Recension d’ouvrage : Jean-Bosco Péléket, Afrique où vas-tu ? Chronique d’une espérance. Essai, Elzévir, Paris, 2008, 300 pages, Prix : 15 Euros, ISBN : 978-2-8114-0041-5.

 

 

Notice autobiographique.

 

***Jean-Bosco PELEKET est de cette génération d’Africains, née sous la colonisation, trop jeune pour souffrir des affres mais assez grand pour en subodorer les blessures et comprendre les humiliations d’autant que, celle qui l’a élevé était une partisane de Barthélemy BOGANDA, c'est-à-dire, une farouche patriote et indépendantiste. Le rêve de JB PELEKET de devenir pilote professionnel d’avion s’est écroulé, face au refus de ses parents de le laisser entrer à l’école de l’air en France, il dut bifurquer vers les sciences économiques et l’administration hospitalière.


Il fut chargé, à son retour de Paris, de la relève des coopérants français, de gérer le Centre Hospitalier National de Bangui. Il sut insuffler à ce principal établissement de santé de la République Centrafricaine, un développement et un dynamisme restés légendaires. Après l’exécution par Jean-Bedel Bokassa, de Alexandre BANZA, ministre de la santé (pour qui le jeune cadre avait un grand respect et une grande estime), accusé de coup d’état, JB PELEKET se replia en France en 1971, près de sa famille de Bretagne.

Une belle occasion pour parfaire ses connaissances et égrainer des diplômes, notamment diplôme de directeur d’hôpital (de l’Ecole Nationale de la Santé), santé et nutrition (de l’IEDES) et doctorat en économie de la santé.


Jean-Bosco PELEKET a été Assistant, puis Attaché de direction et Directeur-adjoint dans un certain nombre d’établissements publics de santé en France. Il a assumé notamment la direction des services financiers, des services économiques et des travaux, y compris de restructuration architecturale et d’agrandissement des structures, du service informatique et communication, du service des affaires juridiques et de la communication.

Pour autant, l'homme ne s’est jamais départi de son pays d'origine. Ses interventions dans les médias sur la RCA et l'Afrique en témoignent.

A la retraite depuis le 1er juillet 2011, il passe son temps libre à lire des livres, à écriture des articles, à voyager en Europe et en Amérique.

Son vœu le plus cher, est de pouvoir contribuer à la transmission des connaissances professionnelles à des collègues Africains, dans le cadre d’association ou d’ONG mais bien évidemment, dans les pays en paix.

 

Recension de l’ouvrage.

Je m’appuie sur les notes que l’auteur m’a écrites en guise de dédicace à l’exemplaire qu’il m’a remis en janvier 2013 dans sa maison familiale de Montreuil dans la région parisienne : « Pour Benoît, cette porte ouverte sur un parcours vite phagocyté par les supplétifs de la Françafrique. Je reste debout malgré tout, déterminé plus que jamais à transmettre aux jeunes les leçons de l’histoire et la foi en l’Afrique. Bien fraternellement, Jean-Bosco Péléket ». Oui ces paroles donnent le ton juste et la cadence narrative à cet essai autobiographique de Jean-Bosco Péléket. D’entrée de jeu, il décline brièvement (les peuples d’eau, les Ngbandi ou Yakoma avaient la haute main sur les circuits économiques tout le long du fleuve et les affluents de l’Oubangui et du Congo, p. 24).

Avec une grande capacité évocatrice et cathartique des événements qui ont jalonné sa vie, depuis son village natal jusqu’en France (Paris, Nantes, région  parisienne, puis dans la région parisienne comme directeur adjoint d’hôpital de Montreuil), Jean-Bosco-Péléket retrace et relit la gestion politique chaotique de son pays, la République centrafricaine à travers les turpitudes et les folies de différents dictateurs qui s’y sont succédé, et la satellisation des principaux acteurs politiques par les réseaux tentaculaires et mafieux de la Françafrique, toujours active dans la crise actuelle qui paralyse ce grand pays potentiellement riche de l’Afrique centrale et dont la majorité de la population croupit dans la pauvreté, la misère et le dénuement croissant. La figure la plus folle, la plus sanguinaire et la plus criminelle de cette tragédie épique centrafricaine est le sinistre empereur Jean Bedel Bokassa qui fut déposé par son ami Valéry Giscard d’Estaing à qui il donnait des diamants et d’autres trophées de chasse durant ses années de dictature.

