Le triomphe de l'impuissance.[Tribune]

 

Le triomphe 
de l'impuissance.

 

     Les cérémonies des vœux du Nouvel an se poursuivent à Bangui. Normalement, elles traduisent le moral et le climat social d'un pays, ses ambitions et perspectives pour l'année à venir. En République centrafricaine, on va de Charybde à Scylla.

Cette année en effet, le président Touadéra gratifie ses auditoires de discours qui donnent la mesure de l'incohérence de la situation politique et socio-économique du pays. Que ce soit à l'occasion de son « adresse à la nation » au soir du 31 décembre 2023, ou à l'occasion de ses vœux au dernier gouvernement du Premier ministre Moloua, lesté de dix nouveaux ministres (1), ou bien encore lors de ses souhaits aux membres de son propre cabinet, les déclarations d'autosatisfaction cachent mal la misère et la pauvreté du peuple, voire les désordres et la chienlit qui les accompagnent (2).

 

1 - Un terrible aveu d'impuissance.

     Dans ses vœux à la nation, se félicitant de la paix et de la sécurité retrouvée, Faustin Archange Touadéra promouvoir « les valeurs d'intégrité morale, de probité, d'équité, de transparence, du goût de l'effort et, surtout, se la lutte contre l'impunité, la corruption et les mentalités de rente qui ont rongé pendant des décennies les capacités de l’État » ! Il semble que le président ait pris conscience tardivement des manquements et désordres collectifs qui accablent le pays : concussion, détournement de fonds publics, corruption, etc.

La gangrène est telle que tous les rouages de l’État en sont atteints.

Ainsi, lors de ses vœux au gouvernement, répondant au Premier ministre, le chef de l'Etat pointe les retards et les absences aux réunions du Conseil des ministres, de même qu’il s’inquiète de retrouver « des informations et documents d’Etat mis à la disposition du gouvernement sur les réseaux sociaux, [en violation de] l’obligation d’intégrité qui induit un devoir de probité et de loyauté envers la nation ». D’où l’avertissement : « Je vous mets en garde contre les détournements de deniers publics, la corruption illicite et la prise d’intérêt dans les contrats que vous aurez à signer au nom de l’Etat ». De même, « les absences et retards non justifiés aux Conseils ne seront pas tolérés », ni « les villégiatures aux frais de l’Etat » !

Pis, au sein de son propre cabinet et de la palanquée d'institutions qui y sont rattachés, les ministres conseillers, les Inspecteurs d’État, les directeurs généraux, les directeurs et chefs de service jouent les filles de l'air lorsque le président a le dos tourné : « Je tiens à relever la persistance des contre valeurs que j'ai décriées l'année dernière à cette même occasion », dit-il. Et de poursuivre : « Ainsi, le Palais est vide lorsque mes responsabilités m'imposent d'effectuer des déplacements à l'extérieur du pays. Même présents au bureau, certains collaborateurs n'apportent aucune contribution intellectuelle à l’œuvre de reconstruction nationale. Les horaires de travail ne sont plus respectés, la présence sur les lieux du travail n'est plus la priorité, la présence à mes côtés lors des cérémonies officielles ne fait plus partie de leurs obligations professionnelles ». Et d'en appeler à un examen de conscience et à un sursaut de patriotisme ; une mélopée de vœux pieux.

Après onze années au pouvoir, comme chef de gouvernement puis comme chef de l’Etat, on demeure confondu par tant de niaiseries et d'irresponsabilité !

La leçon est claire : « Qui sème l’illusion, récolte la confusion » ; et réciproquement.

 

2 – Sans sanctions, pas de révolution ! disent les Trotskistes.

     Sans vouloir insulter leur insigne intelligence, que ceux qui gouvernent ce pays permettent quelques pistes de réflexion :

-          L’administrateur de la présidence de la République est le Secrétaire général – et non le directeur de cabinet, qui est l’ombre et la plume de M. Touadéra dans tous ses déplacements – encore faut-il que ce haut fonctionnaire ait du pouvoir, de l’autorité et les compétences requises ;

-          Pour lutter contre la corruption et les détournements des deniers publics, le président de la République doit donner l’exemple, en supprimant les fonds spéciaux de la présidence (3 milliards de francs CFA) et de la Primature (1,5 milliards), ainsi que les « enveloppes vendredi » servies aux différents ministres en chaque fin de semaine (3) ;

-          Instaurer, auprès de chaque ministre, une inspection générale des services, chargée d’enquêter sur les événements graves et dysfonctionnements qui affectent le fonctionnement régulier des services ;

-          Mettre en place, auprès de chaque directeur d’administration centrale, un conseil de discipline appelé à statuer sur les fautes individuelles de service et les manquements professionnels ;

-          Exiger de chaque chef de service un système annuel de notation individuelle et d’évaluation, analytique et générale, permettant de faire évoluer la manière de servir de chaque fonctionnaire et agent public et de promouvoir leur promotion d’échelon et de grade. Etc.

 

Enfin, il est curieux d’entendre le président de la République évoquer la 7ème République, faisant référence à la promulgation, le 30 août 2023, de la nouvelle constitution du pays, alors que celle-ci n’est pas encore entrée en vigueur et demeure une épure sur étagère, pendant que son directeur de cabinet invoque la date du 30 juillet 2023, date de la proclamation des résultats du référendum constitutionnel ! « Qui sème la confusion, récolte l’illusion » ; et réciproquement. C’est mathématique !

 

Paris, le 16 janvier 2023

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

Post scriptum (qui n’a rien à voir) : En matière de justice, que le bureau de l’assemblée nationale prive d’indemnités les parlementaires qui ne siègent pas aux sessions ordinaires et extraordinaires est régulier, lorsque ces absences ne sont ni justifiées, ni excusées, ni autorisées. En revanche, priver de pension de retraite les anciens chefs d’Etat et/ou de gouvernement au prétexte qu’ils sont des opposants, est juridiquement illégal, et moralement malhonnête. De telles décisions individuelles relèvent de la vengeance personnelle, de l’abus de pouvoir et d’autorité.

 

(1)   – Parmi les dix nouveaux impétrants, figurent des chefs de gangs et de milices privées à la solde du régime du président Faustin Archange Touadéra.

(2)   – On ne fera pas ici le décompte des routes nationales dégradées devenues des pistes, les salles d’écoles installées sous des manguiers, et plus encore, l’absence depuis deux ans de l’obsolescence du réseau de distribution d’eau potable à Bangui, remplacé par des puits de forages alors que les nappes phréatiques sont totalement polluées ; ce qui occasionnent des épidémies d’amibiases, de diphtéries et d’hépatites.

(3)   – Tant qu’à imiter la France, autant le faire jusqu’au bout. En effet, les fonds spéciaux, dits aussi fonds secrets qui se dépensent sans aucun justificatif, ont été supprimés en 1995 par le gouvernement du premier ministre français Lionel Jospin !