Les
pygmées aka de Centrafrique menacés par la déforestation
06
avril 2023 - AFP
"Nous
ne vivons qu'avec les arbres qui restent", se désespère Eugène Omokomi, la mine
défaite en contemplant une parcelle de la forêt centrafricaine de Mbata, son
"foyer", décimée par l'exploitation industrielle du bois et les coupes
illégales.
Ce
pygmée aka de 55 ans vit à Mbata depuis son enfance, une commune forestière de
la région de la Lobaye, à 110 km au sud de Bangui, la capitale centrafricaine. A
Mbata, près de 40% des habitants sont des pygmées akas, un peuple de nomades
traditionnellement chasseurs-cueilleurs et une minorité ostracisée dans ce pays
d'Afrique centrale parmi les plus pauvres du monde.
Installés
depuis des siècles dans la forêt qui subvenait à tous leurs besoins (nourriture,
vêtements, pharmacopée, ils se sont sédentarisés ces dernières décennies dans
des villes et villages où la cohabitation avec d'autres ethnies est difficile.
Régulièrement victimes de discriminations, les Akas sont relégués dans les
couches les plus pauvres, souvent dans des huttes en branchage à la lisière de
villages bâtis en dur.
En
2018, une Encyclopédie des Pygmées Aka (éditions Peeters) estimait que 100.000
d'entre eux vivaient encore dans cette forêt dense et humide d'Afrique centrale,
entre le sud de la Centrafrique et le nord des deux Congo. Mais leur habitat et
leur mode de vie sont menacés par la déforestation.
"en
danger"
Selon
le Global Forest Watch, la Centrafrique a perdu 193.000 hectares de forêts
primaires humides entre 2001 et 2021, soit 21% de sa perte totale de couvert
arboré. A Mbata, c'est flagrant: depuis l'arrivée de la première des compagnies
forestières au début des années 1980, les conditions de vie des Akas se sont
dégradées. Ils avaient déjà été déracinés du cœur de la forêt dans les années
1940, dans le cadre de politique de sédentarisation imposée par la puissance
coloniale, la France.
"Les
arbres qui produisent des fruits, permettent aux légumes sauvages de pousser ou
de cueillir les chenilles (essentielles dans l'alimentation des Akas), ont été
coupés, nous sommes en danger", déplore Eugène Omokomi. Au campement aka, à
l'ombre de sa case en feuilles de palmier, Pauline Ndakpema, 70 ans, se souvient
du temps où sa famille vivait en forêt. "Je trouvais facilement des légumes
sauvages comme les yetoum" (ou gnetum), raconte-t-elle avant d'ajouter:
"Aujourd'hui, ils sont de plus en plus rares".
Igname
sauvage, tarots et autres tubercules sont aujourd'hui "très difficiles" à
trouver. Comme le gibier. "Avant, il rôdait autour du campement mais on n'en
voit plus", se désole la septuagénaire. "Avant, je pouvais cultiver mon champ
juste derrière la maison", explique aussi Mme Ndakpema, qui déplore
l'appauvrissement du sol et le changement climatique en raison de la
déforestation. Il lui arrive aujourd'hui "de rester cinq jours seule sans
manger" quand sa famille doit aller chasser plusieurs jours, toujours plus loin
en forêt.
A
quelques centaines de mètres du campement, des tas de planches de bois se
détachent des hautes herbes aux abords d'une clairière parsemée de souches
d'arbres fraîchement abattus par des bûcherons clandestins. "C'est notre seul
moyen de vivre", lance l'un deux qui opère sur ce site avec six autres. "On ne
travaille que la nuit", précise-t-il.
"Même
pour se soigner c'est difficile, les clandestins abattent aussi les arbres
médicaux et nous n'avons pas d'argent pour aller à l'hôpital", se désole Paul
Mbambali, un cultivateur. Dans la lutte contre les coupes illégales, un cadre du
ministère des Eaux et forêts, sous couvert d'anonymat, déplore un "problème de
sous-effectif et de véhicules" pour traquer les
clandestins.
Exil
La
population pygmée "ne vit que de chasse, de pêche, et de la cueillette. Son mode
de vie dépend essentiellement de la forêt", explique Lopez Dacko, président de
l'Alliance pour le développement de l'environnement et de la culture des pygmées
akas.
Certains
sont même poussés à l'exil au Congo ou en République démocratique du Congo (RDC)
voisins."Maintenant, ils sont obligés de traverser la rivière Oubangui pour
trouver une forêt dense satisfaisante" en RDC, alerte M. Dacko, qui s'inquiète
de la baisse de la population aka à Mbata.
Au
cœur de sa pépinière, Irack Mayewokoa, président du Comité villageois pour la
protection des ressources naturelles, arrose des centaines de boutures de
différentes espèces d'arbres, dont certaines en danger comme le Sapelli (habitat
privilégié des chenilles). Car "il lui faut un siècle pour grandir." "Nous avons
plus de 3.000 plants pour le reboisement", détaille ce trentenaire, mais il est
inquiet: il manque de financements pour son projet.