Dans un style concis, clair, coloré et poétique, l’auteur nous fait découvrir les immenses richesses que Dieu a pourvues à ce grand pays de l’Afrique centrale en dépit de la situation actuelle de la paupérisation continuelle de la grande majorité de ses populations. Jean-Bosco Péléket reste solidement arrimé à ses origines paysannes et parle de son village natal avec une grande charge émotive et poétique : « Nous étions à l’embouchure du Mbomou et de l’Uélé. Les deux cours d’eau se rejoignent et forment à cet endroit l’Oubangui, large de près de deux kilomètres… La remontée du fleuve se fit tambour battant. Notre équipage était en pleine forme. Il balançait l’eau à pleine pagaie, de manière synchronisée et à un rythme régulier. Nous nous retrouvâmes à Wasso, la pointe de terre qui veille, imperturbable, depuis la nuit des temps, sur l’union de Mbomou et de l’Uélé. Au loin derrière nous, se trouvait une île où le soleil était comme accroché sur la pointe avancée de terre. Les eaux semblaient figées. Le fleuve immensément plat renvoyait de son reflet d’argent le spectacle du ciel et de la terre. Le silence était total. J’étais subjugué. Dieu comme l’Afrique est belle. » (pp. 155-156).

L’auteur est conscient des immenses richesses de son pays, et de l’Afrique en général, et pose en filigrane la question de la responsabilité intellectuelle, éthique et politique des Africains dans le désastre actuel du continent sur tous les plans de la vie humaine. Son ouvrage raconte comment il a quitté son village  - échappant ainsi au dur métier de la terre et de la pêche - pour entrer à l’école primaire (l’école du savoir écrit des Blancs) à Bambari (ville carrefour des principales axes routiers du pays) jusqu’à ses études universitaires à Paris durant les années 60. Il fut un témoin actif des révoltes estudiantines, ouvrières et sociales en mai 1968 à Paris. Ce fut aussi pour lui l’occasion de palper du doigt les fractures sociales et idéologiques qui divisent la société française et les stéréotypes tenaces que les Français projettent sur les Noirs.

      Après sa formation en France, il retourna dans son pays en septembre 1968, pour s’occuper de la gestion de l’hôpital de Bangui avec une détermination tenace de promouvoir des pratiques managériales basées sur la transparence, la discipline de travail et la consolidation des mesures d’hygiène. La forte personnalité du colonel Banza, ministre de la Santé de l’époque, a certainement marqué la trajectoire professionnelle de Jean-Bosco Péléket à Bangui. Malheureusement, le colonel fut exécuté quelques temps après par le sinistre dictateur Jean Bédel Bokassa. Sur les magouilles entre Giscard d’Estaing et Bokassa il convient de souligner et de saluer solennellement le courage prophétique de Mgr Ndayen de Bangui, qui osa démentir publiquement les mensonges de Giscard qui avait dit aux médias français qu’il avait distribué l’argent des diamants reçus de Bokassa, aux organismes caritatifs de Bangui. Devant les médias internationaux, Mgr Ndayen démentit les mensonges grossiers de Giscard : « Giscard changea de tactique. Il crut bon d’engager une offensive de charme vis-à-vis des journalistes parisiens. L’objectif était clair : circonscrire le plus grand nombre de journalistes pour enfin isoler le « méchant » Canard Enchaîné. Peine perdue. Il en fut de même en ce qui concerne le coup de dons au profit des Centrafricains. Valéry Giscard d’Estaing expliqua le 10 mars 1981, sans sourciller, que le « produit de la vente (des diamants) a été versé pour l’essentiel à la Croix-Rouge centrafricaine et le surplus à trois œuvres que j’ai eu l’occasion de connaître : une maternité, une pouponnière et une mission ». En ce qui concerne la mission, le démenti de monseigneur Ndayen, archevêque de Bangui, fut sans appel. « L’archevêque n’a jamais reçu aucun don de M. Giscard d’Estaing, pas même la plus modeste enveloppe, lorsque, à l’occasion de la conférence franco-africaine de Bangui, il séjourna à quelques dizaines de mètres de l’emplacement de ma résidence et de celles des prêtres de la mission Saint-Paul des Rapides. À moins que des missionnaires étrangers installés ici aient bénéficié de quelques libéralités qu’ils aient décidé de tenir secrètes, mais j’ignore tout cela. » (p. 127).

