Des artistes s’engagent pour promouvoir l’Histoire générale de l’Afrique

 

Dossier Grand Anble

Le 7 octobre 2015, l'UNESCO lance une Coalition internationale d'artistes appelée à soutenir la promotion d'un ouvrage de référence qui reste peu connu du grand public : l'Histoire générale de l'Afrique.

Pour quelles raisons ce réseau a-t-il été formé et quelle est sa mission ? Son porte-parole, le musicien congolais Ray Lema nous l’explique, après un bref rappel du contexte.

Faire entendre les messages de l’Histoire générale de l’Afrique

L’UNESCO s’attaque sur tous les fronts au problème de la diffusion des connaissances de l’histoire du continent africain. La Coalition des artistes est là pour soutenir l'Organisation dans la promotion de l'« Histoire générale de l'Afrique », déclare Ray Lema.

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Une aventure inédite

Une Coalition internationale d’artistes est lancée par l’UNESCO, le 7 octobre 2015, pour soutenir la promotion d’un ouvrage de référence qui reste peu connu du grand public : l’Histoire générale de l’Afrique. Pour quelles raisons ce réseau a-t-il été formé et quelle est sa mission ? Son porte-parole, le musicien congolais Ray Lema nous l’explique dans une interview publiée dans ce même dossier. Ci-dessous, un bref rappel du contexte.

Nous sommes en plein dans la période des indépendances des pays africains, dans les années 1960. L'UNESCO se lance dans une aventure inédite: confier aux historiens africains la tâche de rédiger l'histoire de leur continent, perpétuée jusque-là essentiellement par la tradition orale.

Autour de la table, un Comité scientifique pour la rédaction de l'Histoire générale de l’Afrique, composé de deux tiers d'Africains : J. F. Ade Ajayi (Nigéria), Amadou Hampaté Bâ (Mali), Cheikh Anta Diop (Sénégal), Mohamed El Fasi (Maroc), Josef Ki-Zerbo (Burkina Faso), Gamal Mokhtar (Egypte), Djibril Tamsir Niane (République de Guinée), Théophile Obenga (République du Congo), Bethwell Allan Ogot (Kenya), et 30 autres spécialistes venus d'Afrique, des Caraïbes, des Amériques et d'Europe.

Fruit d’un travail titanesque, les huit volumes de l’Histoire, rédigés par quelque 350 spécialistes, totalisent près de 10.000 pages et portent sur plus de trois millions d'années de civilisation. Le projet est novateur à plus d'un titre.

Pour la première fois, la plume est entre les mains des Africains, qui partagent une vision continentale de l'histoire. L'ouvrage peut ainsi devenir « un élément capital pour la reconnaissance du patrimoine culturel africain et mettre en évidence les facteurs qui contribuent à l'unité du continent », comme l'affirme, dans l'introduction du premier volume, l’historien kényan Bethwell Allan Ogot, président du Comité scientifique.

La tradition orale, comme source légitime d'histoire, gagne enfin ses lettres de noblesse au sein de la communauté scientifique mondiale. Les travaux des pionniers africains avaient porté leurs fruits, comme par exemple les recherches de Djibril Tamsir Niane sur le Mali médiéval, qui révélaient, dès 1958, le rôle d’archivistes joué par les griots dans en Afrique de l'Ouest.

Cependant, « pour faire la part des choses, l’historien doit comparer ses sources et faire des recoupements », déclarait plus tard l'historien guinéen, dans une interview accordée au Courrier de l’UNESCO, en 2009.

Cette année-là l’UNESCO lançait la deuxième phase du projet, à savoir l’utilisation pédagogique de l’Histoire générale de l’Afrique.

Enseigner l'histoire de l'Afrique

En effet, bien que les huit volumes soient intégralement publiés en anglais, français et arabe, et que des versions abrégées existent dans 10 langues dont trois africaines (kiswahili, hausa et peul), ce « monument d’érudition, difficile d’accès », selon les mots d'Elikia M’Bokolo, n’a toujours pas percé dans les manuels scolaires, pas plus en Afrique qu’ailleurs. Raison pour laquelle l'historien congolais a accepté de présider le Comité scientifique chargé de promouvoir l’utilisation pédagogique de l’ouvrage

Dans cette deuxième phase, trois principaux défis sont à relever, estime l'anthropologue djiboutien Ali Moussa Iye, coordinateur du projet à l'UNESCO. Un défi pédagogique: puiser dans les huit volumes de l'Histoire des contenus éducatifs communs à l'intention de tous les élèves africains du primaire et du secondaire. Un défi politique: intégrer ces contenus communs dans les différents systèmes éducatifs en Afrique. Et un défi financier : convaincre les Etats de l'Union africaine de délier les cordons de leurs bourses.

