Le titre : il semble se référer aux événements dramatiques que vit la Centrafrique depuis plus de deux ans. Il n'en est rien. Personnellement, je ne saurais romancer, en pleine tragédie, ce pan particulièrement pénible de notre histoire. Car contre le mal absolu, la littérature a des armes déconcertantes, qu'on appelle humour, dérision, ironie...et qu'on ne peut bien manier qu'avec un peu de recul. Le titre de mon roman, je l'ai emprunté à mon premier recueil de poèmes, celui que j'avais consacré à l'Afrique du sud de Botha et aux victimes de Bokassa. Cette plaquette aujourd'hui perdue contenait une trentaine de poèmes et s'intitulait Tam-Tam de deuil. J'en avais fait lire des extraits à des amis dont Pascal Bourcier.
Pillé à Paris : Tam-Tam de deuil est probablement un des rares romans qui furent pillés avant leur parution. En 2008, quand les éditions Métailier et Autrement m'eurent signifié leur refus de le publier, j'étais résigné. D'autant que ces avis venaient clore une litanie de rejets. Je remisai donc mon manuscrit dans un carton, en espérant le faire publier un jour par un éditeur centrafricain.
Mais vers la fin du mois de janvier 2012, en sortant de ma salle d'eau, je fus surpris par une voix de femme qui racontait sur France info un épisode de mon roman. Il s'agit, dans le premier récit, d'une accumulation de contes et d'anecdotes destinées à amener naturellement l'intervention de la narratrice intradiégétique. Cet épisode que j'ai intitulé ( Il était seize premières fois ), sert d'introduction à l'intrigue principale : la mort d'Etienne Kovanga. Il a été transformé en pièce de théâtre à Paris...
Passé le moment de surprise, j'ai repris mon manuscrit, je l'ai relu et retouché légèrement. Apparemment, il n'était pas tout à fait mauvais. J'ai ajouté au deuxième récit un conte pour enfants, qui ne se trouvait pas dans la version pillée à Paris. Il s'agit plus précisément d'une devinette qu'on nous posait, à un an de notre scolarisation, pour nous exercer au calcul mental. Toujours dans le deuxième récit, j'ai introduit des voix masculines dans la narration.
La narration : elle est polyphonique. Dans la première version du roman, le narrateur était omniscient et anonyme. J'ai choisi de le personnaliser dans la mouture que je publie. C'est en l'occurrence une narratrice qui incarne la femme centrafricaine moderne. Elle se trouve au début et à la fin du roman. Autrement dit, elle en est l'incipit et le point final.
Dans son univers peuplé de phallocrates, elle ne peut compter que sur elle et sur sa sœur pour se sortir de situations désespérées. Son rôle de narratrice homodiégétique s'oppose à celui de sa mère qui, elle, raconte une histoire à laquelle elle ne participe pas. La fille symbolise la modernité, l'avenir, en fait la centrafricaine qui ne s'en laisse pas conter, alors que le point d'ancrage de la vie de la mère reste la tradition.
Les hommes dans Tam-Tam de deuil : ce sont des personnages secondaires, très infatués, qui croient dominer un monde auquel ils ne comprennent plus rien.
Ils rament à contre-courant du bon sens.
Ils confient la justice à un vieillard cacochyme qui en fait ce qu'il veut.
Ils ne résistent pas à l'appel de l'étranger. Celui-ci est symbolisé par les cousins de Valikéngé...
La Centrafrique s'est mise à ressembler à mon roman. Je rappelle que je l'ai écrit entre 2005 et 2007 et retouché en janvier, février et mars 2012.
L'écriture : c'est paraît-il le point faible du roman. Comme chacun sait, avant d'écrire un roman en France, il faut commencer par s'inventer une écriture. Même si vous n'avez rien à dire, même si vous n'avez que du vent à publier, eh bien ! publiez-le, vous serez porté au pinacle. Le roman est devenu une question d'écriture. Et l'on s'étonne que les gens lisent de moins en moins !
Je rappelle que tous les livres publiés en français ne sont pas écrits en français. Les traductions sont nombreuses et Tam-Tam de deuil peut être considéré comme l'une d'elles. Ce roman, je l'ai conçu, à partir des contes, des anecdotes et des histoires qu'on m'avait racontés en sango, ma langue maternelle. Mon travail a consisté à les traduire d'abord et à utiliser ces traductions pour composer mon roman. Mon écriture ou plutôt l'écriture de Tam-Tam de deuil est celle d'un simple transcripteur. Elle reste discrète, au service des histoires qu'elle raconte.
Le roman : quand une femme se fait répudier en Afrique, cela provoque tout au plus des haussements d'épaules ou des ricanements, même si dans sa famille les réactions sont généralement virulentes. Quand cette femme, Toulia Malipassa, en l'occurrence, révèle que son ex s'est entiché non pas d'une maîtresse mais d'un mort, on redevient sérieux, on cherche à comprendre les véritables raisons de cette étrange répudiation. D'autant que les parents de Toulia Malipassa connaissent l'histoire du mort en question. Une de ces histoires qu'on dirait sorties tout droit d'un cauchemar, pour hanter les nuits de Banga Mobay.
Tam-Tam de deuil
Anatole GBANDI
Ed. Edilivre, 2015
146pages, 22euros