Je salue ici l’audace prophétique de Mgr Ndayen, l’un des rares évêques africains de la postcolonie à avoir su tenir une posture iconoclaste par rapport aux tyrans nègres de la postcolonie, je salue aussi le courage intellectuel de Jean-Bosco Péléket qui a su mettre par écrit les turpitudes « Giscaro-bokassiennes » pour que la postérité africaine en soit informée jusqu’à la fin des temps, car l’écriture est une « forme d’immortalité » pour des êtres mortels capables de la déchiffrer.

Son attachement aux valeurs de l’intégrité dans la gestion des ressources financières et humaines et la reconnaissance des mérites du personnel loin de tous les clientélismes ethno-tribaux qui gangrènent tous les pays africains mit très vite Jean-Bosco Péléket très vite en conflit avec les autorités du ministère de la Santé qui ne voulaient rien entendre de la probité éthique dans la gestion de l’hôpital de Bangui. Ce qui l’obligea à quitter son pays, en octobre 1971, pour repartir en France et y poursuivre des études de gestion hospitalière à Nantes, avant de travailler durant trois décennies dans l’équipe de la direction de l’hôpital de Montreuil dans la région parisienne. Une phrase de cet ouvrage m’a à la fois fait pleurer et rire, car elle dévoile avec une concision et une densité bouleversantes les racines sorcelleresques du désastre collectif africain qui consiste en des jalousies idiotes des autorités politiques corrompues et ignares. En effet, il s’agit de la colère d’un responsable du ministère de la Santé qui était furieux d’avoir appris que Jean-Bosco Péléket avait osé demander une bourse d’études doctorales à un organisme international, alors que ce dernier était près à le lui accorder.

Contacté par l’organisme international au sujet de la demande de bourse de Jean-Bosco Péléket, un fonctionnaire du ministère de la Santé à Bangui, s’enflamma de colère et déclara : « Péléket se croit au-dessus de nous mais je lui ferai mordre la poussière » (p. 98). La malice, la jalousie et la haine qui sous-tendent cette formule concise et dense constitue l’expression paroxystique du mal africain, qui oblige de nombreux intellectuels à prendre les chemins incertains et périlleux de l’Exil hypothétique au lieu de continuer à se laisser enrégimenter par des cancres et des ignares de la pire espèce. Ici et ici seulement, nous touchons au point le plus incandescent du « mal africain ».

