L'Union africaine doit se réformer, et très
vite !
1 - Le monde
accélère et l'Afrique piétine.
En
effet, trois événements factuels ont télescopé ces derniers jours l'actualité
mondiale, loin de la « diversification » des politiques nationales et
de la géopolitique internationale. Contre les
installations
-
Le 12 juin 2025, 149 pays membres de l'Organisation des Nations unies ont adopté
une résolution qui réclame le cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza
(1).
-
Comme un bras d'honneur à la communauté internationale, Israël a lancé, dans la
nuit du 12 au 13 juin 2025, un r aid aérien, contre les
installations et infrastructures nucléaires de l'Iran, en tuant au passage les
principaux collaborateurs militaires et scientifiques du Guide suprême iranien,
dont le chef d'état-major de l'armée (2).
Ce
sont des meurtres prémédités, des exécutions dignes d'un tueur en
série !
En
marge de ces deux événements, le président américain Donald Trump, qui semble
habité par l'esprit du mac-chartisme, a pris un décret interdisant l'accès du
territoire de son pays aux ressortissants de 7 pays africains et limitant celui
de trois autres (3). Cette loi supprime parallèlement la possibilité pour les
étudiants africains de s'inscrire dans les universités américaines et n'autorise
plus l'évacuation sanitaire des dirigeants africains et de leurs concitoyens aux
USA ?
Mis
à part le côté démagogique de cette prise de position, le président Trump
n'hésite pas à citer en exemple le capitaine Traoré, dirigeant du Burkina-Faso,
enjoignant aux autres chefs d’État africains de suivre son exemple et d'investir
dans leurs pays respectifs !
Monsieur Trump feint d'oublier que « le
sous-développement n'est pas un retard de développement, mais le produit du
développement des pays riches » (4).
Pour ne pas être en reste, voilà le ministre français de
l'intérieur qui ajoute son écot à cette absurdité.
Pendant que les chefs d'Etat et de gouvernement
déblatèrent pendant deux jours à l'occasion du 19ème sommet de la conférence au
sommet de l'organisation internationale de la Francophonie, le nouveau ministre
de l'Intérieur de la France, Bruno Retailleau, dévoile son plan de lutte contre
l'immigration.
Dans une longue interview au journal quotidien Le
Parisien, il livre sa potion magique pour juguler les flux migratoires entre la
France et le reste du monde, en particulier
l'Afrique :
-
restrictions dans
l'attribution des visas de séjour ;
-
réduction de l'immigration du
travail, des études et humanitaires ;
-
régulation au cas par cas, en
supprimant la circulaire Valls de 2015 ;
-
négociations avec les pays de
départ menacés de sanctions ;
-
négociations avec les pays de
transit fondées sur des subventions pour les inciter à faire barrage et à se
transformer en espaces frontières ;
-
externalisation des demandes
d'asile à des pays tiers, contre
redevances...
-
exit donc les maigres
résultats du sommet Afrique-France de Montpellier (Juillet
2021) ;
-
évacuer les réunions
trimestrielles du Conseil présidentiel pour l'Afrique, organe dissout en
catimini.
Bref, on assiste à une remise en cause fondamentale de
la coopération internationale et du droit international basés sur la libre
circulation des biens, des capitaux, des marchandises et des hommes. Cette
stratégie est à l’œuvre depuis une dizaine d'année déjà et n'étonne que les
incrédules. Pourtant, l'Union africaine ne s'en fait pas l'écho, et pour
cause : les fonctionnaires internationaux de cette institution continentale
ne peuvent mordre la main qui les nourrit, celle de l'Union européenne qui
contribue à 75 % du budget de fonctionnement de l'instance
africaine.
Il
appartient donc à chaque État souverain de prendre son destin en
main.
2 – Les
mesures de protection et de rétorsion
Au
regard du droit public international, chaque pays dispose d'un arsenal de
mesures pour protéger ses citoyens. L' « arsenalisation » étant
compris comme l'agrégation, fondée sur quelques principes, de moyens politiques,
logistiques, économiques et culturels, dont la mise en œuvre globale permet de
donner une réponse adaptée aux
pressions dont le pays est victime.
-
le principe de
restitution : il permet d'exiger la restitution des cautions versées par
les demandeurs de visas, en cas de décision de rejet. Ces sommes, souvent
substantielles, sont pour certains des dettes contractées auprès des banques,
des amis ou des anciens du village, dont la non-restitution provoque
l'immigration illégale des bénéficiaires pour rembourser leurs
créanciers.