« L'UNESCO travaille actuellement sur le neuvième volume de l’Histoire », ajoute-t-il, « visant à actualiser le contenu déjà publié et à mettre en relief les nouveaux défis que rencontrent l'Afrique et ses diasporas ».

Rendre l'histoire de l'Afrique accessible aux jeunes

Parallèlement aux voies institutionnelles, l'UNESCO est en train de créer un réseau d'artistes, venus d'Afrique et d'ailleurs, appelés à sensibiliser la jeunesse aux messages véhiculés par l’Histoire générale de l’Afrique. Par leur engagement de leaders d'opinion et par leurs créations artistiques, ces membres de la nouvelle Coalition s'efforceront également à convaincre les décideurs politiques de l'intérêt que représente pour l'ensemble du continent l'enseignement du patrimoine partagé des peuples africains.

Déjà en 1979, l’historien burkinabais Joseph Ki-Zerbo, affirmait dans le Courrier de l’UNESCO : « Tous les maux qui frappent l'Afrique aujourd'hui, ainsi que toutes les chances qui s'y révèlent, résultent de forces innombrables propulsées par l'histoire ». Et le directeur du premier volume de l’Histoire, qui allait paraître l'année suivante, de poursuivre : « A moins d'opter pour l'inconscience et l'aliénation, on ne saurait vivre sans mémoire, ni avec la mémoire d'autrui. ».

Le musicien congolais Ray Lema a bien entendu son message. « Les dégâts de l'histoire sont très profonds et ils minent l'Afrique », déclare-t-il dans une interview accordée à l'UNESCO à l'occasion du lancement de la Coalition dont il est le porte-parole. « Pour nous, les Africains, il est vital de connaître notre passé pour panser les blessures qu'il nous a infligées et retrouver la foi en nous-mêmes. C'est fondamental pour surmonter le paradoxe du continent africain : être si pauvre, quand il est si riche ».

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Faire entendre les messages de l’Histoire générale de l’Afrique

Source : UNESCO - 07 Octobre 2015 (Interview)

Ray Lema au Festival des Voix Polyphoniques, Calvi Cathedrale, septembre 2013 - © Denis Derond

« Un proverbe africain dit : Si tu ne sais pas d'où tu viens, comment saurais-tu où tu vas ? Eh bien, l’Histoire générale de l’Afrique nous explique d’où nous venons ! », déclare Ray Lema, qui salue l’initiative de l’UNESCO de se battre sur tous les fronts pour rendre cet ouvrage accessible au grand public. Le musicien congolais est le porte-parole de la Coalition des artistes qui se chargent de promouvoir l'ouvrage. Il expose ici les raisons de son engagement.

Vous êtes le porte-parole de la Coalition internationale des artistes pour la promotion de l’Histoire générale de l’Afrique, lancée par l’UNESCO le 7 octobre 2015. Quelle importance revêt à vos yeux cet ouvrage ?

En tant qu'Africain, je suis absolument impressionné par le travail que l'UNESCO a entamé au moment des indépendances des Etats africains, dans les années 1960 : jamais encore personne n'avait eu l'ambition de réunir autant de spécialistes africains de renom pour faire une œuvre aussi monumentale qu'est l’Histoire générale de l’Afrique. Des personnalités comme Hampaté Bâ, Anta Diop, Ki-Zerbo, Tamsir Niane sont des icônes de l'histoire africaine. Ils avaient déjà fait un travail extrêmement précieux pour la reconnaissance de la civilisation africaine sur la scène mondiale. Mais l'UNESCO a eu le mérite de les réunir et le courage de se lancer dans une entreprise pharaonique : rédiger l'histoire commune du continent africain de la préhistoire à nos jours. Ca ne s’était jamais vu !

Aujourd’hui, à chaque fois que je lis un chapitre de cette Histoire, c'est un pan de moi-même qui se dévoile à mes yeux. Pour nous, les Africains, il est vital de connaître notre passé pour panser les blessures qu'il nous a infligées et retrouver la foi en nous-mêmes. C'est fondamental pour surmonter le paradoxe du continent africain : être si pauvre, quand il est si riche.

Quel est le rôle de la Coalition ?

Il faut reconnaître que l’ouvrage pour être savant, extrêmement fouillé et documenté, n'est pas adapté au grand public. Chacun des huit volumes compte entre 800 et 1000 pages. A moins d’être historien ou chercheur soi-même, on n’entame pas la lecture sans quelque hésitation.

C’est pourquoi, j’estime que l'UNESCO a tout à fait raison de se lancer aujourd'hui dans un travail de vulgarisation de l’Histoire générale de l’Afrique, pour la rendre accessible à la jeunesse africaine et au public en général.

