Universités
mondiales : l’Université Nationale de Bangui hors-jeu !
L'université de Shanghai a publié, le 18 août dernier, son classement des
universités mondiales. Bien entendu, comme au dernier recensement, les
Etats-Unis se taillent la part du lion avec 37 universités dans les 100
premières places (1).
Aucun pays africain ne figure au palmarès de ce Top 100.
Il faut parcourir la liste des 500 premières institutions pour trouver deux pays
africains : l'Egypte et l'Afrique du Sud ; mais aucun pays
francophone.
Il
semble que les critères de classement, essentiellement quantitatifs, expliquent
cette situation (2). Ces critères orientent désormais les pouvoirs publics vers
la constitution de grands « campus », par regroupement de multiples
composantes universitaires, grandes écoles, organismes de recherches
spécialisées ou laboratoires (3).
A
côté de ces « mastodontes », l'université nationale de Bangui (UNB),
avec ses 20 000 étudiants, dont 10 000 pour la seule faculté des sciences
juridiques et politiques, et son budget annuel d’environ 1,3 milliards de francs
CFA est un lilliputien, une sorte de têtard sans queue, puisqu’elle ne dispose
pas d’une bibliothèque centrale !
1 –
L'université nationale de Bangui ou l'essor du diamant
L'UNB a été créée le 12 novembre 1969 par le général Jean-Bedel Bokassa,
président de la République. C'est l'un des fruits du diamant, avec l'école
supérieure de formation des officiers d'active (ESFOA) de Bouar et l'école
militaire des enfants de troupes (EMET) de Bangui.
En
effet, l'année 1968/69 a vu l'exportation des diamants atteindre un pic :
606 000 carats ! Les recettes issues de l'extraction du diamant et des
pierres précieuses (or) constituent le principal investissement à la base de
l'édification de l'Université nationale de Bangui (4).
L'essor fut lent mais continu. En 2012, l'université
comptait 13 000 étudiants. La durée moyenne de scolarité était de 4,3 années,
soit la durée normale pour obtenir une licence.
En
2019, le nombre d'étudiants est passé à 15 000, non compris les étudiants
tributaires d'une bourse pour poursuivre leur scolarité à l'étranger : 316
en Afrique, 45 en Europe et 59 en Amérique et Asir, soit au total 420 boursiers,
pour un coût annuel de 446 232 000 francs CFA ; alors que le budget global
du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche atteint à peine 700
millions de francs CFA.
Aujourd'hui, l'université nationale de Bangui, dont le
slogan est « Vers l'excellence
académique au cœur de l'Afrique », rassemble cinq facultés, quatre
instituts, six laboratoires et l'Ecole normale.
2 – Le
tabernacle de la corruption
Tous les
catéchistes et catéchumènes ont en mémoire l'image de Moïse tenant dans ses
mains le Décalogue, « l'Œuvre de Dieu », où sont transcrits les 10
Paroles et le Code de l'Alliance. C'est la Table des Lois, en pierre de forme
carrée, dont s'inspire la déclaration de l'homme et du
citoyen !
Pour
plus de solennité et par mesure de précaution, le Décalogue doit être enfermé
dans un coffre, posé sur une table, entreposé sous une tente, pour le tenir à
l'abri des intempéries.
En
RCA, c'est la forme et la présentation que prend la Loi fondamentale du pays, le
Constitution, dont le texte original est confié à la garde du ministre de la
justice, le Garde des sceaux !
Pour
que ce texte demeure inviolé et inviolable, son protecteur, le président de la
République, et son gardien, le Garde des sceaux, ministre de la justice, doivent
être des personnalités intègres, intellectuellement, moralement et
psychologiquement.
A
Bangui, l'école où l'on enseigne ces vertus républicaines, c'est-à-dire là où se
forme l'élite du pays, c'est l'université nationale de Bangui, dont la faculté
de droit et des sciences politiques a pour mission de former au respect de
l'esprit et de la lettre de la constitution.
Le
président Touadéra a longtemps été le recteur de l'UNB, avant de devenir tour à
tour, Premier ministre du président François Bozizé (2008-2013), puis chef de
l'Etat, depuis le 30 mars 2016.
Aujourd'hui, l'université se meurt et fonctionne en mode
dégradé, devenant le tabernacle de la corruption. En voici les
raisons.
3 –
L'excellence académique au cœur de l'Afrique est en
échec
La première raison du fonctionnement en mode dégradé de l’UNB découle de
l’enveloppe budgétaire ectoplasmique du ministère de l’enseignement supérieur et
de la recherche. Ce budget annuel se monte à 700 millions de francs CFA, hors la
prise en charge des salaires des enseignants et personnels administratifs du
ministère. Il demeure une somme dérisoire dans une perspective de long terme. Il
l’est d’autant plus qu’en comparaison, les fonds spéciaux mis à la disposition
du chef de l’Etat et du chef du gouvernement s’élèvent respectivement à 3
millions et 1,5 millions de francs CFA ; soit deux fois la masse salariale
mensuelle de l’ensemble des agents de la fonction
publique !
