Civilisation, vous avez dit civilisation ?

 

     Ismaël Haniyeh est mort mercredi 30 juillet 2024, victime mortelle d'un attentat ciblé par drone.

L'affaire s'est nouée une semaine plus tôt, lorsque le Premier ministre israélien, placé sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), était à Washington où il a pris la parole devant le Congrès américain : « Nos ennemis sont vos ennemis. Notre victoire sera votre victoire », a-t-il conclut en substance, faisant ainsi valoir la complicité objective des Américains dans le drame en cours à Gaza (1) !

A l'issue de cette prise de parole, M. Netanyahu a rencontré successivement le président américain  Joe Biden, la vice-présidente Kamala Harris, prétendante à la candidature démocrate aux prochaines élections présidentielles, et le candidat républicain Donald Trump, ancien locataire de la Maison Blanche et prédécesseur de Biden.

Il est difficile de croire que ces derniers n'aient pas été informés des objectifs à court terme du chef du gouvernement israélien.

 

On connaît de longue date la position tranchée et inconditionnelle de Trump. De son côté, Biden ne fait plus mystère de son engagement sioniste de plus de 70 ans. Quant à Mme Harris, on ne peut pas encore lui reprocher l'appartenance communautaire de son époux.

A première vue, la cause est entendue et le soutien américain acquis.

Il en va de même du côté de Paris où le président Emmanuel Macron a souhaité la bienvenue à M. Netanyahu, s'il venait à se rendre à la cérémonie des jeux olympiques de Paris 2024 !

Ainsi donc, quoi qu'il se passe, l'assassinat du leader politique du Hamas à Téhéran, où il était venu assister à l'investiture du nouveau président iranien – un Réformateur, nous dit-on – recueille l'assentiment préalable des amis d'Israël et de leurs alliés !

Tout ce qui les préoccupe désormais, ce sont les risques de généralisation du conflit. La mort d'un homme leur est indifférente.

 

1 – La fin d'une double fiction

Ce crime ad hominem, qui survient en plein jeux olympiques, lève le voile sur deux hypocrisies.

La première concerne le tabou de l'immunité des différents chefs d’État et de gouvernement. Après l'exécution de l'Irakien Saddam Hussein, l'assassinat du libyen Mouammar Kadhafi et de tant d'autres par le passé, les masques tombent (2). Le consensus est brisé, et aucun dirigeant ne devrait plus se sentir en sécurité nulle part. Il en ira bientôt de même pour tous ceux qui se réclament, sur la foi de la Bible et la main sur le cœur, d'un quelconque peuple élu de Dieu ; tous les autres étant alors considérés comme piétaille, sous-hommes ou « animaux humains ». Civilisation, vous avez dit civilisation ?

La seconde fiction, qui doit être levée, est celle de la trêve olympique, c'est-à-dire la proposition suivant laquelle la durée des Jeux olympiques doit être mise à profit pour éteindre les conflits, régler les différents diplomatiques, observer un cessez-le-feu ou décider d'un retrait unilatéral voire instaurer une paix durable... L’assassinat du leader palestinien met fin à une félonie !

 

2 – Après Paris 2024, les jeux olympiques d'été ne seront plus ce qu'ils sont

A ce titre, les JO Paris 2024 sont les derniers du genre. Marqués dès le départ par opprobre des athlètes russes et biélorusses, privés de drapeau, interdits de participation au défilé et de présence à la cérémonie de prestation de serment – au contraire des représentants de l’État d'Israël, accompagnés d'une poignée de sportifs palestiniens traités en otages en la circonstance, car invités sans avoir atteint les minimas imposés dans chaque discipline, ainsi que d'une fragile équipe de réfugiés sans nationalité ni étendard – ces jeux sont devenus une manière de continuer la guerre, diplomatique, économique, idéologique ou religieuse ; ce que traduit bien la course aux médailles dont le décompte, au jour le jour, démontre l'ambition des puissances qui comptent (3).

Participer n'est plus à l'ordre du jour et ne suffit plus.

