Invitation/Communiqué de presse

 

L'art, la culture et le politique au Cameroun

 

«Le mot « art », dans toutes les civilisations, embrasse toutes les représentations du génie créateur d’un peuple qui tendent à exprimer la vision du monde de ce peuple à partir des valeurs du cœur et selon un idéal que tout le peuple, sous un nom ou sous un autre, désigne comme étant le beau », Engelbert Mveng-B.L. Lipawing, théologie, libération et cultures africaines, Yaoundé/Paris, Clé/Présence africaine, 1997, p. 160.

« La culture est d’abord conception du monde, de l‘homme, de Dieu, propre à un peuple donné et à partir de laquelle ce peuple essaie d’organiser sa vie de tous les jours, d’organiser le monde dans lequel il vit et d’organiser son propre système de pensée. […] Le culturel est par conséquent antérieur à l’économique et la condition sine qua non de toutes les autres valeurs », Engelbert Mveng-B.L. Lipawing, op. cit., p.58.

 

A l’occasion de la 30e édition de La Grande Palabre, le groupe Samory, éditeur de Germinal et ses partenaires (Harmattan Cameroon, La Fondation Gabriel Péri, Dynamique citoyenne, le quotidien Le Messager, Radio Cheikh Anta Diop, Addec et Human Rights Initiatives (HRI)), vous invitent à prendre personnelleent part à la réflexion (conférence-débat) qu’ils organisent à Yaoundé, le jeudi 29 août 2013, l’hôtel Franco, sis en face du collège Matamfen, à 14h sur le thème:

 

L'art, la culture et le politique au Cameroun

Contexte
Au milieu des années 80, quelque temps après l’accession de M. Paul Biya à la magistrature suprême, se déclenche la crise culturelle stupéfiante que l’on a nommée « la guerre entre le Makossa et le Bikutsi ». Jamais dans l’histoire du Cameroun post-indépendance, on n’avait entendu parler de « guerre » entre des genres artistiques, que ce soit en littérature, en musique, au théâtre, en peinture, en sculpture ou au cinéma. Eu égard à la multiplicité de nos langues et cultures, et aux nombreuses influences africaines et internationales que subissaient inévitablement les artistes et hommes de culture depuis la période coloniale, il y avait, certes, des rivalités normales entre diverses écoles littéraires et artistiques. Ces saines et bienheureuses rivalités nourrissaient et faisaient grandir la culture et l’art camerounais. Au théâtre, par exemple, de nombreuses théories ont été avancées et illustrées sur les planches dans les années 70-80 : Naturalisme scénique (Joseph Kengni), Théâtre englobant (Joseph Tagne et Jean Sakou), Théâtre africain (Daniel Ndo), Théâtre narratico-dramatique (Jacqueline Leloup et le Théâtre Universitaire), Théâtre épique de la distanciation (Kumé Talé et Ghonda Nounga), et autres recherches du juste milieu (Mono Ndjana). Toutes ces théories stimulaient, à un niveau élevé, un débat qui avait cours alors entre les praticiens du théâtre eux-mêmes, souvent dans les bars et gargotes de nos villes.

À contrario, l’étrange « guerre » entre le Makossa et le Bikutsi mettra aux prises, non pas les musiciens qui protestaient à tue-tête de l’excellence de leurs relations cordiales et mutuelles, mais plutôt des intérêts extra-artistiques qui, comme on s’en apercevra plus tard, visaient leurs propres intérêts au détriment de ceux de la culture et de l’art camerounais.

Un peu plus d’un siècle plus tôt, la colonisation, se servant de l’Église et de l’École comme béliers, chevaux de troie et bras armés idéologiques de son entreprise, s’était attaquée aux cultures nationales camerounaises pour leur substituer les siennes. Aux formidables Écoles de la pensée libre, vivante, vivifiante, homogène et autocentrée qu’étaient les épopées de Mvet ou de Hilun par exemple, le Colon substituait ses propres littératures, arts et cultures. Il s’agissait pour le colonisateur, de définir les objectifs et les méthodes de son projet scolaire, culturel et idéologique, c’est-à-dire de trouver les voies et moyens pour dompter les esprits, former des auxiliaires indigènes serviles, sans feu ni lieu, indispensables au rendement de son entreprise sans pour autant produire des intellectuels avisés capables d’apprécier la réalité profonde du moment et d’anticiper les événements et les temps futurs. Plus tard, sous le régime d’Ahmadou Ahidjo, les lois sur la subversion musèleront l’art et l’aseptiseront comme pour prolonger la colonisation dans le cadre de ce nouveau colonialisme dénommé néocolonialisme. Les écrivains, artistes et hommes de culture devront user de toutes sortes de ruses, d’astuces et d'artifices pour éviter les foudres du pouvoir dominant. Les associations libres comme l’Association des poètes et écrivains camerounais, dirigée par le marxiste René Philombe (APEC), seront vues d’un œil soupçonneux et ne recevront aucune assistance de la part de l’État néocolonial. Sous le Renouveau,  l’émasculation des artistes et hommes de culture s’est poursuivie.