Des
sommes que ces derniers peuvent dépenser sans justificatifs comptables.
La seconde raison repose sur une gouvernance erratique et une guidance
aléatoire du rectorat de l’université nationale de Bangui.
Certes, l’UNB jouit de l’autonomie budgétaire. Elle gère
donc directement son budget de fonctionnement, qui est d’environ 1,2 milliards
de francs CFA (2024), dont 800 millions sont consacrés à la rétribution des
vacations d’enseignements (5). Or la gestion de ce budget de fonctionnement est
inégalitaire et illégal.
Pour
prendre un seul exemple, lorsqu’il était recteur de l’UNB, M. Touadéra exerçait
également des fonctions d’enseignements. A ce titre, il percevait les vacations
afférentes à ses heures de cours, lesquelles relevaient d’un nombre difficile à
tenir ; elles étaient incalculables.
Devenu Premier ministre du président François Bozizé, de
2008 à 2013, il a continué à donner des cours et à percevoir les indemnités
correspondantes.
Comme président de la République et chef de l’Etat
depuis le 30 mars 2016, Faustin-Archange Touadéra continue à donner des cours de
mathématiques à l’université, selon un protocole bien réglé (6), en
contradiction flagrante avec les dispositions de l’article 66, alinéa 1, de la
constitution du 30août 2023 qu’il a lui-même fait rédiger et promulguer
(7) !
Ainsi, tout en percevant la rémunération de président de
la République, tout en bénéficiant des fonds spéciaux mis à disposition du chef
de l’Etat, M. Touadéra continue d’émarger au budget de l’UNB ! Vous avez
dit parasite ? Non, je n’ai pas dit
parasite !
Ce
comportement a cependant indirectement des conséquences néfastes sur la gestion
de l’université nationale de Bangui. C’est ainsi
que :
-
Le directeur de l’école
doctorale, également doyen de la faculté des lettres, exige des doctorants la
somme de 2 millions de francs CFA pour les autoriser à soutenir leur thèse.
Pourtant, une enveloppe budgétaire est prévue pour la prise en charge des
membres des différents jurys !
-
Le doyen de la faculté des
sciences juridiques et politiques se croit autorisé à accorder des
« bonifications » de note de 10 sur 20 à tous les étudiants qui n’ont
pas eu une bonne note, afin de contourner l’initiative des enseignants qui
affichent les notes attribuées aux étudiants à l’issue de chaque épreuve, en
amont de la réunion du jury, dont les délibérations font foi. Cela traduit un
manque de confiance totale de la part des enseignants dans la sincérité des
délibérations du jury et de leur hiérarchie.
L’excellence académique au cœur de l’Afrique est ainsi
tenue en échec !
La troisième raison ressort de la politisation de l’université nationale
de Bangui. En effet, tout le monde a en mémoire la constitution d’un comité de
soutien universitaire (CSU) à la candidature du président Touadéra aux
prochaines élections présidentielles, alors que les dispositions de la
constitution du 30 mars 2016 lui interdisent de briguer un troisième
mandat.
Ce
comité, comprenant les hautes autorités de l’UNB, recteur en tête, a pris part
au congrès ordinaire du mouvement des cœurs unis appelé à désigner le candidat
pressenti, et s’est délesté de la somme de 10 millions de francs CFA en cash
pour financer la campagne de M. Touadéra (8).
La
question de la nature et de la provenance de cette enveloppe financière se
pose : s’agit-il d’une contribution volontaire et personnelle de chaque
membre de ce comité ou d’un prélèvement indu sur le budget de l’institution
universitaire ? Dans la première hypothèse, il peut s’agir d’un racket
relevant d’un « consentement obligatoire » imposé par le parti ;
dans le second cas de figure, c’est un abus de biens sociaux consécutif à un
détournement de fonds publics (9) !
De
son côté, le syndicat des enseignants du supérieur s’insurgent par ailleurs
contre la politisation de l’université.
4 – Les
effets pervers de la politisation de l’UNB
La politisation de l’université nationale de Bangui a entraîné trois
effets pervers :
-
Le premier effet pervers se
traduit par la création d’une élite de diplômés, laquelle constitue une
nomenklatura où les titres universitaires comptent plus que toute autre
fonction. Dès lors, les recrutements se font plus par cooptation que fondés sur
les compétences. Cette kakistocratie a créé un
entre soi qui, poussé à la limite du raisonnement, explique la nomination, par
décret du président de la République, d’un enseignant-chercheur en spiritualisme
qui n’est autre que le président de l’association Galaxie nationale, une milice
du pouvoir !
-
Le second effet pervers
concerne trois dispositions de la constitution du 30 août 2023 ; l’une qui
impose la possession du baccalauréat pour être candidat aux élections
législatives pour être député de la nation (article 99, alinéa 4), l’autre
exige, de tout candidat à la présidence de la République, un diplôme de la
licence ou son équivalent (article 67, alinéa 8).
