BAVURES TUNISIENNES.

 

     Le président de la Tunisie vient de sonner l'hallali contre les Africains noirs installés dans ce pays, en évoquant « une tentative de transformer la composition démographique arabo-musulmane » de son pays.

Cette déclaration du président Kaïs Saïd, dans un discours officiel prononcé le 21 février 2023, a ouvert la chasse à l'homme et rompt avec le « pacte neo-destourien » de feu le président Habib Bourguiba, fondateur de la Tunisie contemporaine (1).

La théorie du « grand remplacement » trouve ainsi sa traduction politique au sud de la Méditerranée.

Depuis lors, les pays africains au sud du Sahara rapatrient leurs ressortissants, de même que les intérêts tunisiens pâtissent de cet accès de fièvre inhospitalière.

 

     Jusqu'alors, les autorités tunisiennes considéraient les pays alentours – le Mali en particulier – comme leur « profondeur stratégique », bien que le pays n’ait aucune frontière avec l'Afrique noire. En vérité elles visaient à suppléer ou supplanter la France dans ses anciennes colonies du golfe de Guinée. Las, le rideau vient de tomber sur cette ambition.

Il appartient désormais à l'Union africaine de traiter cette irruption raciale en son sein.

     En effet, au moment où le continent noir est l'objet de toutes les convoitises géostratégiques, cette bavure tunisienne, qui rejoint les mauvais traitements infligés aux migrants subsahariens l'an dernier par la police marocaine, est mal venue et doit être soldée.

Elle s'inscrit dans un contexte mondial où les politiques migratoires de fermeture de frontières se multiplient et se diversifient : érection de murs d’enceinte, immigration choisie, externalisation des procédures de demande d'asile, « exportation » des immigrés clandestins à des pays tiers africains (2), etc. Le beau principe de la libre circulation des personnes, des marchandises, des biens et des capitaux est désormais battu en brèche.

Il faut donc revenir à une conception pragmatique du droit international basée sur le principe de réciprocité.

 

A ce titre, l'Union africaine doit déclarer 2023, comme nous l'avons déjà proposée, « Année internationale des migrations africaines » et envisager avec les États membres, les mesures à prendre pour dissuader leurs ressortissants à faire le choix périlleux de l'exil volontaire d'une part (3), et les mesures de prévention ou de rétorsion à prendre vis-à-vis des pays d'accueil qui ne respectent pas la dignité humaine des candidats africains à l'immigration d'autre part.

 

Paris, le 10 mars 2023

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international

 

(1)   – Le mouvement Neo-Destour se distingue du parti Destour, créé en 1920 par Cheikh Thaalibi, et se veut plus populaire, tourné vers l’éducation des masses et leur organisation. Habib Bourguiba en fut l’une des figures de proue.

(2)   – Il en est ainsi du Rwanda qui a signé une convention avec le Royaume-Uni pour récupérer tous les déboutés du droit d’asile en Angleterre. Le président Paul Kagamé s’en explique dans une interview accordée au magazine Jeune Afrique du mois de mars 2023 et s’en justifie : « lorsque j’exerçais la présidence de l’Union africaine en 2018-2019, le drame des migrants qui affluaient en Libye dans l’espoir de gagner l’Europe m’est apparu dans toute sa brutalité : à la merci des passeurs et des trafiquants, condamnés à risquer leur vie sur des embarcations de fortune, réduits en esclavage par des gangs de miliciens, emprisonnés, maltraités … L’idée [ ] était de proposer d’autres lieux de transit, à commencer, bien sûr, par mon propre pays » ( p.46).

(3)   – Parmi les mesures de dissuasion, il convient de s’en remettre à la prescription de l’écrivain Achille Mbembé qui préconise « de purger les Africains du désir d’Europe ». Il ne s’agit pas d’interdire le libre choix des uns et des autres d’aller à leur guise, pour leur agrément ou leurs affaires, mais de le faire en toute connaissance de cause, en leur offrant des alternatives crédibles au plan économique, politique et social.