La République centrafricaine est dans la nasse.

 

     Enfermée dans les contradictions de ses dirigeants, la République centrafricaine est prise dans la nasse d'une véritable crise politique, économique et morale. La reconstruction sociale du pays est en panne.

 

Le 31 octobre 2022, suite à la volonté du président Faustin-Archange Touadéra d'adopter une nouvelle constitution par voie référendaire, j’ai écrit ceci :

« Loin de nous l'idée d'une fraternité illusoire pour faire maison commune avec des gens qui ont fait la démonstration de leur propension au tribalisme, au cynisme et à l'esprit de revanche » (1). Ce mot d'ordre est toujours d'actualité, d’autant que les choses se précipitent.

Il se trouve en effet que, lors du sommet USA-Afrique de décembre 2022, le président Joe Biden aurait mis en demeure le gouvernement centrafricain : « évincer vos alliés russes et nous apporterons notre aide [militaire et financier] au renforcement de la Minusca, et à l'éloignement de François Bozizé, sans quoi nous vous frapperons de sanctions » (2), à la fin de l’année 2023.

Cet appel à la rupture d'un traité international, est immoral et amoral : immoral, parce que les États-Unis ne sont pas exempts de reproche dans le chaos qui sévit en RCA ; amoral, car il vise à priver le peuple centrafricain de l'exercice de ses droits à la justice et à la pleine souveraineté, alors que la stratégie politique du changement de régime, qui consiste à remplacer un pouvoir en place au besoin par la force, a échoué partout où elle a été appliquée (3).

 

Bien entendu, l’engagement volontaire et offensif de Joe Biden, le président américain, ne se soucie guère du sort du peuple centrafricain. Il consiste surtout à sauvegarder, renforcer voire étendre le système néolibéral. C’est le modèle occidental, l’ « Empire informel », dont les Etats-Unis sont le centre. C’est un « chancre », avec ses « nécroses » et ses « métastases », qui gangrènent toute la planète. En l’occurrence, l’Occident est un champ de tournesol dont les fleurs recherchent en permanence les rayons du soleil. A notre époque, l’Afrique est devenu cet astre solaire, objet de toutes les convoitises.

C'est la raison qui m’a conduit à demander aux leaders de l'opposition démocratique de soutenir le gouvernement centrafricain d'une part et, d'autre part, à inciter le régime du président Touadéra à former un gouvernement national de Salut public, intégrant les chefs de cette opposition démocratique, afin de faire front commun.

 

A l'inverse de ces propositions, le président de la République centrafricaine a pris deux initiatives iconoclastes qui témoignent de l'irrationalité de sa vision politique.

D'abord, il s'est précipité à Libreville, à l'occasion du « One Forest Summit », pour rencontrer le président français Emmanuel Macron et tenter de renouer les fils d'un dialogue de confiance perdu d'avance, au moment même où la France reconnaît l'échec de sa politique africaine. Cette tentative de soumission étonne. C'est trahir, et le peuple centrafricain et les alliés russes, auxquels on a fait avaloir la théorie de la souveraineté nationale.

Pis, le président Touadéra a ensuite quitté le sommet de Libreville dès la fin de son entrevue avec le président français, pour se précipiter à Doha, au Qatar, et lancer une féroce diatribe contre l'Occident, jugé « responsable du sous-développement de la RCA, pays doté pourtant d'énormes potentialités en ressources naturelles, mais déstabilisé pour des raisons géostratégiques » !

La tonalité de ce discours surprend, aussi bien par son opportunité que  par sa pertinence, dans le cadre d'une conférence des Pays les moins avancés, où les États présents viennent exposer leurs projets de développement et en appeler aux financements des investisseurs publics ou privés internationaux.

Dans le contexte du moment, cette mise en cause unilatérale peut être compréhensible mais reste contreproductive et vaine :

-        compréhensible, parce qu'elle s'inscrit dans la continuité de l'ultimatum du président américain, qui maintient la pression en obtenant la nomination de Mme Danièle Darlan, ancienne présidente de la Cour constitutionnelle, au titre de Dame courage de l'année 2023 ;

-        contreproductive, pour la raison que le président centrafricain n'était porteur d'aucun projet ou proposition concrète, et se contentait de dénoncer la résolution de l'ONU concernant l'embargo sur les armes et la suspension de la RCA du processus de Kimberley.

