En Centrafrique,
la délicate sensibilisation des Pygmées face au coronavirus
La pandémie a,
pour le moment, épargné les quelque 15 000 Bayaka du pays. Mais leur mode
de vie semi-nomade les expose particulièrement à la contamination.
Une
crainte d’autant plus justifiée que la chauve-souris ou le pangolin, deux
espèces traditionnellement chassées par les Pygmées, ont été pointés du doigt
comme de potentiels réservoirs du coronavirus. « Quand nous allons faire
des enquêtes, il y a des enfants de 4 à 5 ans qui vont à la chasse et ont
vraiment des activités d’adultes. Cela veut dire que, très tôt, ils peuvent être
au contact des différents pathogènes », souligne le
scientifique.
Un
plan de sensibilisation des populations
C’est
justement pour protéger les Bayaka d’une éventuelle contamination que la
Fondation Fairmed s’active depuis le début de la crise. Coordonnateur de projet
au sein de l’organisation, Séverin Ndépété a monté en urgence un plan de
sensibilisation des populations de la région aux questions sanitaires. Une prise
en charge entravée par l’éloignement des villages et le nombre important de
campements isolés à l’intérieur de la forêt, où les Pygmées se procurent leurs
moyens de subsistance (chenilles, champignons, petit gibier,
etc.).
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Outre
la fourniture de matériel d’hygiène, Séverin Ndépété et son équipe ont dû
élaborer un dispositif pédagogique à base d’iconographie et de recommandations
orales en langue vernaculaire, les populations autochtones n’étant que très peu
alphabétisées. Il faut, en plus, « que ce travail soit fait par des gens
qui soient connus par les autochtones pour qu’ils puissent leur faire confiance.
Sinon, ils vont continuer à vivre comme ils ont toujours vécu »,
souligne Saint-Jérome Sitamon, le président de la Maison de l’enfant et de la
femme pygmées, une ONG nationale qui lutte pour les droits des populations
pygmées en Centrafrique. Une structure étrangère trop pressée courrait à
l’échec.
Présente
dans le pays depuis 1959, la Fondation Fairmed a l’avantage de bien connaître
les communautés locales. Depuis 2010, elle mène un projet de dépistage et de
soin dans la Lobaye, particulièrement pour ce qui concerne les maladies
tropicales négligées. « Au mois d’août 2019, nous avons eu une
épidémie de variole du singe dans la zone, rappelle Séverin Ndépété. Et
cette épidémie touchait majoritairement la population
bayaka. »
Des
surprises épidémiologiques
La
fondation, qui travaille avec les Bantous et les Pygmées, a recruté et formé des
animateurs dans chacune des deux communautés, parfois loin à l’intérieur du
massif forestier. Une tâche ardue : souvent les Bayaka « vivent
toujours dans la promiscuité, parfois à huit dans une hutte au sein des
campements. Nourriture, boisson, tout est consommé ensemble dans les mêmes
récipients, poursuit Séverin Ndépété. C’est difficile pour eux de se
protéger, d’avoir accès à l’eau pour se laver. » Fairmed a également
développé un système de ticket de santé, qui permet à une personne de la
communauté touchée de se soigner gratuitement.
Mais
les Bayaka ont tendance à privilégier la médecine traditionnelle, une
pratique « qui retarde parfois la prise en charge ou
l’hospitalisation », regrette Séverin Ndépété, même si cette
pharmacopée est respectée en Centrafrique, y compris au sein des communautés
bantoues voisines.
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européenne réduit son soutien au WWF, accusé de bafouer les droits des Pygmées
au Congo
« Ils
ont des racines ou des feuilles, qu’ils mâchent ou font bouillir. Et même
lorsqu’ils sont dans les formations sanitaires, où on leur donne des comprimés,
la famille n’est jamais loin, qui prépare des potions, qu’ils associent à leur
traitement »,
observe Emmanuel Nakoune, de l’Institut Pasteur de Bangui.
S’il
insiste sur la nécessité de poursuivre ces activités de sensibilisation, le
scientifique note que ces populations peuvent être surprenantes d’un point de
vue épidémiologique. « Une étude publiée dans les années 2000 montre que
13 à 13,5 % des Pygmées présentaient des anticorps à Ebola. D’autres études
plus récentes, mais non publiées, voient ces taux monter à 65, voire
70 %. » Or la Centrafrique n’a jamais connu un cas déclaré d’Ebola
sur son territoire. Cette particularité peut-elle se vérifier avec le
coronavirus ?
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Pygmées
« Nous
savons qu’il y a une immunité croisée entre la rougeole et le
coronavirus,
rappelle Emmanuel Nakoune. Or, les cas de rougeole dans la population pygmée
sont très rares, même s’ils ne sont pas vaccinés. Ce qui laisse supposer qu’ils
ont développé des anticorps. Et si on arrive à mener une enquête de prévalence
pour prouver cela, ça expliquerait aussi pourquoi il y a peu ou pas de cas de
coronavirus parmi les Bayaka. Cela pourrait faire l’objet d’une très belle
étude. »