Centrafrique : sortir de la noirceur

 

« Quelque chose en eux aspire à la servitude ». Cette phrase de l'écrivain français Albert Camus, semble viser directement la situation en République centrafricaine (1). Elle ressemble à une dédicace, tant elle reflète la géopolitique actuelle du pays. Soixante-quatre années d’indépendance, et toujours la même indécente noirceur de l’âme, si ce n’est pire encore !

La RCA est comme un pêcheur qui plonge chaque matin à la recherche de la perle rare qui fera sa fortune. Il remonte de temps en temps à la surface pour reprendre son souffle et gonfler ses poumons d’air pur avant de replonger à nouveau, régulièrement, perpétuellement…

« La science naît du jour où les échecs nous obligent à regarder le réel de plus près », dit l’adage. Apparemment, l’esprit scientifique a fui les berges de l’Oubangui depuis longtemps, et contraint nos responsables politiques à enfiler les mêmes balourdises, inexorablement.

 

1 – La politique n’est pas un jeu

Point n’est besoin d’être un médium pour voir la simultanéité instantanée entre les deux audiences accordées par Emmanuel Macron à Faustin-Archange Touadéra, les 17 avril et 25 juillet 2024, et la levée totale de l’embargo sur les armes décidée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le 30 juillet 2024 (2).

Cette résolution a été élaborée, introduite et présentée par la France, alors que la Russie et la Chine ont toujours été contre cet embargo, décidé en 2013 sous la dictée de l’ancienne puissance coloniale

(3). Le vote de cette résolution est un simulacre qui permet désormais à la France et à ses alliés de fournir et de livrer des armes aux forces armées centrafricaines, tout en préparant leur retour dans le pays, au prétexte d’assurer la formation des militaires au maniement de ces nouveaux armements

(4). Par un retournement de situation, l’embargo est désormais dirigé contre les groupes armés(5).

Dès lors, prétendre, comme le fait Mme Baïpo-Témon, ministre des affaires étrangères, que cette décision « redonne dignité à la RCA et à son peuple », relève de la supercherie.

Il s’agit simplement de passer sous les fourches caudines du président Macron et de la feuille de route délivrée par ce dernier le17 avril 2024 (6).

Cependant, voir et entendre aujourd’hui les dirigeants du Mouvement Cœurs unis (MCU), le parti du président Touadéra, accuser les partis politiques d’opposition membres du BRDC, de collusion avec la coalition des patriotes pour le changement (CPC) de l’ancien président François Bozizé, dont l’actuel chef de l’Etat fut un collaborateur zélé, est une imposture. Cette accusation trahit leur aptitude à la servilité.

 

2 – Des personnages de série noire

De même, voir et entendre aujourd’hui le responsable de la cellule de communication du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) entonner le narratif et l’argumentaire de la France, accusant à son tour la société militaire privée russe Wagner « de campagne de désinformation visant à discréditer l’opposition démocratique, en particulier le MLPC, et à peindre la France comme un acteur néocolonialiste, avide des ressources naturelles centrafricaines », relève d’un véritable esprit d’obéissance et de soumission. Le président du MLPC, actuel porte-parole de la coordination des partis de l’opposition dite démocratique, tenant le même discours dans les années passées, ne se déclarait-il pas soutien du chef de l’Etat Faustin-Archange Touadéra, mais pas allié de son parti, le MCU ?

Il est également étrange d’entendre et de voir un ancien apparatchik du parti KNK, accuser le régime du président Touadéra « d’un glissement inquiétant de la Centrafrique vers un Etat tribal », alors que ce dernier ne fait que tirer leçon de son passé de Premier ministre de François Bozizé, en embrassant la logique de ce dernier, par mimétisme. En effet, avec la kakistocratie, l’ethnocratie est devenu un pendentif que les Centrafricains arborent comme un joug depuis des décennies (7).

C’est la politique de l’entre soi et du bon plaisir !

 

En réalité, tous ces responsables politiques donnent à voir et à entendre des profils psychologiques de personnages de romans policiers, entre délinquants multirécidivistes et criminels en bandes organisées (8). Il est temps de sortir de cette noirceur qui abîme l’âme du peuple centrafricain.

C’est le souhait que je forme pour ce 64ème anniversaire de l’Indépendance de la République centrafricaine !

 

Paris, le 13 août 2024

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1) – Albert Camus : La chute. Ed. Gallimard, Paris 1956 ;

(2) – Cette levée totale a été précédée par des levées partielles en 2021 et 2023, mais le gouvernement centrafricain prenait prétexte de cet embargo pour fustiger la communauté internationale et justifier le recours aux mercenaires de la société privée russe Wagner !

(3) – L’initiateur de cette mesure d’embargo, l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian, n’étant plus ministres de l’Europe et des affaires étrangères, il était temps de tourner la page de cette politique d’influence et de sanction déguisée.

(4) – La RCA n’ayant pas les moyens financiers pour acquérir ces équipements militaires lourds (canons, mortiers, blindés, chars, hélicoptères), il faudra compter sur des cessions ou dévolutions de matériels usagers ou obsolètes, sans comparaison avec l’aide militaire octroyée à l’Ukraine par exemple.

(5) – Cette nouvelle disposition semble être à la base de la renonciation à la lutte armée du chef rebelle Ali Mahamat Darrassa, responsable de l’UPC et actuel chef d’état-major au sein de la Coalition des patriotes pour le changement, dont le leader est l’ancien président François Bozizé. Cette décision a été annoncée le 5 août 2024 et semble semer la division dans les rangs des groupes armés.

(6) – La sommation portée par la feuille de route décidée par le président français a au moins eu un premier effet bénéfique : elle a, depuis trois mois, mis fin aux diatribes, vulgarités intempestives et autres vociférations quotidiennes du ministre conseiller spécial du président Touadéra. Sans doute que ce dernier ne s’exhibera plus dorénavant en tee-shirt frappé du logo Wagner lors des conseils de ministres.

(7) – Prosper Indo : « Méchanceté et mensonges érigées en art de vivre », in sangonet.com.

(8) – On se souvient déjà du pugilat opposant les deux ministres conseillers en communication du chef de l’Etat Faustin-Archange Touadéra, et en sa présence, le 30 août 2023, lors du référendum constitutionnel. Depuis tout va de mal en pis : c’est le ministre de la justice qui menace un expert indépendant de représailles, lui promettant une réponse « totale, foudroyante et douloureuse » ; c’est le ministre de l’élevage et de la santé animale qui est inculpé et incarcéré par la Cour pénale spéciale mais qui continue de siéger au gouvernement, après avoir été « libéré » de force par les mercenaires de la société Wagner ; c’est le ministre en charge du secrétariat général du gouvernement qui est accusé de détournement de fonds publics à hauteur de 80 millions de francs CFA au préjudice de l’éducation nationale ; c’est le ministre chargé de la promotion de la jeunesse et des sports, chef d’une milice privée, qui est soupçonné d’implication dans plusieurs cas d’enlèvements et d’assassinats ; c’est le ministre de la sécurité publique qui se rend coupable d’agression physique et de violences physiques à l’encontre d’un journaliste, brutalisé et mis au cachot hors toute procédure judiciaire ; etc.

 

 

Centrafrique : sortir de la noirceur