Un autre extrait de l’ouvrage qui m’a choqué est cette envolée démagogique de l’ancien président Ange Félix Patassé chantant les louanges du dictateur Bokassa lors de son auto-intronisation comme empereur de la Centrafrique. Écoutons les propos alambiqués de l’archange Patassé : « Votre auguste personne n’est pas sans savoir que l’Afrique est la terre de prédilection des empires, et, dans sa mutation actuelle, vibre en écho aux grands empires qui furent ceux du Ghana, du Songhaï, du Mali, du Congo… La naissance de l’empire centrafricain se situe donc bel et bien dans la plus pure tradition africaine, et traduit aujourd’hui plus que jamais la volonté souveraine du peuple centrafricain de refaire son histoire, sauvagement liquidée par plus de soixante années de colonisation. Oui, Majesté impériale, vous êtes le plus illustres de ces héros de la grande famille des hommes, symboles de leur temps, et dont le destin se confond avec le destin de leur nation… » (Didier Bigo, Pouvoir et obéissance en Centrafrique, Karthala, Paris, p. 63, cité par Jean-Bosco Péléket, op. cit., pp. 122-123). Quelle aberration, quelle supercherie et quelle imposture dans cette démagogie verbeuse de Patassé ? Ce livre m’a beaucoup appris sur la filiation politique de tous les présidents centrafricains qui se sont succédé de David Dacko à Bokassa en passant par Kolingba, Patassé et Bozizé. Cette confiscation de la vie politique postcoloniale par les mêmes acteurs communiant au même éthos politique pathologique peut se généraliser à tous les pays africains qui continuent d’être dirigés par les mêmes acteurs corrompus qui se passent le pouvoir de père en fils (Bongo, Éyadema, etc.). Cette classe de dirigeants corrompus et à la solde de la Françafrique doit être démantelée par des moyens appropriés… !

Jean-Bosco Péléket retourna en Centrafrique en 1981, juste après le coup d’État de Giscard contre son ancien esclave Bokassa, et expérimenta la détérioration drastique des conditions de vie matérielle, sanitaire et politique des masses paysannes et urbaines. Jean Bosco s’est toujours engagé dans  des mouvements politiques des intellectuels centrafricains ayant travaillé pour la fin des régimes corrompus et serviles de la Françafrique en Centrafrique. Cette lutte de libération intellectuelle et politique du peuple centrafricain des griffes des dinosaures se poursuit toujours aujourd’hui à travers les réflexions et les actions qu’il continue d’initier avec la collaboration de la diaspora centrafricaine en France et les acteurs locaux qui partagent son « éthos politique » émancipateur et empreint de dignité (la posture de l’homme débout tant revendiqué par l’auteur).

Le lecture de cet essai qui m’a tenu en haleine du début à la fin m’a révélé le portrait intellectuel, éthique et politique d’un véritable fils de la Centrafrique mû par une éthique de la dignité, de la responsabilité et de la fierté pour les Africains, en étant conscient de l’envergure de tâche d’éducation et de formation intellectuelle et politique des nouvelles générations d’Africains pour l’accouchement politique d’une « Autre Afrique », celle qui marche debout et résiste farouchement contre toutes les nouvelles formes insidieuses d’asservissement et d’exploitation françafricaine (giscarienne) des ressources du continent.

Jean Bosco Péléket continue de réunir dans la région parisienne de nombreux africains et antillais, jeunes professionnels, étudiants, universitaires et jeunes retraités comme lui-même, pour ausculter plus rigoureusement et profondément le « désastre africain postcolonial » et chercher des stratégies endogènes et vigoureuses de l’érection des institutions crédibles et capables de redonner aux Africains le sens de l’initiative et de la responsabilité politique et intellectuelle dans un monde tiraillé et déboussolé par l’effondrement foudroyant du système totalitaire marchand basé sur des mensonges de l’économie des dettes, des cartes de crédit et des hypothèques qui confisquent la vie des êtres humains aux contraintes du remboursement interminable des dettes et des obsèques onéreuses.

      Je salue l’auteur et son ouvrage, je salue sa force de caractère et sa détermination intellectuelle et politique dans le combat de toute sa vie, pour le démantèlement des réseaux mafieux et criminels de la Françafrique qui maintiennent dans des formes insidieuses et subtiles d’esclavages modernes et néolibéraux, la vie des millions d’Africains dans le monde, en les forçant à subir des humiliations et des discriminations récurrentes dans les pays de leurs exils.

Benoît Awazi Mbambi Kungua.

(Tuesday, December 2, 2014 4:39 AM)