Centrafrique : les animaux malades de la peste (1).

 

 

     Pour débloquer la situation politique en République centrafricaine, marquée par d'innombrables entorses et malversations à l’État de droit et au processus démocratique, le Groupe des Sages de l'Union africaine (2) a convié le régime du président Touadéra et les responsables de l'opposition démocratique à une réunion de médiation à Bujumbura (Burundi).

Or, contre toute attente, les deux parties ont rejeté l'invitation, s'accusant l'une et l'autre d'être à l'origine de ce projet de concertation (3).

 

1 – Un pouvoir quasi incestueux à la tête d'un État en faillite.

     On reconnaît un leader charismatique à la qualité de son entourage, plus particulièrement aux capacités et compétences de ses proches collaborateurs. En RCA, on est loin du compte. Outre son oncle, ministre conseiller spécial à la présidence et vociférant mythomane qui s'autoproclame « homme d’État », le cabinet exclusif du président de la république est constitué de ses oncles maternels, ses neveux, son beau-frère, pendant que les ministres de son gouvernement sont, soit ses maîtresses soit les géniteurs de ses favorites (4). Il s'agit d'un pouvoir quasi incestueux, une presque secte, avec ses rites et ses rituels ; tribalisme, népotisme et concussion.

En refusant de se rendre à Bujumbura, Faustin Archange Touadéra écorche un peu plus sa tunique de président en exercice de la CEMAC et de « facilitateur » désigné par la CEEAC de la crise gabonaise.

 

2 – Une opposition démocratique démonétisée.

     Réunis le 25 septembre 2023 à Paris (France), les principaux leaders du Bloc républicain pour la défense de la constitution (BRDC) ont pris trois décisions : ne pas reconnaître la nouvelle constitution promulguée le 30 août 2023, refuser de se rendre à Bujumbura, et boycotter les futures élections locales prévues en octobre 2024, au prétexte que le pouvoir du président Touadéra est « illégitime et illégal », issu d'un « coup d’État constitutionnel ». Ils signent leur échec !

A force de pratiquer la politique de la chaise vide, que ce soit lors du « dialogue républicain » ou dans le cadre du processus référendaire, les chefs des partis politiques de l'opposition sont passés maître dans l'art du boycott, sauf pour les élections présidentielles dont ils sont tous friands. Désormais empêchés d'être sur le terrain, ils sont sans bases et sans ressort (5). Dans ces conditions, récuser l'Union africaine dans son rôle arbitral est stupide et dérisoire (6).

 

3 – « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ».

     En refusant de se rendre à Bujumbura, pouvoir et opposition sont dans le rôle des « animaux malades de la peste ». Ayant promulgué une nouvelle constitution écrite à l'encre sympathique et votée dans la précipitation, en violation flagrante du processus référendaire, le président centrafricain endosse le rôle peu envieux du baudet de la fable de Jean de La Fontaine :

                                         « Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal ».

Le voici désormais aux abois, entre nommé un vice-président ectoplasmique et sans statut (7), ou un Premier ministre de circonstance et sans pouvoir réel.

Coincé entre l'ultimatum de Joe Biden et la reprise en main de Wagner par Vladimir Poutine, en prise avec la mainmise du Rwanda sur le pays et l'apathie de la MINUSCA (8), le pouvoir centrafricain est un bateau ivre, réduit à organiser des marches de manifestants mineurs, payés 500 francs CFA (0,70 centimes d’euro), pour réclamer la levée d’immunité parlementaire des leaders de l’opposition, et plaider pour leur condamnation par contumace à la prison à perpétuité !

 

Paris, le 8 octobre 2023

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – « Les animaux malades de la peste » est une fable du moraliste français Jean de La Fontaine.

(2)   – Le Groupe des Sages est un organe statutaire dont le rôle est de conseiller le Conseil Paix et Sécurité (CPS) et le Président de la commission exécutive de L’Union africaine dans le domaine de la prévention des conflits, la promotion et le maintien de la pax, de la sécurité et de la stabilité sur le continent, dans le domaine de la diplomatie et de la médiation. Le Groupe des Sages est constitué par cinq « personnalités africaines hautement respectées, d’une grande intégrité et d’une indépendance d’opinion avérée ». L’actuel président du Groupe des Sages est Domitien Ndayizeye, ancien président du Burundi.

(3)   – D’aucuns prétendent qu’il s’agit d’une initiative de Jean-Jacques Demafouth, représentant de la CEEAC au Burundi, ancien ministre centrafricain de la défense du président Patassé, ex- chef rebelle de l’APRD sous le régime du président Bozizé, ancien conseiller spécial de Mme Samba-Panza sous la transition et, pour quelques observateurs, honorable correspondant français. Ce dernier viserait le poste de Premier ministre du président Touadéra !

(4)   – Cf. le journal en ligne Corbeau news, qui rapporte le crêpage de chignon entre la ministre des affaires étrangères et la fille du ministre de la santé lors du sommet du G77 à La Havane. Une bagarre entre la maîtresse et favorite pour une question de préséance protocolaire !

(5)   – Fidèle Ngouandjika, le ministre conseiller spécial du président Touadéra appelle à la levée de l’immunité parlementaire des députés Anicet Georges Dologuélé et Martin Ziguélé, signataires de l’appel de Paris du 25 septembre 2023, afin de les contraindre à l’exil de fait. Ancien étudiant en Roumanie sous l’ère Nicolae Ceausescu, Ngouandjika semble avoir gardé les stigmates idéologiques et psychologiques de son pays d’adoption temporaire.

(6)   – Les leaders de l’opposition oublient sans doute, à tort, que l’Union africaine s’est prononcée contre le projet de nouvelle constitution lancé par le président Touadéra.

(7)   – Dans la nouvelle constitution, le vice-président n’est pas élu ; il est nommé par le président de la République, qui peut lui confier des missions ou déléguer certaines de ses prérogatives, mais dont le rôle essentiel consiste à assurer l’intérim du président, en cas d’empêchement définitif, et à organiser les élections présidentielles, à la condition de ne pas être lui-même candidat.

(8)   – La rumeur fait de la responsable de la MINUSCA et représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU à Bangui, la Rwandaise Valentine Rugwabiza, une belle-sœur putative du chef de l’Etat centrafricain !

------------------------------------ Tribune – Point de vue de Sangonet