Les jeux olympiques Paris 2024, par les ambitions proclamées, les transgressions affichées, la volonté jupitérienne du président Emmanuel Macron d'imposer sa vision du monde et de célébrer la France, mais non point le sport et les athlètes de tout pays, ont tué l'esprit premier des jeux olympiques contemporains. Depuis ce 26 juillet 2024, le Baron Pierre de Coubertin doit se retourner dans sa tombe (4).

Bientôt, chaque partie du globe aura ses jeux olympiques ; qu'ils soient de l'Amitié des peuples (Russie), de la francophonie (France), du Commonwealth (Royaume Uni) ou de tout autre zone ou traité (OTAN, BRICS ou ASIAN), la cause est entendue (5).

Les jeux de la trente-quatrième olympiade de l'ère moderne qui devraient être célébrées à Los Angeles (Californie), du 14 juillet au 30 juillet 2028, en feront la démonstration.

Aléa jacta est !

 

Paris, le 1er août 2024

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Étant sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), M. Netanyahu aurait dû être arrêté. Mais se prévalant de ne pas avoir ratifié le traité de Rome instaurant cette juridiction, les États-Unis peuvent se sentir non concernés par l'application des décisions de cette juridiction internationale ; ce qui est aussi le cas d'Israël, de l'Ukraine, etc.

(2)   - Indépendamment des assassinats ci-dessus, on peut rappeler la mort et de l'immersion de Ben Laden ; de ce qu'aurait pu être le destin du président syrien El Assad si, au dernier moment, se souvenant du coup monté par Tony Blair et Nicolas Sarkozy pour des raisons de politiques intérieures et d'escroquerie financière de compte de campagne, Barak Obama n'avait pas refusé d'accorder l'appui de son armée aux velléités guerrières du président François Hollande. On peut également énumérer tous les crimes ciblés, commis par la France en Afrique noire, qui ont décapités les principaux mouvements indépendantistes africains ou les leaders africanistes ou panafricanistes successifs (de Sylvanius Olympio à Marian Ngouabi, de François Ngarta Tombalbaye à Thomas Sankara, de Mounié à Um Nyombé)

(3)   - Prétendre que les décisions d'invitation des différentes délégations de sportifs relèvent de la seule compétence du Comité olympique international (CIO) est une galéjade, tant ce dernier n’est qu'une métastase de l'occident d'une part (sur les 206 pays qui participent aux JO, 106 personnes seulement composent le Comité olympique, dont la majorité de 54 représente « les intérêts de l’occident collectif »), et d'autre part, parce que la participation des athlètes est soumise à la délivrance des visas par le pays hôte des jeux. Même en 1936, sous le III Reich, Adolf Hitler n’eût point l’idée d’interdire la présence des athlètes noirs !

(4)   – Lors du Congrès olympique qui s’est tenu à Prague en 1925, Pierre de Coubertin, le père-fondateur des jeux olympiques contemporains en avait le principe de base : «Tous les peuples y doivent être admis sans discussion, de même que tous les sports y doivent être traités sur un pied d’égalité sans souci des fluctuations ou des caprices de l’opinion ».

(5)   – On se souvient des « Jeux anthropologiques » de 1904, à Saint Louis, dans le Missouri (Etats-Unis), qui vit la participation du pygmée Mbuti du nom d’Ota Benga, confronté à d’autres indigènes (Sioux, Pawnees, Aïnous, Patagoniens, Zoulous, Moros, etc.) lesquels s’affrontèrent pendant deux jours en diverses épreuves sportives, tel le lancer du poids de 7 kilogrammes ou la course sur 100 yards, etc. L’objectif visé était de rendre évidente aux yeux du monde entier la supériorité de la « race blanche » sur les « sauvages », et vérifier par là-même le postulat émis par Henry Cabot Lodge en 1896 : « le temps consacré aux compétitions athlétiques et les blessures subies sur le terrain de sport, font partie du prix que la race anglophone a payé pour être la conquérante du monde » !