Le peuple martiniquais rend hommage à Aimé
Césaire
Par Dominique CHABROL
FORT-DE-FRANCE, AFP, 18
avril 2008 - Un premier hommage populaire à la mémoire du poète Aimé
Césaire décédé jeudi à 94 ans à Fort-de-France, et dont le combat contre le
colonialisme avait trouvé des échos jusqu'en Afrique et aux Etats-Unis, doit
avoir lieu vendredi dans les rues de Fort-de-France, en attendant ses obsèques
nationales que la France organisera dimanche.
La presse quotidienne rend un
hommage unanime à Aimé Césaire dont les obsèques nationales sont approuvées par
tous les éditorialistes, qui soulignent souvent la "double vie" du poète et de
l'homme politique.
Le président Nicolas Sarkozy, qui a
salué en Aimé Césaire un "symbole d'espoir pour les peuples opprimés", a fait
savoir qu'il se rendrait aux obsèques du militant
anti-colonialiste.
Et l'idée de transférer le corps du
poète et homme politique au Panthéon, le temple parisien que "la patrie
reconnaissante" voue "à ses grands hommes", était avancée par la ministre de la
Culture Christine Albanel, comme par l'ancienne candidate socialiste à la
présidence Ségolène Royal, qui fera également le voyage en
Martinique.
En attendant, c'est le peuple
martiniquais qui accompagnera et veillera vendredi et samedi "Papa Césaire", le
surnom de celui qui fut maire de Fort-de-France (1945-2001), et député
(1945-1993) pendant une durée inégalée au Palais Bourbon. Un cortège emmenant la
dépouille d'Aimé Césaire circulera dans les rues de Fort-de-France vendredi
jusqu'au stade de Dillon, où le corps sera veillé par la population jusqu'à sa
mise en terre dimanche.
Figure emblématique des Antilles
françaises, et objet d'un véritable culte en Martinique, Aimé Césaire avait été
admis le 9 avril au CHU de Fort-de-France, où il est décédé jeudi à 05h20 heure
locale (11H20 à Paris). Né en 1913 à Basse-Pointe, sur la côte nord de la
Martinique dans une famille de petits fonctionnaires, Aimé Césaire avait été
confronté très jeune à la misère de la population rurale d'une île profondément
marquée par deux siècles d'esclavage, qui avait alors le statut de
colonie.
Etudiant à Paris dans les années
1930, il avait forgé avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais
Léon-Gontran Damas, le concept de la "Négritude", la conscience de l'identité
noire, la "fierté d'être nègre" et de revendiquer ses origines
africaines.
La "négritude" avait rapidement
débordé le cadre des seuls intellectuels français pour se répandre dans les pays
colonisés, en Afrique, dans les Caraïbes, et au delà chez les militants noirs
américains en lutte pour les droits civiques. Son message avait dès lors pris un
caractère universel, notamment après la publication de son "Discours sur le
colonialisme" (1950), cri de révolte contre l'Occident, juché sur "le plus haut
tas de cadavres de l'humanité".
De tous les combats contre le
colonialisme et le racisme pendant 70 ans, l'auteur du "Cahier d'un retour au
pays natal" a consacré sa vie à la littérature et à la politique. Il avait
notamment été en 1946 le rapporteur de la loi sur la départementalisation des
territoires de Martinique, Guyane, Guadeloupe et de La Réunion. Il avait fondé
le Parti Progressiste Martiniquais (PPM) en 1958, après sa rupture avec le
PCF.
A l'annonce de son décès, les
chaînes de télévision locales ont interrompu leurs programmes pour diffuser de
la musique classique ou afficher une photo du poète.
Ségolène Royal (PS) a demandé
l'entrée au Panthéon de cet "éclaireur de notre temps". Jacques Chirac a salué
"un homme de lumière", et le secrétaire général de la Francophonie, le
Sénégalais Abdou Diouf, a exprimé la "très grande émotion" de toute la "famille
francophone".
Cette unanimité des réactions au
décès d'Aimé Césaire tranche avec l'âpreté des combats menés par le
poète-militant tout au long de sa vie. Ainsi Aimé Césaire avait-il d'abord
refusé de rencontrer M. Sarkozy lors d'un voyage prévu par ce dernier, puis
annulé, aux Antilles en 2005, en signe de protestation contre la loi de février
2005 dont un article reconnaissait "le rôle positif de la présence française
outre mer". Le poète avait finalement reçu en mars 2006 celui qui était alors
ministre de l'Intérieur, lui offrant son "Discours sur le
colonialisme".
La presse quotidienne rend un
hommage unanime vendredi à Aimé Césaire.
Didier Pourquery, dans Libération,
estime que "la grandeur de Césaire fut de prendre à bras-le-corps (les)
problèmes issus du colonialisme et de les régler au jour le jour, sans relâche".
"Poète et député, maire et visionnaire, Aimé Césaire fut l'homme de la culture
en action", conclut-il.
Dans La Croix, Dominique Quinio
célèbre "l'engagé et le rêveur, le magicien du verbe et le laboureur d'idées
(qui) fut homme de mots et homme d'action". "Il est bon que la postérité
n'oublie aucun de ses visages", écrit-il.
Xavier Panon (La Montagne) approuve
les obsèques nationales en l'honneur de cette personnalité et de "son apport
exceptionnel dans la littérature et dans la conscience
nationale".
"Entre ici, Aimé Césaire!", écrit
Didier Pobel dans Le Dauphiné Libéré en reprenant la fameuse exclamation d'André
Malraux lors du transfert des cendres du résistant Jean Moulin au Panthéon.
C'est pour Didier Pobel la place où doit reposer celui qui "fut une conscience"
et qui est "devenu une légende".
Une idée qui n'est cependant pas
reprise par Olivier Picard des Dernières Nouvelles d'Alsace: "La proposition est
belle mais l'intéressé n'en demandait pas tant". "Il doit vivre, et pas
disparaître sous des gerbes de fleurs."
Toujours à propos des obsèques
nationales du "poète vénéré de tous", Jules Clauwaert souligne dans Nord-Eclair
que "la France s'y retrouvera, métissée comme elle l'est sur les
stades".
Dans La Nouvelle République du
Centre-Ouest, Hervé Cannet entend retenir "sa voix dérangeante et revendicative,
ce +besoin de rugir+ qui portait jusqu'au plus profond de l'Afrique et de
l'Amérique".
Ce qui fait écrire à Jacques Gantié
(Le Midi Libre) qu'"un demi-siècle après son Discours sur le colonialisme, la
révolte d'Aimé Césaire ... brûle encore".
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