« Réveille-toi, Ethiopie! Debout,
puissante race! Tu peux accomplir
ce que tu veux. Ce n'est qu'une question de quelques années encore quand
l'Afrique sera complètement mise en valeur par les Noirs, comme l'Europe l'est
par la race blanche. Personne ne
sait quand vient l'heure de la Rédemption de l'Afrique. Elle est dans le
vent. Elle vient. Un jour, comme un
orage, elle sera ici. »
« Ethiopie, réveille-toi! Debout
Afrique! Travaillons à l'achèvement
glorieux d'une nation libre, affranchie et puissante ! Que l'Afrique soit
une étoile brillante au firmament des nations! »
« Nous
sommes en bonne voie vers l’Afrique, pour faire d’elle la grande République
Noire. Et en faisant de l’Afrique la grande République Noire, quelle est
l’obstacle ? L’obstacle est l’homme blanc. Et nous disons à l’homme blanc
qui domine l’Afrique qu’il est de son intérêt de déguerpir maintenant, parce que
nous arrivons, non pas comme du temps du Père Abraham, fort de deux cent milles
hommes, mais nous arrivons forts de quatre cent millions d’hommes et nous entendons reprendre
chaque centimètre quarré des trente millions trois cent mille km carré du
territoire africain nous appartenant de droit divin »
« Dieu
et la Nature nous ont fait ce que nous sommes, mais à travers notre génie
créateur nous faisons de nous-mêmes ce que nous voulons
être »
« Ce
que tu fais de valeureux aujourd’hui inspire les actions des autres dans le
futur »
« Une
race sans autorité ni puissance est une race non
respectée »
« Il
est possible que nous vivions pas tous la réalité d’un empire africain si fort,
si puissant qu’il imposerait le respect à l’humanité, mais nous pouvons
cependant durant notre vie travailler et œuvrer à faire de ce projet une réalité
pour une autre génération »
4.
Conclusion
L’hommage
le plus éloquent selon nous rendu au génie organisationnel de Marcus Garvey dont
témoignent ses œuvres légendaires que nous venons d’évoquer est l’hommage qui
lui a été rendu en les termes suivants par son plus zélé disciple le Président
Kwame Nkrumah dans son « Autobiographie » publiée en 1957 :
« Mon but était d’étudier la technique d’organisation. Je savais qu’à mon
retour éventuel en Côte d’Or j’allais me trouver devant ce problème. Je savais
que le succès de tout problème établi en vue de solutionner la question
coloniale, de quelque nature que ce soit, dépendrait d’une bonne organisation.
Je déployais toutes mes forces à trouver une formule de nature de manière à
résoudre toute la question coloniale et le problème d’impérialisme. Je lisais
Hegel, Karl Marx, Engels Lenine et Mazzini. Les écrits de ces hommes influèrent
beaucoup sur mes idées et mes activités révolutionnaires, Karl Marx et Lénine en
particulier m’impressionnaient, car j’avais la certitude qu’ils avaient
développé une philosophie de caractère à résoudre ces problèmes. Mais je crois
que de toute la littérature que j’étudiais, le livre qui m’a enthousiasmé plus
que tout, c’était « Philosophie et Opinions de Marcus Garvey » publié
en 1923. Garvey, avec sa philosophie « d’Afrique aux Africains » et
son mouvement de « Retour en Afrique », était celui dont s’inspiraient
beaucoup de Noirs d’Amérique aux environs de 1920 ».
Laissons
le mot de la fin de cet hommage à Marcus Garvey au Pasteur Martin Luther King
qui a déclaré dans un discours le 20 juin 1965 en Jamaïque au sujet de ce
premier en guise d’hommage et de reconnaissance : « Il était le
premier homme de couleur à diriger et développer un mouvement de masse. Il était
le premier à l’échelle des masses à donner à des millions de Noirs le sens de la
dignité et de la destinée, et à faire sentir au Noir qu’il est
quelqu’un ».
5.
Pour approfondir
1)
Marcus Garvey, Message au Peuple, Le Cours de Philosophie Africaine, Edité par
Tony Martin, Traduit par Ama Azama, Editions Menaibuc,
2010
2)
Têtêvi Godwin Tété-Adjalogo, Marcus Garvey, Père de l'unité des peuples, tomes 1
et
3)
Amy Jacques-Garvey, Philosophy and Opinions of Marcus Garvey (en
anglais).
4) Le mouvement panafricaniste au vingtième siècle, Recueil de Textes, Organisation International de la Francophonie