 

Cette accusation anti-occidentale – qui relève du discours estudiantin des années 68 contre l'impérialisme américain – a déjà reçu une réponse factuelle en décembre 2010, alors que Faustin-Archange Touadéra est le Premier ministre d'un certain président François Bozizé, de la part de l'un de ses anciens ministre d’État, le médecin-colonel Charles Massi (4).

C'est peut-être cette réponse apocryphe qui a valu, à l'infortuné Charles Massi, d'être torturé jusqu'à ce que mort s'en suive, sans que sa dépouille mortelle ne soit remise à sa famille. Un mort sans cadavre !

 

Or, depuis son retour à Bangui, le président centrafricain doit faire face à trois évènements majeurs :

-          la grève des personnels soignants et des enseignants d’une part (5) ;

-          la tentative d’incendie criminelle du site de la Brasserie Castel à Bangui (6) ;

-          l’assassinat, non revendiqué à ce jour, de neuf orpailleurs chinois sur le site minier de Chimbolo, à 25 kilomètres de Bambari, chef-lieu de la région Ouaka (7) !

Ces graves incidents, qui s’inscrivent à la suite de l’attentat au colis piégé contre le directeur de la Maison de Russie à Bangui d’une part, et l’incendie du siège de l’Union européenne dans la capitale centrafricaine d’autre part, témoignent de la persistance de l’insécurité dans le pays. Les enquêtes ouvertes à la suite de ces évènements graves demeurent sans résultat probant jusqu’à ce jour.

Dès lors, on comprend mal la satisfaction du président Touadéra, exprimée le 21 mars 2023 lors de la cérémonie de clôture du séminaire gouvernemental d’évaluation de la mise en œuvre des 643 recommandations issues du Dialogue républicain, et les félicitations qu’il a prodiguées aux membres du gouvernement du Premier ministre Félix Moloua sur leur performance : « Il me plaît de constater que durant dix jours d’échanges riches, de partage et de concertations, vous êtes arrivés à des conclusions et recommandations de haute estime » !

Apparemment, le président et le gouvernement n’ont pas les mêmes grilles de lecture et critères d’évaluation que les personnels de santé, les enseignants ou les employés des abattoirs de la ville de Bangui. Pour dire autrement les choses, le pays est dans la nasse.

 

Pour sortir des rets du filet, le régime au pouvoir s’est lancé dans un activisme débridé, désordonné, incohérent :

-          c’est d’abord la promesse du chef de l’Etat d’augmenter le traitement des personnels de santé et enseignants, au moment même où le ministre des finances annonce une crise de liquidités qui ne permet pas de solder la masse salariale des fonctionnaires à la fin de ce mois de mars 2023 ;

-          c’est ensuite la diffusion, en sous-main, d’un projet de remaniement ministériel laissant augurer à quelques opportunistes l’espoir d’intégrer le gouvernement, histoire de tarir les mécontentements et nourrir quelques impatiences ;

-          c’est encore le ministre conseiller spécial du président de la république qui confesse sa vassalisation, « les Russes ne quitteront jamais la RCA, même s’ils nous envoient des fous ou des criminels » ;

-          c’est surtout l’ouverture par le Premier ministre Moloua, le 23 mars 2023, d’une table ronde destinée à assurer « la mobilisation, la coordination et l’engagement des partenaires techniques et financiers (PTF) dans la mise en œuvre du mandat et des missions de la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR) », la troisième du nom en quinze ans, aux fins d’exhorter la communauté internationale à faire davantage dans la mobilisation de ressources financières conséquentes ! Voilà un pouvoir qui envisage une dynamique de justice transitionnelle, la CVJRR, dont il n’a pas les moyens, à trois ou quatre mois des élections territoriales, municipales et régionales, qu’il ne peut pas financer ;

-          c’est enfin l’annonce, par le président Touadéra le 30 mars 2023 à l’occasion du deuxième anniversaire de son second mandat, et après avoir une fois de plus accusé les Occidentaux de toutes les malversations, de « créer un Centre de formation et d’éducation au changement des mentalités » au profit de la jeunesse centrafricaine, sous l’égide de la … Corée du sud ! Cela résonne comme la naissance d’un goulag tropical, la création d’une secte du Temple solaire, Moon ou Waco, c’est selon.

