Centrafrique : Qui a peur de la Vérité (suite et fin). La messe est dite

 

Carte de la République Centrafricaine avec ses voisins

      Voilà, la messe est dite. Ite misa est !

Dans un communiqué daté du 28 avril 2025 (1 alors que le texte est diffusé samedi 26), l'UPC (union des peuples de Centrafrique), du chef rebelle Ali Darrassa Mahamat, déclare s'inscrire désormais dans les accords politiques de paix et réconciliation en RCA (APPR-RCA) de Khartoum du 06 février 2019, ainsi que dans la feuille de route du cessez-le-feu de Luanda (Angola) du 16 septembre 2021. Cette position fait suite à l'accord signé le 19 avril 2025 entre son groupe armé et le gouvernement centrafricain, sous le patronage du président tchadien (2).

 

A la suite de cette décision, passée sous silence par le gouvernement centrafricain, car discutée et paraphée sans débat devant le parlement, on comprend que les bourreaux des populations de la Basse-Kotto et du Mbomou d'une part, celles de l'Ouham-Pendé et de l’Ouham d'autre part, vont rentrer au gouvernement de la République et tirer bénéfice des privilèges attachés à ces fonctions (3). Il n'y aura donc pas de justice pour les victimes des massacres d'Alindao ni de Bossangoa, expéditions au cours desquelles plusieurs membres du clergé catholique ont été décimés !

On comprend donc que le CVJRR soit sabordé. Le pouvoir a peur de la vérité !

Il ne fait aucun doute que le chemin de croix du peuple centrafricain ne s'arrêtera pas là...

 

1 - Les leçons d'une enfance africaine

     Lorsque j'étais gamin, je partais chaque samedi matin ; armé de mon lance-pierres et accompagné de mon chien fidèle, Médor, à la chasse des lièvres et tourterelles.

A l'occasion, pour passer ma colère en revenant bredouille, j'écrasais du gros orteil la colonne de fourmis rouges qui rentraient vers leur nid, chargées de butins divers.

Un jour où je racontai ce stupide amusement à mon père, il s'emporta et cette sentence : « à force d'écraser les fourmis, tu finiras un jour par mettre le pied sur une bombe » ! Sur le moment, dans mon innocence d'adolescent, je trouvai le sermon exagéré.

Devenu adulte, en ayant la charge d'une administration, je pris conscience de la charge symbolique de ce qui était un conseil : « la puissance de la masse est plus forte que la force du pouvoir ou du pouvoir de la force ». Elle est dévastatrice, car un peuple qui résiste et refuse d'obéir l'emporte toujours ; toutes les révolutions le prouvent.

Je compris aussi pourquoi, de la sixième à la terminale, alors que j'étais interne, je devais en sortant chaque samedi midi, me rendre obligatoirement et directement chez mon grand-père, au quartier Bruxelles, assisté aux palabres du tribunal coutumier où se prenait les jugements de première instance, fondés sur la palabre, c'est-à-dire la recherche acharnée du consensus (4). Cet apprentissage dura trois cents soixante-quatre samedis !

 

2 – Le Nègre ne sait pas se gouverner

C'est dire qu'en s'inscrivant dans la lignée des tyrans et dictateurs, en usant de la force de son appareil répressif (milices, tontons macoutes et forces de sécurité intérieur) et de l'assise financière de l’État, le président Touadéra peut acheter des votes (5), contraindre un féal récalcitrant à la contrition (6), éliminer quelques adversaires politiques (7), il ne pourra jamais conquérir le cœur du peuple centrafricain.

A ne pas vouloir se couvrir de dignité, c'est-à-dire en ne respectant pas ses engagements et serments, en ne faisant pas preuve de loyauté et d'honnêteté, et en ne poursuivant pas le bien commun comme le montre l'étroitesse de son bilan socio-économique, après quinze années d'exercice du pouvoir, il ne peut qu'attiser la colère du peuple et courir le risque de ne pas rentrer dans l'histoire ! Car il aura réussi, triste paradoxe, à épuiser l'énergie contenue dans la pensée de Barthélémy Boganda et vider l’idéal du père fondateur de la RCA de tout sens (8).

 

Il finira comme les Duvalier, père et fils, fossoyeurs, par leurs frasques, de la première République indépendante noire au monde, Ayiti !

Qu'il se rassure néanmoins, il n'est pas seul en cette année 2025, à voir les subterfuges mis en place par les différents pouvoirs africains : en Côte d'Ivoire, pour éliminer Tidjane Thiam, après avoir enterré deux premiers ministres successifs ; en RDC, pour museler le parti de Joseph Kabila ; au Cameroun, pour contraindre un vieux barbon à demeurer au pouvoir à l'encontre de son plein gré ; en Guinée équatoriale, pour que le fils succède au père, resté au pouvoir quarante-six ans durant ; au Gabon, où un putschiste se fait élire président sans mot dire de la France ; en Guinée où un colonel s’apprête à faire de même en mettant aux voix une nouvelle constitution, etc.

