Centrafrique : 50 ans d’Etat braqueur de République et de 
Démocratie.
Comme 
les 16 autres Etats d’Afrique Subsaharienne 
dont 13 francophones, l’ancien 
Territoire  de l’Oubangui-Chari 
fêtera cette année le cinquantième anniversaire de son accession à la 
souveraineté. L’Oubangui-Chari –anciennement composante de l’Afrique Equatoriale 
Française -  est devenue République 
Centrafricaine le 1er Décembre 1958. En revanche, son indépendance 
n’a été proclamée que deux ans plus tard à savoir, le 13 Août 
1960.
 Le choix de célébrer le cinquantenaire en 
décembre 
est 
symptômatique du malaise et du mal-être de cet Etat. S’aventurer dans l’état des 
lieux ou dans l’autopsie de ce malaise confine à une gageure mais le défi en 
termes d’utilisation des instruments d’analyse est exaltant à l’aune des 
questionnements suivants. Si l’on pose un regard rétrospectif sur l’histoire de 
l’Oubangui-Chari devenu République Centrafricaine, dirait-on 50 ans de logique 
d’Etat  hostile à tout ancrage dans la République et la Démocratie  ou  
50 ans de maigre République et d’Etat gras ?  Quelle grille ou clé de lecture utiliser 
pour élucider de façon pertinente l’absence, voire l’insuffisance d’articulation 
entre l’Etat et la société notamment à partir des politiques publiques élaborées 
et des manières de les mettre en œuvre ? Quelle est la finalité de l’Etat 
en Centrafrique ? Dit autrement, l’Etat est-il au service du peuple 
souverain (souverain seul, c’est le roi, pas le 
peuple) ou destructeur et donc, 
présente-t-il pour la nation Centrafricaine un risque ? 
Comment comprendre que l’Etat est loin de se rendre compte de l’inéluctable et 
urgente nécessité d’être la fabrique de catalyseur des valeurs républicaines 
pour mettre le pays en osmose avec les autres pays du continent et de la 
sous-région, de l’Union Africaine, de la CEMAC 
et des autres institutions et mécanismes de la Communauté internationale ? Qui 
est à l’origine de la fissure puis de la ruine de  cet édifice, qu’est l’Etat? 
Et pourquoi la seule faute de nombreuses  
victimes  de ces ruines est 
d’être nées Centrafricaines et de se trouver sous, dans ou à proximité de 
l’édifice  au moment où il s’écroule ? 
La 
prétention de cette contribution aux débats sur le cinquantenaire ne se veut ni 
une plaidoirie ni un réquisitoire, encore moins une prescription, nous avons 
cherché l’angle ou le prisme 
épistémologique  le plus pertinent 
possible de lecture sans tomber dans l’invective pour l’invective. A cette 
raison se greffe l’actualité dominante en Centrafrique. Une dynastie se 
profile  à l’horizon et les 
candidatures les plus farfelues dont celles  des élites prédatrices, se bousculent 
pour les élections générales plusieurs fois 
reportées, sans qu’aucun candidat ne soulève la question de 
l’injonction, que les valeurs républicaines 
et démocratiques  font à la logique 
d’Etat, d’opérer un processus de 
métamorphose  comme seconde phase de 
la décolonisation. Dès lors, proposer une clé d’élucidation de l’histoire de 
l’Etat en Centrafrique est une gageure certes mais une gageure exaltante. Nous 
avons choisi pour  cet éclairage 
et  l’angle de vue,  la définition que donne Max Wéber de 
l’Etat. D’après Max Wéber  
« l’Etat est l’instance qui détient le monopole de la violence 
légitime sur un territoire donné »  Cette lecture anthropologique de 
l’Etat  par cet illustre auteur nous 
enrichit  de trois  apports : 
1) La différence entre Etat et République. L’Etat est différent de la nation. Ce 
n’est pas l’Etat au sens pays développé 
d’économie de marché ou pays en voie de développement ou Tiers monde au 
sens Alfred Sauvy. Qu’il se situe dans l’hémisphère Nord ou dans l’hémisphère 
Sud, l’Etat est 
une puissance sociale/militaire qui exerce son pouvoir par la coercition. 