-
Le principe de
réciprocité : il est basé sur la théorie du libre-échange (cf. Adam Smith)
qui suppose la libre circulation des ressources naturelles, des marchandises,
des capitaux et des hommes, dans le cadre de la division internationale du
travail. Que l'une de ces parties fasse défaut, tous les autres doivent l'être
aussi. Il s'agit donc, pour les pays africains, de ne pas céder leurs matières
premières aux États qui refusent ou entravent la libre circulation de leurs
ressortissants, et de ne point importer les produits, agricoles ou manufacturés,
provenant de ces pays. Ils doivent tirer parti de leurs ressources naturelles en
fabricant d'abord pour leurs propres populations, en fournissant du travail et
des emplois à la jeunesse africaine.
-
Le principe d'égalité du
traitement : l'exemple est donné par le ministre français de l'intérieur,
Bruno Retailleau, qui a promis réhabiliter le principe des charters de l'un de
ses prédécesseurs, Charles Pasqua, celui du refoulement collectif (5). Pour que
l'aéronef ne reparte pas à vide, il suffira pour le pays d'arrivée, de refouler
un nombre égal de ressortissants de l’État considéré. Bien plus, pour répondre
aux décisions du président américain Donald Trump, il conviendra pour les pays
africains interdits du territoire des États-Unis, d'exiger le transfert du siège
de l'organisation des Nations unies dans un pays neutre, la Suisse par exemple,
puisque les pays africains constituent plus du tiers des États membres de
l'ONU.
-
Le principe de
subsidiarité : enfin, pour les pays de transit (Maroc, Tunisie, Égypte),
qui se transforment en espaces frontières de l'Europe, voire en marchands
d'esclaves du monde contemporain, contre rétributions financières et aides
économiques, outre les ruptures de relations diplomatiques, l'Union africaine
devrait se substituer aux pays membres incriminés pour suspendre les États
concernés de toute participation, temporaire ou définitif, aux différentes
instances de l'institution.
Encore une fois, il faut le répéter inlassablement, le
sous-développement n'est pas un retard de développement, mais la conséquence de
la politique des pays riches. De même, il ne faut pas perdre de vue que les
déséquilibres observées dans les pays pauvres naissent des guerres et conflits
engendrés par les pays développés, ou les changements de régime politique que
ceux-ci imposent à ceux-là, en déstabilisant les gouvernements qui ne leurs
plaisent pas, quittent à les qualifier de terroristes ou d’États voyous :
Irak, Libye, Afghanistan, Iran, Russie, etc.
Dans cette configuration, les petits Etats africains ne
pèsent pas lourd. Ils doivent donc se réformer, et
vite !
3 – L’Union
africaine doit de réformer
Fondée en 1963, l’Organisation de l’unité africaine
comptait 32 Etats membres. Depuis, l’organisation a connu trois dates
importantes :
-
Le 3 juin 1991, le traité
d’Abuja prévoit la création d’un marché commun à l’ensemble du continent avant
2025 ;
-
Le 9 septembre 1999, la
déclaration de Syrte entérine la création de l’Union africaine, qui est une
solution de compromis entre les fédéralistes et les nationalistes
(souverainistes), dont l’acte constitutif est signé le 11 juillet 2000 à
Lomé ;
-
Le 3 février 2009, la
commission de l’Union qui dispose d’un rôle d’initiatives et d’exécution, est
transformée en Autorité de l’Union africaine avec des compétences élargies et
renforcées, mais la seule source d’autorité demeure la Conférence des chefs
d’Etats et de gouvernement ;
-
Le 21 mars 2018, 44 Etats
signent l’accord de libre-échange continental.
Où
en est-on ?
Dans sa profession de foi, confiée dans une interview au
magazine Jeune Afrique du 27 novembre au 3 décembre 2016, pour la présidence de
la Commission exécutive de l’Union, le ministre tchadien des affaires étrangères
expliquait pourquoi « pourquoi l’UA a besoin de moi » ! Il
déroulait son programme autour de deux objectifs : le développement et la
sécurité :
« L’Afrique compte à peu près 1 milliard
d’habitants, elle est majoritairement jeune et féminine, et recèle des
ressources naturelles. Mais le continent est mal géré et sous-représenté au
niveau international. Nous ne sommes même pas membre du Conseil de sécurité de
l’ONU.
Pourtant, nous
sommes partout sous la menace d’une internationale terroriste aux ramifications
multiples qui met en péril la paix et le donc le développement du
continent.
La pauvreté et
la violence ont amené une bonne partie de la jeunesse à rejoindre les
djihadistes ou à prendre les chemins de l’immigration
illégale.
Il revient à
l’UA de tout faire pour lutter contre ces fléaux de manière plus solidaire et
plus responsable.
La gestion des
ressources naturelles doit bénéficier aux populations. La bonne gouvernance, la
lutte contre la gabegie ou contre la corruption font partie des
objectifs ».
Que
sont devenus ce constat et ces belles propositions, neuf années et deux mandats
plus tard ?