On comprend le cri du cœur de Kofi Yamgnane : « Afrique, la démocratie introuvable ». On n'en vient à penser - qui a peur de la vérité ? - que « le Nègre ne sait pas se gouverner » !

 

Mais cette proposition est indécente, parce que trop excessive, comme dirait un ami Français ; à condition de revenir à l'esprit traditionnel de la palabre africaine, où la recherche du consensus n'est pas la recherche éperdue de l'unanimité.

Par deux lettres ouvertes destinées au président Touadéra, en 2016 puis en 2020, correspondances demeurées lettres mortes, j’ai tenté de prévenir ce dernier des difficultés et des contraintes de sa charge, l’enjoignant à sortir de Boy rabe et de s’ouvrir à l’opposition démocratique. Il a ignoré ces conseils et se prend aujourd’hui les pieds dans le tapis. Il doit donc renoncer !

Personnellement, n’ayant pas vocation à jouer les oies du Capitole, de guerre lasse, je me retire sur l’Aventin. Car il n'y a désormais qu'une issue ; la désobéissance civile !

 

Paris, le 28 avril 2025

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international

 

(1)   – Le communiqué est daté du 28 avril courant alors qu'il a été rendu public dès le 25 avril 2025.

(2)   - Le groupe armé 3R, pour Retour, Réclamation, Réhabilitation du « général » Sembé Bobbo (littéralement : l'assiette de termites)  réclame avoir paraphé le même accord de N’Djamena le 25 avril 2025.

(3)   – Les dispositions de la constitution du 30 août 2023, stipulent que les membres, de l'exécutif  et du législatif, jouissent de l'immunité pour les crimes et délits commis dans le cadre de leurs fonctions ou au cours de leur mandat. Le pouvoir organise ainsi sa propre impunité !

(4)   - La discussion se poursuivait entre les parties en cause jusqu'à ce qu'un point d'équilibre soit trouvé ; la victime et l'infracteur acceptant la « sanction » proposée. En l'absence de tout mécanisme de privation de liberté stricto sensu, les sanctions étaient soit des réparations en natures, soit des dédommagements en numéraires (indemnisations) ou symboliques (au sens premier du terme, non point subalterne mais moral et spirituel).

(5)   - En priorisant l'accord avec les groupes armés, M. Touadéra avoue implicitement son ascendance peuhle ; il n'est donc pas Centrafricain d'origine, mais d'adoption. Le sang appelle le sang, c’est génétique ! Mais cette vérité l’exclut d’office de toute candidature à la présidentielle de 2025, au titre de l’article 67 de la constitution qu’il a lui-même promulguée le 30 août 2023. Certes, la tentation est grande, sous couvert du processus DDR (désarmement, démobilisation et réintégration) de faire inscrire et voter tous les éléments des groupes armés sans distinction, quelle que soit leur origine nationale (Tchadien ou Soudanais). C'est pourquoi, en fixant leur prochaine mobilisation au 30 mai 2025, au lendemain de la publication de la liste électorale définitive, les partis politiques de l'opposition démocratique ne feront qu'avaliser une liste « fantoche ». On fera donc voter des étrangers !

(6)   – C’est l’interprétation qu’il faut donner à l’audience accordée par Faustin Archange Touadéra à son ancien Premier ministre Henri-Marie Dondra, président d’UNIR, après l’arrestation de ses deux frères cadets, accusés pour une sombre histoire d’empoisonnement par Euloge Doctrouvé, le biographe officiel du président Touadéra.

(7)   - On pense ici, à la mort du Premier ministre Mandaba sous le président Patassé, à l'assassinat du colonel Christophe Grélombet, ancien ministre de l'intérieur, et de son fils Martin, ainsi que le meurtre de M. Léon Bangazoni, tous sous la présidence du président Patassé ; à la disparition du médecin-colonel Charles Massi, sous le président François Bozizé (on rappellera pour mémoire la découverte d'ossements humains dans les fondations de la résidence privée de ce dernier après sa fuite au Cameroun et son exil en Ouganda) ; la condamnation à perpétuité par contumace des nommés Akandji-Kombet, Nguérékata, Meckassoua et autres Dologuélé, ainsi que l'arrestation et la détention arbitraire du député Dominique Yandocka, ou l'arrestation des frères Dondra, sous le président Touadéra, etc.

(8)   – Dans cette débâcle générale et collective, l’opposition démocratique a sa part de responsabilité, à travers : l’ego surdimensionné de ses leaders charismatiques obnubilés par l’imitation du tenant de la charge convoitée, l’étroitesse et la faiblesse de leur base électorale (les militants n’acquittent aucune cotisation et vivent aux dépens du président),  leur éparpillement idéologique et l’absence d’une doctrine stratégique claire, un positionnement tournant qui interdit tout ancrage et fidélisation…