Le pouvoir est concentré entre les mains d’une classe, idée de monopole dans 
la sphère militaire ?, puissance coercitive et source 
d’oppression sociale et  qui a le 
monopole de la violence légitime. 
L’Etat aliène, 
oppresse les populations [le peuple souverain] et vit de prédations sans état 
d’âme, compromettant ainsi définitivement et irrémédiablement toute chance 
d’émancipation de celui qui est supposé être source de souveraineté. 
Dans 
le cas qui nous préoccupe, l’Etat en Centrafrique avait, dès 1962 (David 
Dacko  I), construit sa légitimité 
sur le parti unique, le MESAN [Mouvement de l’Evolution Sociale en Afrique 
Noire] en éliminant son rival le MEDAC [Mouvement pour l’Evolution de la 
Démocratie en Afrique Centrale] de Abel Goumba, jugé trop néo marxiste. 
2) 
Il nous fait remarquer  que la coercition et l’absence d’ancrage 
social de l’Etat  est la marque de fabrique de 
l’Etat.
3) Enfin, pour ce qui est du  totalitarisme, il se  caractérise par le fait de recourir à 
des expédients, des mascarades et autres formes de parodies de justice pour  éliminer systématiquement  tous les concurrents et bâillonner les autres sources sociales de réflexion. 
Mais 
Max Wéber nous laisse sur notre faim pour ce qui relève de la vacuité 
idéologique dont souffre la Centrafrique depuis la nuit des temps. Sommes-nous 
fondés à nous interroger sur le lien qui existe entre «  
indépendance » et  « idée 
de libération » ? L’indépendance induit-elle  immédiateté en démocratie  et changements économiques ? Si 
oui, pourquoi 50 ans après  
l’accession des Etats à l’indépendance en droit des Etats, l’autocratie, 
la coercition et la dépendance économique dans les faits et toutes les valeurs 
d’aliénation de l’individu et des communautés humaines et territoriales se sont-elles fossilisées ? Pourrions-nous entendre par vacuité idéologique la 
réalisation par les Centrafricains eux-mêmes de la représentation qu’avait l’ex-colonisateur de l’idée d’indépendance. 
Il s’agissait davantage d’un mandat d’administration de territoire ou de 
comptoir local, en fait de la défense des 
intérêts économiques et diplomatiques de l’ex- 
colonisateur que de gouvernance de territoires, d’abord très éloignés de 
la métropole et aussi divers et variés, ce qui 
deviendrait coûteux et peu rentable 
A 
la lueur de cette définition, l’Etat en Centrafrique  est loin de poser les premières bases 
des valeurs républicaines et encore moins de faire émerger les valeurs 
démocratiques malgré les gesticulations, les contorsions 
politico-juridiques  et les 
connivences que théâtralisent ces derniers temps  l’oligarchie politique et les 
aristocraties  militaires.([1]) 
En 
faisant  l’exégèse des 
indépendances  en Afrique, nous en 
arrivons à la thèse de la récompense articulée à celle de l’émergence de 
nouvelles problématiques de positionnement de pays nouvellement souverains  sur la scène internationale. 
·                     
La 
récompense. Les 17 pays d’Afrique au Sud du 
Sahara ont pris part aux côtés des ex-empires 
coloniaux aux deux guerres mondiales et plus tard, celle d’Indochine . Dès lors, 
leur octroyer les indépendances en droit mais les maintenir dans la dépendance 
de fait  s’imposait. Cette logique 
permettait aux pays ex-colonisateurs de 
préférer la formule de l’administration à la celle de la gouvernance. Les 
autochtones plus ou moins éclairés auraient mandat d’administrer -sous le regard 
bienveillant et dans l’intérêt de l’ancien colon-, car la gouvernance induisait 
décisions à prendre alors que les territoires sont non seulement très éloignés 
de la métropole mais sont aussi divers que variés les uns des autres. 
·                     
Quant 
à la thèse de l’émergence de nouvelles questions sur la scène 
internationale.  Ces questions sont 
induites par l’avènement de l’ONU, au détriment de la Société des Nations et l’existence du Conseil de Sécurité. 
