Civilisation, vous avez dit civilisation (2)

     Après Karl Marx et sa « religion, opium du peuple », le sport en général et les jeux olympiques en particulier symboliseraient-ils la nouvelle addiction populaire ?

On peut le penser à voir l'engouement de ces deux dernières semaines. Certes, il est encore trop tôt pour faire le bilan de ces Jeux olympiques de Paris 2024. Il n'est cependant pas interdit de relever quelques impressions fugaces, mais qui demeureront tenaces, comme les images fortes de la cérémonie d'ouverture ou celles policées et un peu guindées, comme numérisées, de la clôture.

 

1 – L'esprit cocardier. Il est surtout celui de la presse française dans son ensemble, en particulier celui des chaînes de télévision et de leurs commentateurs. On ne pouvait manquer aucun sportif français. Mais, pour voir les sportifs des autres délégations, il fallait que leurs représentants soient directement confrontés aux sportifs français, sauf dans les courses de série.

On a pu ainsi voir les deux équipes africaines de football qui ont participé aux demi-finales de la compétition : Égypte et Maroc ont pu se départager lors du match pour la troisième place.

Le chauvinisme était dans l'esprit de certains supporters français qui ont reproché au député Thomas Portes de féliciter l'adresse de Steve Curry lors de la finale de basket-ball. Il faut avoir l'esprit obtus pour ne pas apprécier les quatre tirs à trois points déclenchés par le joueur des Warriors, qui ont donné la victoire à son pays, dans les deux dernières minutes de la partie. Simplement magique !

 

2 – La diversité. Ce fut un bonheur immense de voir tous ces athlètes, noirs compris, célébrer leurs sports respectifs, se donnant à fond, pour franchir la ligne d'arrivée. Ce fut flagrant dans les courses de fond et demi-fond. Voir les marathoniens sprinter à 200 mètres de l'arrivée pour ne pas perdre une 21ème place, après 42 kilomètres de course, forçait l'admiration et le respect.

Côté français, ce fut un déluge : entre les victoires de Léon Marchand à la nation, l'immense domination de Teddy Riner au judo, en passant par l'abnégation des « fous » du sélectionneur Thierry Henry, le panache des équipiers de Earvin Ngapeth au volley-ball – un certain Patry fut éblouissant – la combativité des partenaires de Victor Wembanyama ou des coéquipières de Gabby Williams au basket-ball ; on ne savait pas où donner de la tête, jusqu'à ce que la frêle mais élastique Cyréna Samba-Mayela vint clore la séquence sur 100 mètres-haies avec une belle médaille en argent. Estelle Nze Minko et les filles du hand-ball avaient déjà la tête dans les nuages avec leur médaille d’or ! Les sportifs de l'outre-mer et ceux issus de l'immigration – la diaspora africaine - ont tenu leur rang, n'en déplaise aux théoriciens du grand remplacement.

 

3 - Le rayonnement. Il fut africain, c'est-à-dire noir, disons le mot. Non pas que les sportifs représentants les États du continent aient tous brillé, à l'exemple du Botswanais Letsile Tebogo, loin de là. Mais jusqu'à présent, on était habitué à voir les afro-descendants monter sur les marches du podium ; que ce soit les sportifs noirs des États-Unis, du Brésil ou de Cuba. Cette fois-ci, il était surtout curieux de voir  des athlètes noirs, d'origine africaine, concourir avec brio et/ou succès pour l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, le Qatar, le Kazakhstan … Oui, un Kazakh noir, cela s'est vu !

Paradoxalement, ce rayonnement est le résultat de l'incapacité des pays africains à promouvoir une politique globale d'incitation et de promotion des sports en faveur de leur jeunesse, en termes de structures, d'infrastructures, de formation et d'encadrement.

En l'absence de cette stratégie globale, les États africains voient leurs élites sportives fuir le continent noir, comme hier leurs élites intellectuelles, conformément à « la théorie du vote à pied ».

Pour Los Angeles 2028, la question se pose dès aujourd'hui. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !

 

Paris, le 12 août 2024

 

Prosper INDO

Economiste, Consultant international.