RCA : la valse des incendies se poursuit à Bangui.

     Dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 décembre 2022, un incendie s'est déclaré au siège de la représentation de l'Union européenne à Bangui, détruisant la totalité du site. Vendredi 16 décembre, c'est un attentat au colis piégé qui a failli coûter la vie au directeur de la Maison de Russie, le centre culturel russe dans la capitale centrafricaine. Cet acte criminel intervient au lendemain du départ des derniers soldats français en uniforme, qui ont quitté leur casernement de l'aéroport international Bangui-Mpoko, épilogue d'une crise diplomatique qui dure depuis l'arrivée des instructeurs russes sur le sol centrafricain. Dernier avatar de ce scénario, la compagnie Air France vient d'annuler tous ses vols en provenance ou à destination de Bangui !

1 – Le lourd silence des autorités locales.

Le silence des autorités centrafricaines sur cet incendie inquiète. Certes, ce n'est pas la première fois qu'un incident grave de cette nature se produit. C'est presque un continuum, une fatalité.

-        En avril 2010 déjà, c'est un supermarché, propriété d'un commerçant libanais proche du président François Bozizé qui avait été la proie des flammes. On accusa un auxiliaire de justice, en conflit avec  le propriétaire de l'immeuble, d'en être le commanditaire. Comme ce dernier était absent de Bangui, on enferma son épouse et son clerc ; une prise en otage moyenâgeuse !

-        En décembre 2012, c'est la horde barbare des groupes armés de la Séléka qui lançait l'offensive sur Bangui, incendiant lieux de cultes, maisons, mairies ; incendies volontaires et criminels ayant pour objectif de détruire les actes d'état civil et d'effacer la distinction entre nationaux et étrangers.

-        Sous la transition de Mme Catherine Samba-Panza, 1913-1916, différents incendies ont affectés des immeubles publics, en particulier le ministère des Finances, dont l'annexe dédié aux archives des justificatifs des dépenses publiques.

-        Depuis l'élection de M. Touadéra à la magistrature suprême du pays, les incendies se sont multipliés : les églises d'Alindao ou Fatima, le complexe sportif de Basket-ball, l'annexe du siège de la société nationale d'électricité (ENERCA), le marché à ciel ouvert du PK.5 au rond-point du Lieutenant Koudoukou, etc. Depuis décembre 2020 et la tentative de prise du pouvoir par les groupes armés de la CPC, les incendies se sont donc multipliés.

2 - L'Arche d’Éon est en perdition.

Incidents accidentels ou criminels, provoqués par des délestages intempestifs, quelques branchements sauvages, une surtension provoquant l'explosion des tableaux électriques, l’absence de maintenance préventive ou curative, des actes de vandalismes ? Nul ne sait, puisque nulle enquête sérieuse n'est diligentée ou les résultats ne sont pas rendus publics.

On ose espérer que cette fois, s'agissant d'une enceinte diplomatique et consulaire, une enquête indépendante sera conduite et menée à son terme.

En attendant, on ne peut s'empêcher de faire une analyse qui relève d'hypothèses d'école.

-        Connaissant la propension de François Bozizé pour les rituels du mois de décembre, rythmé par des actes régressifs (insurrection militaire de décembre 2003, rébellion de l'alliance  Séléka de décembre 2012, tentative de coup d’État de décembre 2015, tentative de prise du pouvoir par la force de décembre 2020), on ne peut écarter l'éventualité d'un acte de sabotage ou de déstabilisation tirant profit du départ des troupes françaises.

-        L'Union européenne ayant pris fait et cause pour la France en gelant son aide financière à la République centrafricaine, on peut penser que quelque milice du pouvoir ait voulu par cet acte venger l'Arche d’Éon – c’est-à-dire le pouvoir du président Touadéra -, profitant du vide créé par le retrait des soldats français (1).

-        L'attentat contre le directeur de la Maison de Russie a entraîné un acte de représailles visant les intérêts européens. Il convient en effet de noter que tous les employés de la société DHL, chargée de la livraison du colis piégé, ont été arrêtés par l'office central de répression du banditisme (OCRB) et ont pu livrer quelques renseignements lors de leur interrogatoire sur la provenance ou le donneur d'ordre dudit colis ; le protocole de service de ce prestataire n’admettant pas l’anonymat (2).

3 – Il est plus que temps d'en finir avec cette descente aux enfers.

Il n'empêche, en Centrafrique, les incendies sont devenus un mode opératoire de la terreur ! Certes, des incendies se produisent tous les jours en divers pays, la France vient d'en vivre un meurtrier à Vaulx-en-Velin, près de Lyon. Il n'en demeure pas moins que la situation de la RCA de ce point de vue est calamiteuse et relève de l'incompétence à tous les niveaux des pouvoirs publics. Il est temps de mettre un terme à cette descente aux enfers !

Au lieu de continuer à pérorer contre les leaders de l'opposition démocratique – traités d'ennemis du peuple centrafricain, alors que les criminels de guerre siègent au gouvernement – le président Touadéra ferait mieux de rassembler les principaux responsables de cette opposition dans un gouvernement de Salut public et d'unité nationale, chargé d’une réforme d'ensemble de l’État (3). Nul besoin de changer de constitution.

Pour cela, il lui faudra changer de Premier ministre – ce qu'il aurait dû faire dès la fin du Dialogue républicain - ou que M. Moloua, enfin éclairé par un esprit sain, lui présente sa démission.

Dans le cas contraire, il appartient aux présidents de la Cour constitutionnelle et de l'Assemblée nationale, ainsi qu'au Premier ministre Moloua, de décider en termes identiques, de l'incapacité définitive de M. Touadéra à exercer les charges de Président de la République. Il n'est pas interdit de rêver !

Sans cela, d'ici à décembre 2025, date des prochaines élections présidentielles, le temps va être long … et mortifère !

Paris, le 19 décembre 2022

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

(1)   – La réaction de Paris est stupide en la circonstance. Elle s’apparente au comportement d’un amant infidèle éconduit qui se venge.

(2)   – Le directeur de la Maison de Russie, considéré par le journal Le Monde du mardi 20 décembre 2022 comme un propagandiste de Moscou, n’est pas inconnu des services français puisqu’il a fait ses études de marketing à Paris (Skema Business School), sa compagne est française et travaille à la présidence centrafricaine, et l’enfant du couple  vit en France. Le colis étant livré à domicile, on peut penser que l’expéditeur est un familier qui connait les habitudes du couple. L’attentat contre Dmitri Sytyi peut donc signifier une guerre de l’ombre entre Russes et Français ; ce qui n’augure rien de bon : Bangui devient un nid d’espions !

(3)   – Il ne s’agit pas d’aligner un gouvernement pléthorique où seraient représentés tous les partis politiques, mais d’un Comité de Salut public de six ou sept membres dotés des pleins pouvoirs.