Les Rapaces et
les Voraces !
Il ne s’agit pas
de rééditer l’œuvre théâtrale de Pierre Corneille, les Horaces et les Curiaces. Il est question
ici de la République centrafricaine, pays iconoclaste désormais à nul autre
pareil.
1 – Les
Voraces.
Il paraît en
effet que le président de l’assemblée nationale a été victime récemment d’un
malaise vagal, qui aurait provoqué la rupture de son sphincter urétral. La crise
aurait été provoquée par la pression exercée par une partie des députés de la
nation. Ces derniers n’ont pas apprécié la volonté de M. Simplice Sarandji de
réduire leurs traitements. Sauf à ce que le bureau de l’assemblée nationale ait
voté en ce sens, on voit mal le président du parlement décidé seul d’une telle
mesure.
Cependant, cet
incident permet de mettre en évidence le montant mensuel des traitements versés
aux représentants du peuple et de faire le décompte de leurs indemnités
parlementaires. Il s’établirait à 3,5 millions de francs CFA, par mois par
député, soit environ 5 000 euros. Le président de l’assemblée nationale
émargerait lui à 7 millions de francs CFA, soit le double (10 000 euros).
Indépendamment de ces versements mensuels, les élus de la nation ont pris
l’habitude de négocier par ailleurs le vote de chaque projet de loi, à hauteur
d’une somme comprise entre cent mille et un million de francs CFA !
Ces facilités de
caisse, favorisées par la séparation des pouvoirs, n’empêchent pas quelques
dérives ou détournements de fonds, lesquels ne sont pas signalés au procureur de
la République, mais font l’objet de règlement … à l’amiable, ou à la discrétion
du président de l’assemblée nationale ! Si on ajoute, à ces dépenses, les
traitements des quarante ministres, directeurs de cabinet ou d’organismes
publics, ayant rang et prérogatives de ministres au gouvernement du Premier
ministre Moloua (40 personnes recevant mensuellement 1 141 000 francs chacune)
et au cabinet du président de la République (36 personnes, payées entre 2,5
millions et 1 230 000 francs CFA), ainsi que les « allocations hebdomadaires
pour les réceptions » (sic) pour l’ensemble de ces « autorités », c’est en tout
200 à 250 individus qui constituent la nomenklatura du pays. Ils empochent
chaque mois la bagatelle de 3,5 milliards de francs CFA, soit une fois et demie
la masse salariale mensuelle des 22 000 agents de la fonction publique d’Etat.
Ce sont eux les Voraces de la République, que rien n’arrête.
Dans un pays où
le salaire médian de la fonction publique s’établit à 69 000 francs CFA par
mois, alors que le seuil mondial d’extrême pauvreté s’établit à 23 000 francs
CFA par mois, les rémunérations de ces parlementaires et ministres sont
indécentes et constituent une hérésie, un vol, un recel de deniers publics.
2 – Les
Rapaces.
On comprend donc
aisément pourquoi les magistrats, malgré leur serment, sont des corrompus qui
négocient chacun de leur jugement au trébuchet des décisions de justice à
prendre, qu’il s’agisse d’une relaxe, d’un non-lieu ou d’une prise de corps.
On comprend
d’autant mieux pourquoi, en dépit du serment d’Hippocrate qui leur enjoint de
soigner gratuitement l’indigent, les médecins se font apothicaires et
prébendiers, négociant chaque cachet au prix d’une vie.
On comprend tout
aussi bien pourquoi les enseignants, dont la probité intellectuelle doit être
au- dessus de tout soupçon, attribuent des notes ou délivrent des diplômes comme
on joue à la bourse des valeurs, en numéraire, en chèque, en nature ou comme «
morue sur canapé » !
Tous ces
fonctionnaires, hauts et petits, accusent parfois, pour leur défense, des
arriérés de salaires de plusieurs mois.
Ce sont les Rapaces du peuple, qui dépècent le pays
comme les vautours de nos brousses rongent la charogne jusqu’au blanc de l’os.
Mais il y a pire
: il s’agit de ces parlementaires et ministres, tous proches parents du président de la
République, qui passent outre les règles des appels d’offres des marchés
publics, pour signer des contrats de gré à gré contre rémunération ou rétro
commissions, ou établissent des monopoles privés pour leur propre compte, voire
réclament des décaissements à hauteur de 100 millions de francs CFA, pour
recruter des supporters à transporter au Cameroun encourager l’équipe
centrafricaine de football, en compétition qualificative pour la Coupe africaine
des Nations, match joué à Yaoundé parce que le stade Barthélemy Boganda de
Bangui n’est pas aux normes internationales ! Il n’eût point de supporters et la
RCA fut éliminée.
Dans les Forces
armées centrafricaines (FACA), les promotions de grade ne se font plus sur des
critères de commandement en opération, mais sur les degrés d’appartenance,
d’alliance ou de proximité avec le chef suprême des armées. On peut passer du
grade de commandant à celui de général de corps d’armée en moins de cinq ans et
se voir promu chef d’état-major ! Pis encore, la Banque mondiale se voit
contrainte de rapatrier la bagatelle somme d’un milliard de francs CFA, destinée
la réfection du réseau de distribution d’eau potable, face à la volonté de
préemption d’une grande partie de cette enveloppe par le ministre de l’énergie,
selon la règle du 50-20-20-10 : 50 % pour le chef de l’Etat, 20 % pour le
Primature, 20 % pour le ministre en titre, et 10 % pour le projet ! On voit donc
ressurgir les bidons jaunes, et les files d’attente aux abords des puits de
forage. Pendant ce temps, Bangui croupît dans les nuées de poussière et les
inondations récurrentes.
A y regarder de
près, on se croirait dans le film de Dino Risi, « Affreux, sales et méchants », tant les
membres de cette nomenklatura centrafricaine sont laids, grossiers et vulgaires
dans leur art de vivre. Ce sont des êtres « sans bonté ni vertu », qui votent des
lois ou élaborent une constitution non point pour l’harmonie et la stabilité du
pays, mais pour tirer le maximum de bénéfices pour leur propre engeance, écarter
des concurrents putatifs, ou pour des « intentions égoïstes et intéressées ».
Ainsi, en décembre 2020, l’assemblée nationale a voté une loi instituant en RCA,
20 préfectures et 84 sous-préfectures. Certaines de ces structures ne
rassemblent pas plus de 10 000 habitants ! Il s’agit à l’évidence d’une
stratégie « kakistokratique » visant
à acheter des loyautés, en nommant des infirmiers et des instituteurs à la
retraite à des postes de chef de district !
Le
président Touadéra veut lutter contre la corruption ? Elle est là, sous ses
yeux. Qu’il fasse exemple, parmi les siens !
Paris,
le 26 février 2024
Prosper INDO
Economiste,
Consultant
international.
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