Dès lors que les pays occidentaux étaient au  point culminant de la guerre froide et 
de la coexistence pacifique , il fallait  qu’ils s’assurent du vote massif 
des anciennes colonies pour permettre à la 
Grande Bretagne et à la France d’avoir du poids face à la Chine, les Etats-Unis 
et  l’Union Soviétique . 
Pour 
en venir au cas Centrafricain, la décolonisation  dès 1960 a donné naissance plutôt à un Etat qu’à une 
République. Nous osons soutenir, avec hardiesse  la thèse selon laquelle la proclamation 
de l’indépendance le 13 Août 1960 signifiait  en termes de réalités 
méconnues, la remise des clés d’entrée dans une forme de souveraineté limitée 
d’un Etat , à charge pour celui-ci de réussir à cultiver et promouvoir  les valeurs républicaines, elles-mêmes 
porteuses de valeurs démocratiques, avec pour locomotive  le lien social  fait de 
patriotisme, autour de l’idée de Nation, de Réglementation, et d’habitudes 
locales, le tout  appelé 
« phénomène de société » .
L’articulation 
et la mise en interdépendance de ces deux thèses, nous ont inspiré l’idée 
d’analyser la culture politique, carburant de la logique d’Etat en Centrafrique 
depuis 50 ans  à l’aide du 
concept  dont nous nous servons dans 
nos travaux de recherche en matière de dimension sociale et solidaire de 
l’entrepreneuriat. Il nous semble  
que l’un des objectif fondamentaux de 
l’Etat, à peine sorti des traditions ancestrales  était de faire 
évoluer les coutumes vers la loi pour faire émerger la Nation et asseoir 
celle-ci sur des valeurs républicaines et démocratiques. Cette évolution devrait 
se faire sous la houlette  et non 
sous la férule de l’Etat, par l’affrontement des volontés et  des mécanismes de régulation et non à 
marche forcée vers un pays acquis à la  
faveur de clivages et de la soumission de certaines tribus à d’autres. La 
construction de la Nation –qui devrait  être guidée par la logique de 
processus-, a été opérée par une logique de procédure tramée d’ostracisme. On a 
confondu la confrontation guerrière entre 
les  différentes composantes de la 
Nation avec 
la démarche de confrontation que requiert un projet de cette dimension et 
de cet enjeu. La confrontation au lieu de l’affrontement a signifié pour les 
oligarchies et les aristocraties à la tête de l’Etat, de rendre les  entités 
nationales ou groupes ethniques dociles et nier le statut de la 
différence. La confrontation, ayant remplacé l’affrontement -bien que les deux 
soient la résultante des attitudes et des comportements des acteurs- ne s’est 
pas engagée dans le cheminement de 
l’identification puis de la consolidation des 
valeurs socles de l’Etat et des référentiels 
républicains dans lesquels les nations se reconnaitraient et 
s’identifieraient. Elle a transformé l’Etat en 
cirque de gladiateurs. 
Partant 
de cette hypothèse, l’Etat en Centrafrique n’était pas et n’est toujours pas l’émanation des entités nationales et groupes 
ethniques,  et  la culture politique dominante n’est pas 
prête à faire émerger des attitudes et des 
comportements  générateurs de 
dynamiques de construction du phénomène de la  Nation, donc du phénomène de 
société avec ses tribus, ses rites et ses 
mythes. L’Etat en Centrafrique est réduit à être au service des oligarchies et 
des autres aristocraties qui elles-mêmes, 
constituent un ensemble mal coordonné de rituels puissants. La mise en gestation 
des valeurs républicaines qui apparaissait  
comme  une assignation et 
constituait les instruments de conduite à 
terme d’un modèle de démocratie, même  
balbutiante, n’a jamais été respectée et est loin d’affleurer  lorsque l’on observe les politiques 
publiques, de leur conception à leur mise en œuvre. Pour prendre une 
métaphore  des Saintes 
Ecritures,, en 50 ans, la Centrafrique  se complaît tellement dans le désert 
dans lequel la logique d’Etat la maintient qu’elle est encore loin de commencer 
à esquisser la  feuille de route de 
son Canaan.