Nous, les Africains, avons besoin de comprendre qui nous sommes, de retrouver notre fierté, notre foi en nous-mêmes. Ce travail n’a pas encore été fait.

Un proverbe africain dit : « Si tu ne sais pas d'où tu viens, comment saurais-tu où tu vas ? ». Eh bien, l’Histoire générale de l’Afrique nous explique d’où nous venons ! Voilà pourquoi il est si important que les messages de cet ouvrage soient entendus par les peuples africains et notamment par les jeunes.

C’est à ce niveau là qu’intervient la Coalition : les artistes, qui sont par définition proches du peuple, ne sont-ils pas les plus indiqués pour faire passer ces messages ? Nous devons transmettre aux jeunes les valeurs véhiculées par l’Histoire générale de l’Afrique.

Quels sont vos propres projets concrets pour la promotion de l’ouvrage ?

Je voudrais dire avant tout qu’à mon avis, le travail de cette Coalition est de longue haleine. Il ne s’agit pas de faire des pirouettes, du sensationnalisme ! Nous devons procéder calmement, posément et surtout très consciencieusement.

Une préparation préliminaire est nécessaire avant que les artistes se lancent dans la promotion de l’ouvrage. Nous avons besoin de l’UNESCO pour nous aider à extraire les idées clés de l’Histoire générale de l’Afrique, les messages que nous allons ensuite véhiculer par l’intermédiaire de nos œuvres. L’artiste a besoin d’une étincelle qui va provoquer la naissance d’une œuvre – c’est ce qu’on appelle une inspiration. Une fois qu’il se sera approprié ces messages, une fois qu’ils seront en lui et feront partie de lui, ils pourront devenir source d’inspiration. Et dès qu'on a l'inspiration, tout devient facile.

A l’heure actuelle, donc, mon projet est de sensibiliser avant tout les artistes à l’importance d’une meilleure connaissance de l’histoire de l’Afrique et de ses cultures. En mars 2016, je participe à la 9e édition du Marché des arts du spectacle africain (MASA), à Abidjan, en Côte d’Ivoire. En toute modestie, je dois dire que je suis l’invité d’honneur du festival et que je compte bien me faire entendre par mes compatriotes africains, mais aussi par mes confrères de la diaspora.

Vous êtes connu pour accorder à l'éducation une place prioritaire dans toutes vos démarches. Que pensez-vous du projet que l’UNESCO développe pour l'utilisation pédagogique de l’Histoire Générale de l’Afrique ?

L’UNESCO s’attaque sur tous les fronts au problème de la diffusion des connaissances de l’histoire du continent africain. La Coalition des artistes est là pour soutenir aussi un projet politique visant à intégrer les mêmes contenus d’apprentissage dans tous les systèmes scolaires à travers le continent. Ce n’est pas une mince affaire, je dois l’avouer.

Nous savons que les membres de l’Union africaine se sont engagés à intégrer ces contenus à leurs programmes scolaires nationaux, mais cet engagement doit maintenant se traduire dans les faits.

Or, les dirigeants africains n’affichent pas toujours une vision globale et panafricaine du passé, du présent et de l’avenir du continent. On a même parfois l’impression que certaines politiques politiciennes veulent enfermer les Africains dans une mentalité tribale.

Comment se manifeste-t-elle dans les sociétés africaines modernes ?

Je vais vous donner un exemple. En 1974, Kinshasa était l’hôte d’un match de boxe mémorable entre Mohamed Ali et le champion du monde George Foreman. A cette occasion, la Présidence de la République avait souhaité créer un Ballet national dont je suis devenu le directeur musical. Cela m’a permis de parcourir de long en large mon pays qui fait, ne l’oublions pas, près de deux millions et demis de kilomètres carrés : 80 fois la taille de la Belgique ! Nous avons quelque 250 ethnies composées, chacune, de plusieurs tribus, qui parlent une bonne cinquantaine de différentes langues ou différents dialectes.

Voilà dans quelle aventure je m’étais lancé : sélectionner une soixantaine de musiciens parmi vingt millions d’habitants ! C’était chercher l’aiguille dans le foin, car dans mon pays, tout le monde fait de la musique. Traditionnellement, dans l'univers congolais, il n’existe pas de catégorie professionnelle de musiciens, comme c’est le cas en Afrique de l’Ouest, par exemple. Chez nous, la musique appartient à tout le monde.