Pour sa défense, le président Moussa Faki Mahamat pointe
trois directions d’amélioration : il faut rendre l’UA moins bureaucratique
et moins procédurière ; la libre circulation des biens et des personnes
doit devenir effective ; construisons des routes, des voies de chemin de
fer, créons des passerelles entre nous. Et de conclure, « la démocratie pluraliste connaît ses
limites en Afrique. […] Il faut que les acteurs politiques respectent davantage
le verdict des urnes et l’ordre
constitutionnel » !
Voici les nouveaux impétrants avertis. Le 16 février
2025, la conférence des chefs d’Etat a élu l’ancien ministre des affaires
étrangères de Djibouti, Mahamoud Ali Youssouf, au poste de président de
l’Autorité de l’Union africaine, et confié au président angolais, Joao Lourenço,
la présidence de l’Union pour un an.
Face aux provocations médiatiques d’un Donald Trump et
les gesticulations d’un Bruno Retailleau, les nouveaux responsables de
l’instance continentale doivent s’atteler à trois tâches primordiales, basées
sur les prescriptions de Cheick Anta Diop, Achille Mbembé et Felwine
Sarr :
-
Favoriser la création de
véritables fédérations, comprises comme des bassins de médiation, en lieu et
place des six zones économiques actuelles ;
-
Favoriser et renforcer
l’unité du continent à travers l’établissement de passeports biométriques
universels, ainsi que le droit d’établissement et la libre
résidence ;
-
Intégrer les rituels
africains de la naissance, du mariage et des cérémonies de deuil dans
l’élaboration du produit intérieur brut africain.
L’observation de ces principes doit se
traduire,
-
Au plan doctrinal, par
l’abandon de l’idée d’intangibilité des frontières héritées du colonialisme,
mais par le choix assumé d’aller de l’avant vers la création de la fédération
des Etats de l’Afrique unis (6) ;
-
Au plan des moyens, par la
rupture de la dépendance financière de l’Union vis-à-vis de l’Union européenne
(l’USAID ayant été débranchée par le président Trump), chaque pays membre doit
consacrer 2% de son PIB au financement de l’institution, sauf à être suspendu ou
privé de vote et de participation aux différentes agences de
l’UA ;
-
Au plan des objectifs, par la
priorisation du développement comme promesse d’émancipation par la création des
infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires, mais aussi dans les
domaines sanitaire, éducatif, du logement, et de la sécurité alimentaire, etc.
Paris, le 22 juin 2025
Prosper INDO
Economiste,
Consultant
international
(1)
– Quarante-trois pays africains ont voté pour, 5 se sont
abstenus (RDC, Ethiopie, Malawi, Sud-Soudan et Togo), et 6 n’ont pas pris part
au vote (Bénin, RCA, Comores, Guinée équatoriale, Madagascar,
Zambie).
(2)
– En visant de manière délibérée et préméditée les
responsables politiques du Hamas, du Hezbollah ou de l’Iran, les dirigeants
israéliens se rendent coupables de crimes de guerre et crimes de masse, et se
comportent en tueurs en série. L’Etat hébreu lui se comporte comme un Etat
terroriste, qui viole les règles morales de conduite de la guerre ; leur
Nuremberg viendra.
(3)
– Au prétexte que les ressortissants des pays visés sont
restés sur le territoire américain après l’expiration de leur titre de séjour,
pour des études, des soins ou raisons touristiques ; c’est la politique du
« Travel ban ». Les interdictions concernent le Congo-Brazzaville,
Afghanistan, Birmanie, Haïti, Iran, Tchad, Yémen, Guinée équatoriale, Erythrée,
Libye, Somalie et Soudan. La suspension partielle frappe le Burundi, la Sierra
Leone et le Togo. (cf. Le Monde daté des dimanche 8 - lundi 9 – mardi 10 juin
2025, p. 5).
(4)
– La déclaration finale, datée du 23 octobre 1974, du
colloque de Cocoyoc (Mexique) organisé par l’ONU, du 8 au 12 octobre
1974.
(5)
– Appel du 18 juin 2025 par lequel le ministre exhorte
4 000 policiers, gendarmes, douaniers et militaires de l’opération
« Sentinelles » à procéder au contrôle systématique des voyageurs des
transports en commun aux abords des gares RER et SNCF de Paris, ainsi que les
passagers de 900 bus à bas coûts. L’opération a duré deux jours (18 et 19 juin
2025) et s’apparente à une rafle de sinistre mémoire.
(6)
– A ce titre, l’exemple des pays de l’Alliance des Etats
du Sahel (AES) doit être encouragé. Les responsables militaires à la tête du
Mali, du Burkina-Faso et du Niger, doivent tirer profit des périodes de
transition en cours pour informer et mobiliser leurs peuples respectifs sur le
projet d’une fédération ou confédération à leur soumettre par référendum, quitte
à associer d’autres Etats du bassin du fleuve Niger à ce projet, comme la Guinée
Conakry.