A Bangui : faites vos jeux,
rien ne va plus !
1 – La farandole du petit dictateur.
A Bangui, capitale de
la République centrafricaine, le directeur national du « OUI » au
référendum sur la nouvelle constitution du pays est sur tous les
fronts :
-
il est le premier à
annoncer, deux jours avant l'autorité nationale des élections (ANE), les
résultats « préfabriqués » du scrutin, 95,21% (oui) contre 4,79 %
(non). Les chiffres seront repris tels quels par Mathias Barthélemy Morouba,
simple notaire en la circonstance (1) !
-
dimanche 20 août 2023, le
même personnage communique en lieu et place de la cour constitutionnelle, en
annonçant que cette dernière proclamera les résultats définitifs le lundi 21, à
13 heures. Le président de ladite cour se plie à l'exercice !
Occasionnellement vice-président de l'assemblée
nationale centrafricaine – et président de l'assemblée parlementaire de la CEMAC
– ayant amendé de son propre chef l'article du projet de loi fondamentale
quelques jours avant le scrutin, M. Évariste Ngamana, c'est de lui dont il
s'agit, n'a pas su dissuader un groupuscule de députés d'écrire au président de
la Cour constitutionnelle, invitant ce dernier à modifier les dispositions de
l'article 99 alinéa 5 du texte, avant sa promulgation. Ils n’ont pas lu le
projet qui remet en cause les critères de leur future
réélection !
Bref ! C'est la chienlit et l'anarchie à tous les
étages du pouvoir.
L'occasion de s'interroger sur les raisons de cette
précipitation à produire une loi fondamentale, viciée quant à procédure et
bâclée quant à son contenu ; deux motifs qui entachent la sincérité du
scrutin et aurait dû conduire la Cour constitutionnelle à invalider l’ensemble
du processus.
A
cette étape, M. Ngamana apparaît comme le deus ex machina de cette
catastrophe. Il est la figure emblématique de Charlie Chaplin, dans le film Le dictateur (2).
Pourquoi se prêter à ce jeu mortel ? L'hypothèse
est que le président de la république est tenu en laisse par quelques comparses
et conseillers occultes, pressés de faire rapidement fortune ou de se refaire
une santé financière, quitte à plonger le pays dans une dette
abyssale.
Pour dire les choses autrement, la réforme
constitutionnelle a été voulue par ceux qui ont le plus besoins de fortifier
leurs intérêts matériels et financiers, les porteurs du projet de
« tokénisation » des ressources naturelles et autres biens
immatérielles du pays, dans la logique de la
« blockchain ».
2 – Le cadenas de la blockchain et des crypto
monnaies.
Les juristes sont
unanimes : « le droit est un code, tout code est du droit ».
Jusqu'ici, seul un code juridique pouvait conférer le statut d'actif – un
capital – à tous biens, meubles ou immeubles, matériels ou immatériels. Mais
comme le remarque Katharina Pistor, « le développement du numérique
s'est accéléré et nous assistons à présent à l'enclosure numérique de la vie
sociale, politique et économique ». Le code numérique est donc appelé à
remplacer le droit, comme « principal mode d'organisation des relations
économiques et sociales complexes » (3) et à devenir les versions
numériques des modules du code du capital en matière de contrats, de droits de
propriété, d'entreprises et … de monnaies numériques.
Les crypto monnaies, sont donc des monnaies numériques
privées – comme les lettres de change, les actions ou les actifs boursiers -
basées sur la technologie de la blockchain. C'est le cas du Sangocoin – un barbarisme - développé
par la présidence centrafricaine.
L'intérêt de la crypto monnaie, ici le Sangocoin, réside dans le fait que les
investissements doivent être réalisés sur fonds propres, c'est-à-dire de
l'argent cash que les investisseurs détiennent vraiment, et non pas en recourant
à de la dette.
Mais si les crypto monnaies peuvent être considérées
comme une réserve de valeurs ou des moyens d'échange, elles ne sont pas des
unités de compte, sauf si un État en garantie la
valeur !
Ainsi, les capitaux « vagabonds »
transfrontaliers, transportés par des « bandits nomades », ont besoin
d'un « souverain
stationnaire », un État, auquel s'adosser : « n'importe
quel État capable de reconnaître et de faire respecter le codage juridique du
capital peut faire l'affaire » (4). D'où le choix de la RCA, État
failli et moribond, incapable de protéger sa population par des mesures qui
seraient considérées par les investisseurs comme des violations potentielles des
droits privés. C'est le cadenas de la blockchain.
3 – Le carrousel des
maîtres-chanteurs.
En se lançant dans la
logique du « capital vagabond », l’État centrafricain laisse le choix
aux détenteurs du capital (ou ceux qui qui souhaitent le devenir), de décider ce
qui peut être codé en tant que propriété (terres, immeubles, mines, patrimoines
culturels ou intellectuels, etc.).
En second lieu, l'autorité ainsi conférée par le droit
immunise ces « investisseurs
volants » contre tout contrôle politique ; d'où la suppression de
l'article 60 de la constitution qui soumet toute concession, minière ou
forestière, à l'approbation de l'assemblée nationale dès lors que cette
attribution a une incidence financière.
En troisième lieu, on peut s'étonner que toute la
chaîne de construction du « Sangocoin » soit piloter
depuis la présidence de la République, en la personne du ministre d’État,
directeur de cabinet du chef de l’État, et non par le Premier ministre, chef du
gouvernement, seul responsable constitutionnellement devant le
parlement.
On comprend dès lors que la nouvelle constitution est
une exigence fondamentale des « bandits itinérants » qui ont
pris la présidence de la République centrafricaine en otage, pour en faire leur
homme de main, leur « bandit
stationnaire ».
Il reste à se demander de quelle erreur matérielle ou
faute morale, quel crime ou délit, s'est rendu coupable le chef de l’État pour
ainsi subordonner les intérêts de la République à ses intérêts propres et/ou à
ceux de ses maîtres-chanteurs !
Récemment encore, mû sans doute par l'orgueil et la
vanité, le président Touadéra s'est prêté à une opération de dédicace
promotionnelle de sa propre biographie, signée par ses hagiographes du Cameroun,
pays réputé pour sa corruption, où il fît une partie de ses études et la
soutenance de sa thèse de doctorat en mathématiques, science de l'univers de la
blockchain. Je dis ça, je ne dis rien !
Paris, le 27 août 2023
Prosper INDO
Économiste,
Consultant international.
(1)
- M. Mathias Morouba
est avocat, docteur en droit et président de l'Autorité nationale des élections
(ANE).
(2)
– Le Dictateur est
un film satirique américain produit par Charlie Chaplin en
1940.
(3)
- Katharina Pistor:
Le Code du capital. Comment la loi fabrique la richesse capitaliste et les
inégalités. Seuil, paris, mars 2023, 371p.
(4) - Katharina Pistor, op cité, pp. 265 à 295 ; pour
toute cette partie, nous nous sommes inspirés du chapitre 8 du
livre. Contrairement aux
prétentions des promoteurs du Sangocoin, la RCA n’est pas le seul et premier
pays innovateur en ce domaine. En effet, le Salvador a adopté le bitcoin comme
monnaie officielle depuis le 7 septembre 2021, et une vingtaine de pays, dont
six pays africains (Kenya, Nigeria, Togo, Afrique du sud, Ghana, Tanzanie),
utilisent déjà la technologie du blockchain et adopté les crypto monnaies,
surtout dans le cadre des transferts internationaux de monnaie. Le pays qui
présente le meilleur indice d’utilisation en ce domaine est … le Vietnam !