 

Vous avez dit amateurisme ? Non, je n’ai pas dit amateurisme !

 

Paris, le 30 mars 2023

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Cf. Prosper Indo : Ci-gît le pays de Barthélémy Boganda, in Sangonet.com.

(2)   - Mémorandum remis au président Touadéra au sommet de Washington, du xx au xx décembre 2022. Bien que l'ambassadrice américaine auprès de la RCA démente l'utilisation du terme ultimatum, il faut bien considérer que la mise en place d'une date butoir constitue une menace sous condition. Joignant le geste à la parole, l’ancien président François Bozizé, exilé jusqu’alors au Tchad, a été exfiltré vers la Guinée Bissau. Dans le même mouvement, une délégation américaine conduite par l’ambassadrice Patricia Mahoney était à Bangui le 28 mars 2028, pour évoquer le partenariat bilatéral entre les deux pays dans le domaine de la diplomatie, le développement et la défense ; la règle des 3D !

(3)   - Il en est ainsi de la guerre d'Irak, de l'intervention de l'Otan en Libye, de la guerre en Afghanistan, etc. De même, malgré une cinquantaine d'interventions militaires et politiques en Afrique francophone, la France n'a fait qu'installer l'instabilité politique et les crises à répétition, au Mali, en Centrafrique, au Togo, au Bénin, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Congo, au Tchad, voire au Burkina-Faso, etc.

(4)   - Après avoir listé les innombrables dysfonctionnements de l’État centrafricain, Charles Massi posait en substance des questions simples : « Est-ce qu'il est nécessaire de s'en prendre aux Occidentaux lorsqu’on utilise les moyens de l’Etat pour son usage personnel ? En quoi sont-ils responsables de notre sous-développement lorsque nous détournons les fonds publics, en toute impunité ? Etc.

(5)   – En l’absence du chef de l’Etat, le président de l’assemblée nationale avait supplié, à genoux, les personnels de santé de reprendre leur service au nom de la santé de la population, sans qu’aucune concertation ne soit ouverte concernant leur réclamation relative à l’octroi d’une prime Covid-19 !

(6)   – On accuse les éléments de la société russe Wagner d’être à l’origine du sinistre, sur la foi d’images de caméra de surveillance filmant des hommes encagoulés mais portant les insignes du groupe russe de sécurité privé. On voit mal des hommes aguerris au combat de l’ombre faire preuve d’autant d’amateurisme, dans le cadre d’une guerre commerciale ! Il convient cependant de garder à l’esprit que la société Castel est poursuivi à Paris, accusée d’un financement occulte des groupes rebelles pour la protection de son entité sucrière, la SUCAF, située à 15 kilomètres de Bambari !

(7)   – Bambari a été longtemps le fief du groupe armé UPC, du chef rebelle Ali Darrassa. Le groupe armé en a été chassé à la suite de l’intervention de l’opération militaire française Sangaris, qui en a fait le verrou de la ligne rouge allant de Bouca à Bria, et séparant le sud chrétien du nord musulman du pays, à l’initiative du général Soriano. Bambari abrite aujourd’hui un fort contingent de la Mission intégrée des Nations unies de sécurisation du Centrafrique (Minusca). On voit mal les éléments de la société privée Wagner s’attaquer aux citoyens d’un pays avec lequel la Russie a fait alliance, la Chine, juste à la vieille de la visite officielle du président chinois Xi Jiping au Kremlin ! la ruée vers l’or ne justifie pas tout. D’autant que le site chinois de Chimbolo n’est pas très éloigné des mines de diamants de Ndassima, tenues par les Russes, après en avoir évincé les miliciens armés du CPC. Une manipulation, un coup-monté, visant à enfoncer un coin dans les relations Chine/Russie n’est donc pas à écarter. Les autorités centrafricaines ont tout intérêt à démasquer très vite les auteurs de ces assassinats – on s’étonne qu’il n’y ait aucun centrafricain  parmi les victimes ; l’alignement des corps au sol faisant penser à l’œuvre sordide d’un peloton d’exécution, il y a lieu de croire qu’un tri préalable a été opéré, en fonction de la race ou des origines. Il s’agit donc d’un crime contre l’humanité !