Tant bien que mal, j’ai fini par réussir et faire venir mes musiciens à Kinshasa. Nous avons répété durant six mois, pour apprendre à jouer ensemble. Eh bien, figurez-vous que presque systématiquement, après chaque répétition où une ethnie était au centre pendant que les autres devaient apprendre à jouer ses rythmes à elle, quelqu'un venait me voir pour me dire « ils ne sont pas mal, mais vous allez voir quand notre tour viendra, ce sera quand même autre chose ! ». Cette attitude m'avait irrité : comment allons-nous créer un grand ballet national quand les gens ne savent pas s'écouter les uns les autres !

Ceci n’est qu’une illustration, dans mon domaine de compétences, du manque d’écoute et d’entente mutuelles dont souffre l’Afrique.

Cela dit, cette même aventure m’a permis de comprendre que mes compatriotes ne mesuraient pas du tout la musique comme j’avais l’habitude de le faire, ayant été formé à l’école occidentale. A force d’essayer de comprendre pourquoi ils entendaient ce que je n’entendais pas et pourquoi j’entendais ce qu’ils n’entendaient pas, j’ai fini par apprendre moi-même à jouer du tambour. De professeur, je suis devenu élève, pour finir « maître tambour » !

Mais pour réussir, il a fallu prendre la peine d'apprendre la musique de l'autre, c’est-à-dire vouloir écouter, comprendre et aller au bout de la démarche.

Votre projet d’Université panafricaine de la musique met également en valeur l’idée d’une Afrique unie sur le plan culturel. Qu’en est-il de sa réalisation ?

Fonder une institution académique qui réunirait éducation et recherche dans le domaine de la musique en Afrique est un rêve que je caresse depuis une bonne dizaine d'années ! C'est l’expérience du Ballet national qui m'en a inspiré l'idée. Les musiciens et danseurs que j'avais engagés étaient de véritables génies, mais ils n’étaient pas tous très jeunes et au fil du temps, l’un ou l’autre quittait ce monde, sans laisser de traces derrière lui. Il transmettait son savoir-faire, certes, mais toute sa production disparaissait avec lui.

La première mission de cette Université serait d'enregistrer et d'archiver les musiques traditionnelles. Cette démarche me paraît vitale pour notre culture. Autre mission : former des professeurs pour transcrire et enseigner ces musiques. Cela permettrait aux étudiants africains de trouver en un seul endroit des musiques de tout leur continent. Ces étudiants ne seraient pas des Ghanéen, des Burkinabais, des Congolais… mais des Africains. A mon sens, une jeunesse d'Afrique qui se sent africaine, c'est le point de départ de la véritable unité du continent.

Pour l’instant, ce rêve n’a pas abouti. J’avais entrepris de voyager à travers le continent, accompagné de musiciens africains, caribéens et européens. Mais les fonds qui m’étaient accordés par la France se sont avérés insuffisants…

Je dois reconnaître que, même si je fais ce genre de rêves, je suis avant tout un musicien. J'adore mon piano. J'adore être sur scène. Je ne veux pas me transformer en pédagogue politicien.

Sur scène, vous-vous êtes produit avec des musiciens du monde entier, allant des Voix bulgares à l’Orchestre symphonique de Wuhan, en passant par les musiciens gnaoua d’Essaouira et le guitariste brésilien Chico César. Que vous apporte cette expérience internationale ?

Principalement deux choses : l'humilité et l’excellence.

L’humilité, d'abord. Quand je rencontre de grands musiciens venant d’autres cultures, j’ai envie de les prendre dans mes bras, tout comme lorsque je rencontre de vieux maîtres africains, j'ai envie d'embrasser leurs pieds. Leur virtuosité me fascine et me rend humble.

Si tu n'admires pas un autre artiste, tu n'as aucune motivation pour avancer. Le vrai moteur pour un artiste, c'est de savoir admirer l'autre.

Il m’arrive de découvrir une musique et de l’étudier pendant de longs mois avant d’appeler l’auteur, même si je ne le connais pas personnellement, pour lui proposer de jouer ensemble. Et là, nous nous rendons compte que d’où de nous venions, nous parlons la même langue. Ce sont des moments qui valent la peine d’être vécus, croyez-moi !

C'est le même miracle qui se produit avec le public, où que l’on soit dans le monde. Je me souviens d'un concert mémorable au Japon où le public, un peu austère au début, a littéralement été happé par notre rythme africain. Je me suis dit que le rythme africain, c’était un « méchant » piège ! Mais en fait, on le sait bien : il ne s’agit pas de piège, il s’agit d’excellence.

Et j’en viens à la deuxième grande leçon que m’a enseignée l’expérience internationale. Qu’il s’agisse d’une rencontre avec un autre musicien ou avec un public culturellement éloigné de tes racines, tu dois toujours être entier ! Si tu arrives « à moitié », l’autre ne t’acceptera pas.

 

Source : UNESCO, Dossier Grand Angle - 7 octobre 2015