Du coup, ces titres deviennent des éléments de
négociations ou d’acquisition au marché noir de faux diplômes. Pis, l’article 10
de la constitution du 30 août 2023 va plus loin en interdisant l’accès des
binationaux aux emplois civils ou militaires dans la haute fonction publique.
Pris au pied de la lettre, cet article interdit à tout citoyen centrafricain,
ayant deux nationalités, de briguer un poste d’enseignant-chercheur à
l’université nationale de Bangui, laquelle se prive ainsi d’attirer les
meilleurs enseignants et chercheurs !
-
Le troisième effet pervers
concerne la création d’une seconde université. Une réserve foncière viabilisée
avait été trouvée et acquise à une dizaine de kilomètres de Bangui, la capitale,
sur la route de Mbaïki, mais le départ du ministre de l’enseignement supérieur
(MLPC) lors du dernier remaniement en a entraîné l’abandon, au profit de la
répartition du terrain en lotissements en faveur des caciques du pouvoir. Il est
désormais question d’implanter cette nouvelle université à Damara, la ville
d’origine du président, à 80 kilomètres de Bangui.
La légende veut qu’en descendant de la montagne avec les Tables de la
Loi, Moïse fut si surpris de l’idolâtrie du peuple de Dieu devant le Veau d’or
que l’œuvre de Dieu lui chût des mains et se brisa en tombant par terre. Il dût
le retranscrire sous la dictée du Seigneur !
A
voir l’idolâtrie des partisans du président Touadéra, lequel fit serment par
deux fois de respecter les dispositions de la constitution du 30 mars 2016 avant
de se dédire, on peut penser qu’il en sera de même pour sa constitution du 30
août 2023, discriminatoire et xénophobe, laquelle a besoin d’être réécrite ou
mise temporairement de côté, s’il veut organiser des élections transparentes,
inclusives et crédibles.
Paris, le 25 septembre 2025
Prosper INDO
Economiste,
Consultant
international.
(1)
- Stéphanie Balme :
Universités : « L’Europe doit affirmer ses
priorités » ; propos recueillis par Soazic Le Névé, in le journal Le
Monde daté du dimanche 17 et lundi 18 août 2025, page 10. Après les Etats-Unis,
les pays les plus cités sont Chine (15) Royaume-Uni (8), Australie (5),
Allemagne (4), France (4), Israël (3), Japon (2), Singapour (2) et Corée du Sud
(1).
(2)
– Parmi les critères quantitatifs retenus, on peut citer
le nombre de publications dans les grandes revues scientifiques, le nombre de
chercheurs, etc.
(3)
– Ainsi, l’université de Paris-Saclay en France,
13ème au classement, est un campus de 48 000 étudiants,
9 000 enseignants-chercheurs et 220 laboratoires, soit un tiers du total de
la recherche française, et un budget annuel d’environ 510 millions d’euros,
l’équivalent de 360 milliards de francs CFA (le budget d’un Etat
africain).
(4)
– La création de l’université a donc été entièrement
financée sur fonds propres, contrairement à la situation actuelle où l’Etat
centrafricain joue les mendicités.
(5)
– Le budget d’investissement de l’UNB est à hauteur de
400 millions de francs CFA, soit 1/3 seulement du budget global de
l’institution. D’où l’état de décrépitude de ses installations et bien
immeubles.
(6)
– Ce protocole prévoit la présence de l’ensemble du
personnel de l’université, recteur en tête, pour accueillir le chef de l’Etat et
l’accompagner à sa salle de cours, ainsi qu’à la fin de son cour pour
l’accompagner à sa voiture de commandement. Ce n’est donc plus un enseignant
comme un autre !
(7)
– L’article 66, alinéa 1, est ainsi
précisé : « La fonction de président de la République est
incompatible avec l’exercice de toute autre fonction politique, de tout autre
mandat électif et de tout autre emploi salarié ». L’alinéa 4, de ce même
article, précise : « en cas de violation du présent article, le
président de la République peut être destitué selon la procédure prévue à
l’article 153 ». Il suffit pour cela que 50 % des députés se prononce en
faveur de cette destitution pour enclencher la
procédure.
(8)
– Le mouvement des Cœurs unis (MCU), le parti
présidentiel, a installé dans chaque administration, ministère, département ou
agence publique, sous la supervision du secrétaire exécutif de ce mouvement, en
la personne du président de l’assemblée nationale, des « collecteurs »
chargés de recueillir les contributions individuelles des agents de ces
différents services pour financer les assemblées générales, les marches
publiques, les campagnes référendaires ou électorales, les agapes et autres
réunions publiques ! Les récalcitrants prennent le risque de perdre leur
poste ou emploi.
(9) – Aux dernières nouvelles, le SYNAES, le syndicat national des enseignants de l’enseignement supérieur a lancé le 10 septembre 2025un mouvement de grève exigeant, entre autres réclamations, l’apurement des arriérés des vacations de l’année 2022/2023.
Universités mondiales : l’Université Nationale de
Bangui hors-jeu !