L’Union
européenne réduit son soutien au WWF, accusé de bafouer les droits des Pygmées
au Congo
L’appui à la création du parc naturel de Messok Dja est suspendu.
Bruxelles va passer au crible ses financements aux aires protégées en Afrique
centrale.
Le
Monde - Par Laurence Caramel Publié le 02juin 2020
Une
famille baka dans le nord du Congo-Brazzaville. SURVIVAL
INTERNATIONAL
L’Union
européenne (UE) a décidé de suspendre une partie de ses financements au
Fonds
mondial pour la nature (WWF),
en raison de manquements au respect des droits humains dans le projet de
création de l’aire protégée de Messok Dja, au Congo-Brazzaville.
La sanction,
entrée en vigueur le 17 avril, n’a fait l’objet d’aucun communiqué de
presse. Elle constitue pourtant un sévère avertissement pour la plus grande
organisation mondiale de protection de la nature et donne pour la première fois
gain de cause aux communautés autochtones du bassin du Congo menacées d’éviction
par un projet de conservation.
Interpellée
sur le contrôle des fonds qu’elle octroie, l’UE va passer en revue tous les
contrats finançant des aires protégées dans la région. Plus de 300 millions
d’euros ont été accordés dans le cadre du budget européen qui s’achève cette
année (2014-2020). « Le respect des droits humains est un des fondements
de l’Union européenne. Nous ne pouvons tolérer aucune entorse »,
explique un fonctionnaire de la Commission.
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Afrique
Messok
Dja est un projet d’aire protégée porté depuis une dizaine d’années par le WWF
dans le nord-ouest du Congo. Cette région abrite de vastes étendues de forêts
quasi intactes qui se prolongent au Cameroun et au Gabon, constituant un des
derniers sanctuaires pour les éléphants de forêts et les grands singes. A ce
titre, elle mobilise depuis longtemps, à travers le projet Tridom, l’attention
et l’argent des grands bailleurs de fonds engagés dans la protection des
écosystèmes d’Afrique centrale. Une mosaïque d’aires protégées, dont certaines
chevauchent les frontières, sanctuarise plusieurs dizaines de milliers de
kilomètres carrés. De grandes ONG internationales, à l’instar du WWF, en
assurent la gestion en appui aux gouvernements locaux, dont les moyens humains
et financiers s’avèrent insuffisants pour faire face à la pression du braconnage
de l’ivoire et de la viande de brousse.
Menaces
et mauvais traitements
Dans
ce paysage, le massif forestier de Messok Dja, d’une superficie de
1 500 km², aujourd’hui en partie exploité par des compagnies
forestières étrangères, forme un corridor écologique jugé essentiel pour le
passage de la grande faune entre le Congo et le Cameroun. Mais il est avant tout
le territoire où vivent les Baka, un peuple marginalisé de chasseurs-cueilleurs
pour lesquels l’accès aux ressources de la forêt est nécessaire pour se nourrir,
se soigner et pratiquer les rites sacrés.
Le
projet de parc a franchi une étape en 2017 avec la signature de plusieurs
contrats, dont celui avec l’UE, d’un montant de 1 million d’euros, pour
« la conservation et la gestion participative de l’aire protégée de
Messok Dja et de sa périphérie ». Dans le document signé par le WWF et
le délégué de l’UE à Brazzaville, l’accord des populations pygmées constitue une
des conditions à l’aboutissement du projet. Celles-ci doivent donner un
« consentement libre, informé et préalable », en référence à la
Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui vise à
prévenir la spoliation de terres ou de ressources
naturelles.
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un rapport de l’ONU déplore une « discrimination systémique » des
Pygmées
Or
l’UE, après avoir mandaté sur le terrain l’Observatoire congolais des droits de
l’homme (OCDH) pour vérifier les allégations exprimées par plusieurs Baka sur la
violence des écogardes sous la supervision du WWF, conclut qu’il existe
« des failles » dans le processus de consultation. Auparavant,
des ONG congolaises et l’association de défense des peuples autochtones Survival
International avaient déjà alerté à de nombreuses reprises sur les menaces et
les mauvais traitements que subissent ces populations.
Des
représentants des Baka avaient directement interpellé la Commission dans une
lettre adressée en août 2019 : « Cela fait des années et des
années que des écogardes financés par le WWF sont arrivés chez nous. Ils nous
interdisent de chasser pour nourrir nos familles. Ils nous interdisent d’entrer
dans notre forêt. […] Ils nous ont parlé de la limite du parc. Mais
personne n’est venu nous demander notre consentement »,
écrivaient-ils.
« Manque
de compréhension »
Il
est probable que la plainte déposée auprès du Programme des Nations unies pour
le développement (PNUD) par six communautés baka vivant à proximité de Messok
Dja, en 2018, ait aussi motivé la décision de la Commission européenne. Le
PNUD appuie également le projet d’aire protégée. Les conclusions de l’audit mené
par le bureau indépendant chargé du respect des normes sociales et
environnementales dans les projets financés par l’agence onusienne, rendues
publiques le 10 mars dans un rapport préliminaire, confortent les critiques
à l’encontre du WWF. Ses auteurs déplorent de la part de l’ONG un
« manque de compréhension » de ce que devrait être un processus
de consentement préalable.
Le
WWF a essayé de faire face aux accusations en faisant appel à d’autres ONG pour
l’aider à retisser un dialogue avec les populations locales. Un projet
d’« appui à la mise en œuvre du consentement libre, informé et
préalable » a ainsi été rédigé par Brainforest, le Comptoir juridique
junior et le Cercle des populations autochtones de la Sangha. Fin 2019, une
rencontre avec les représentants de 35 communautés sur les 37 concernées
par la création de l’aire protégée a été organisée, en présence des autorités
gouvernementales et d’observateurs de la société civile.
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Le Monde Afrique
« Nous continuons de travailler pour
la protection
des forêts
de Messok Dja. Le territoire dont nous parlons est extrêmement reculé, avec
une densité de population proche de 1 habitant/km². Aucune ONG locale n’est
directement présente. Les seuls acteurs sur le terrain sont le gouvernement, les
compagnies forestières et les communautés. Nous parlons avec chacun d’entre eux
pour essayer de trouver un équilibre entre la conservation et un développement
durable pour la population »,
plaide-t-on au siège du WWF, en Suisse.
Mais
ces efforts arrivent trop tard. La Commission européenne considère que le WWF
n’a plus la légitimité pour mener le processus de consultation et souhaite qu’il
soit fait appel à un organisme indépendant. Celui-ci devra travailler avec le
ministère de la justice congolaise, chargé de l’application de la loi sur les
droits des peuples autochtones. Le WWF continuera de bénéficier de financements
européens pour aider le gouvernement à lutter contre le braconnage. Mais il
n’est plus question d’apporter un soutien à la création du parc de Messok Dja
tant que les Baka n’auront pas donné leur consentement, après avoir été
réellement écoutés.
Laurence
Caramel
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/02/l-union-europeenne-reduit-son-soutien-au-wwf-accuse-de-bafouer-les-droits-des-pygmees-au-congo_6041555_3212.html