À l’évidence, l’art et la culture sont les parents pauvres du Renouveau. Après 31 années de règne du président Paul Biya, artistes et hommes de culture – Jean-Pierre Bekolo, Lapiro de Mbanga, le jeune cinéaste Fouofié Djimeli Richard, etc.- continuent d’être surveillés, harcelés, emprisonnés, kidnappés et torturés ;  les réalisations dans les domaines de l’art et de la culture sont maigres (fermeture des salles de cinéma, absence de Centres culturels et de lieux de culture, etc.). C’est à juste titre que ceux-ci ploient sous le faix des regrets et de la désolation. Rien d’étonnant que certains monuments offrent une image hideuse ou sont devenus soit des lieux d’habitation des fous et autres Sans domicile fixe (SDF), soit des objets de célébration du désastre (culturel) camerounais. On ne saurait occulter le gâchis permanent observé au ministère des Sports et de l’Éducation civique où toute l’attention est focalisée sur le football (et davantage sur les Lions (in)domptables), au ministère de l’Art et de la Culture où tous les chefs de département qui s’y sont succédé, jusqu’il y a quelque temps, n’en faisaient que pour le droit d’auteur.

Cette situation, qui suscite un questionnement, ne peut laisser indifférentes les âmes sensibles conscientes du statut de la langue comme véhicule d’une vision du monde ; du rôle de la culture dans l’émergence des communautés, la prise de conscience des enjeux actuels et à venir et dans le façonnement de l’homme.

Quel plaisir, de quel bilan peut se prévaloir le président Paul Biya, si le pays qu’il dirige depuis 1982, se plait à effacer facilement les traces de dignes ambassadeurs de sa culture comme : Engelbert Mveng, Mongo Beti, René Philombe, Eboa Lotin, Francis Bebey, Chèr ami, Oncle Medjo Messom, Jean Bikoko Aladin, Jean Miché Kankan, Massa Batrie,…Ferdinand Léopold Oyono? Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, connaissant sans doute son ami personnel, « Le vieux nègre », de son vivant, avait, pour s’immortaliser, construit un monument dans son village natal Ngoazip. Combien de temps faudrait-il attendre pour que la mémoire des artistes et hommes de culture qui ont tout donné pour la gloire du Cameroun soit officiellement reconnue non pas par des confettis et feux d’artifice lancés à l’occasion de beuveries et autres fêtes de glorification et/ou d’autoglorification du leader providentiel, mais à travers des symboles et des représentations qui les éternisent dans la mémoire collective ?

En considération du bref historique sus-esquissé, faut-il continuer à croire aux théories de la liberté intrinsèque de l’artiste et de l’homme de culture ? L’art et la culture sont-ils libres des déterminations politiques et sociales qui font toutes autres choses au sein de la société ? Quel lien y a-t-il entre les arts, la culture et la vie sociale ? Que penser de la notion d’« art pour l’art » et de « culture pour la culture » dans un pays assujetti comme le Cameroun ? La perte des valeurs constatée au Cameroun à l’époque actuelle n’est-elle pas la résultante de la ruine de nos arts et de nos cultures ? Cette ruine n’entraine-t-elle pas, de facto, l’appauvrissement culturel et psychologique, et la zombification des Camerounais ? Cette destruction progressive ne favorise-t-elle pas la gondwanisation du Cameroun ? Les artistes et les hommes de cultures ne doivent-ils pas entrer en politique pour libérer et sauver leur secteur d’activités ? En un mot, pour parodier le philosophe Guillaume-Henri Ngnépi, l’art et la culture peuvent-ils survivre dans une société corrompue ?

 

Les axes de discussion

1. La répression des arts et de la culture comme réminiscence d’un passé douloureux et comme frein à l’émergence d’une industrie culturelle au Cameroun. (Parol Sosthène, producteur )

2. Significations politique et sociale de la « guerre » entre le Makossa et le Bikusti sous le régime de Paul Biya (Mathias-Eric Owona Nguini, socio-politiste )

3. L’art et le politique comme idéologies (Guillaume-Henri Ngnépi, philosophe)

4. Les bases matérielles et sociales d’une nouvelle culture camerounaise (Ghonda Nounga, écrivain, artiste et militant politique)

5. L’engagement politique et citoyen de l’artiste (Valséro, artiste-musicien)

Modérateurs : Jean-Bosco Talla et Francis Mbagna

Contact: +237 77 31 48 98

En direct sur les ondes de Radio Cheikh Anta Diop, FM 101.1