LA PART DE L’HISTOIRE DANS L’INSTABILITÉ CHRONIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
Par : Joseph Akouissonne.
LES
RAZZIAS ESCLAVAGISTES ARABES
La
lecture historique du chaos centrafricain est sans appel : entre le 18e et le
19e siècles, les razzias menées par les Arabes venus de l’Orient ont provoqué
une saignée sans précédent dans la population.
Leur
violence ne pouvait que marquer durablement l’esprit des Centrafricains, avec
leurs corollaires de conflits politiques, ethniques et religieux. L’intrusion de
la traite des Noirs par les Arabes s’est accompagnée, en effet, d’un
prosélytisme effréné, afin de convertir les populations à l’islam – alors que
les populations étaient en majorité animistes et le sont, aujourd’hui encore, en
grande partie.
Ceux
qui allaient devenir les Oubanguiens, fuyant les esclavagistes, se sont cachés
dans les entrailles de la forêt équatoriale impénétrable. Ils ont mené une lutte
farouche contre les colonisateurs pour défendre leur territoire, embryon de ce
qui allait devenir l’Oubangui-Chari.
LA
COLONISATION OCCIDENTALE
Les
premiers colons européens arrivent dans les années 1880. Le territoire devient
colonie française sous le nom d’Oubangui-Chari en 1905. Chicottes et travaux
forcés : la construction du chemin de fer Congo-Océan entraîne la mort de deux
Oubanguiens pour chaque traverse posée. La brutalité et la cruauté des
intendants des sociétés concessionnaires, rebuts incultes de la société
française, provoquent une nouvelle saignée dans la
population.
La
colonisation occidentale, si elle a mis fin aux razzias des Arabes, a donné
lieu, en revanche, à une multiplication des violences subies par les
Oubanguiens.
Ce
passé, extrêmement brutal et douloureux, a généré chez eux la méfiance et la
peur de l’autre. D’où des conflits fratricides entre les communautés, qui
expliquent en partie les instabilités d’aujourd’hui.
LES
FACTEURS STRUCTURELS DU CHAOS
Les
coups d’état ont remplacé l’expression démocratique qui se manifestait dans les
urnes. Le népotisme et le despotisme se sont installés dans tous les rouages des
administrations, accompagnés d’impunités et d’injustices. Les convoitises et les
complots ont transformé les populations en parias, ne subsistant que grâce à
l’aumône internationale, tandis que les pilleurs des caisses de l’État n’ont
cessé d’étaler leurs biens mal acquis avec cynisme et arrogance. Pour les
politiciens centrafricains, le pouvoir est devenu source de richesses, acquises
au détriment du peuple. La France, ex-puissance coloniale, a fait et défait les
dictateurs, au gré des coups d’état qu’elle a organisés en sous-main, pour
placer au pouvoir des dictateurs marionnettes susceptibles de pérenniser ses
intérêts.
Les
Oubanguiens, puis les Centrafricains, ont donc subi, au fil des siècles, le
mépris et l’infantilisation de la part des Arabes esclavagistes et des colons
européens. Pour les esclavagistes, « l’Oubanguien était une bête de somme,
du bétail quoi ! » Pour les colons, « de grands enfants « : il fallait
tout décider à leur place. Pour les uns comme pour les autres, on avait affaire
à des êtres inférieurs aux blancs.
Par
ailleurs, les sociétés concessionnaires étaient exclusivement préoccupées par
les cultures industrielles (coton, café, sisal…) ainsi que par les exploitations
minières et forestières. Toutes les matières premières étaient exportées en
métropole pour donner du travail aux ouvriers et contribuer ainsi au
développement de la société française.
Il
est à noter, en revanche, que la France n’a jamais songé à bâtir en Centrafrique
des structures industrielles de fabrication de biens pouvant servir au
développement du pays. Les Centrafricains attendent toujours, par exemple, le
chemin de fer Bangui-Douala, qui serait la clé de son désenclavement. C’est
peut-être la Chine qui le fera.
Ainsi
donc, les graines de la violence ont été semées durant des décennies. Elles ont
germé et donné de mauvaises herbes. Le chaos actuel s’explique en partie par ce
passé douloureux. Il faut, maintenant, que les Centrafricains, tous ensemble, se
débarrassent des scories de la colonisation et prennent en charge l’avenir de
leur pays.
JOSEPH
AKOUISSONNE
(24
mai 2017)