 L’Etat n’a pas jugé nécessaire de mettre 
en gestation les valeurs républicaines, condition 
préalable à l’émergence des valeurs démocratiques. La confusion a régné 
et règne encore quant au régime d’Etat. Très longtemps et aujourd’hui encore, 
malgré  la multitude des partis 
politiques élitistes, on entretient la confusion entre la  source de légitimité d’un Etat et la 
reconnaissance de sa souveraineté internationale. Un Etat peut choisir d’avoir 
pour source de légitimité soit le système féodal soit le système monarchique 
soit le système républicain ; ce dernier est  caractérisé par le régime de démocratie 
représentatif, les élections libres, transparentes et crédibles. En Centrafrique l’Etat gère à merveille le syncrétisme. 
Il est tantôt bicéphale [puise sa rationalité dans des valeurs ancestrales pour 
asseoir sa singularité par opposition aux pays dits de vieille démocratie],  tantôt s’autonomise  par une emprise totalitaire et 
tyrannique. Depuis 50 ans l’Etat en Centrafrique a, non seulement  monopolisé la violence  en se désarticulant des autres sources 
sociales  mais , même toute raison 
gardée, s’est lancé dans une entreprise de dévoiement et de bifurcation des 
logiques qui servent de support au 
fonctionnement minimum de l’Etat, à sa la fiabilité 
et sa crédibilité. 
Si 
l’on établit un comparatif avec les autres Etats dont l’évolution des rôles et 
fonctions pourraient être assez proches du cas centrafricain, par rapport à des notions telles que l’Etat gendarme, l’Etat providence et 
l’Etat interventionniste, dans leur traduction en termes de protection et de 
prestation a minima auxquelles peuvent 
prétendre les communautés humaines et des collectivités territoriales, ces 
dimensions de rôle et fonction de l’Etat sont à peine lisibles et visibles en 
Centrafrique.
Les 
traditions et mœurs politiques dominantes qui animent l’Etat en Centrafrique ont 
purement et simplement  évacué, dès 
le lendemain de la proclamation des indépendances en droit, la question du choix 
de société au sens Karl Popper. Jusqu’à ce jour, on  continue de se poser la question de 
savoir  si la société centrafricaine est une société ouverte ou une 
société fermée. 
Restant 
sous l’inspiration de Karl Popper, la société ouverte est celle 
qui ne promet pas le bonheur incognito à ses concitoyens  mais qui cherche, même par tâtonnement, 
à gommer les aspérités des phénomènes de société,  pour rendre la vie moins dure à vivre, 
avec l’implication et la participation des plus vulnérables, tout en demeurant 
ouverte sur  le reste du monde. Ce 
qui n’est pas le cas de la société fermée. 
La 
Centrafrique des années 60 à  
2010  est plus proche de la 
société fermée. Elle n’a nullement investi 
dans  l’ancrage social des valeurs 
républicaines, ce qui explique le maintien dans la dépendance de fait  jusqu’à ce jour. Partis de ce constat ou non, de nombreux auteurs d’articles 
divers et variés, aussi bien d’origine centrafricaine que d’autres pays 
d’Afrique subsaharienne, appellent à un changement de mentalité comme seul 
remède à cette pathologie. Nous inscrivant dans la perspective du premier 
centenaire des indépendances, cette affirmation péremptoire suggère de notre 
part des questionnements. 
Quel 
contenu  les auteurs 
mettent-ils  dans cette notion de 
changement de mentalité ? D’où viendraient les agents porteurs de virus ou 
bactéries du changement ? Quels  
seraient les  médiateurs 
et/ou les disséminateurs  du changement étant donné la vacuité 
idéologique ? Les idéologies dont se réclament les partis politiques 
représentés au Parlement n’ont pas d’ancrage social local et ne se posent guère 
clairement la question du modèle 
républicain. Les mœurs et traditions politiques ne cessent de déposséder, de 
maintenir et de renforcer l’aliénation sous toutes ses formes et d’affirmer 
présomptueusement que faire de la politique a valeur de sacerdoce. Comment va 
s’opérer le changement que d’aucuns appellent de 
leurs vœux  alors que le modèle actuel d’Etat n’offre aucune 
alternative ? Les partis aspirant au suffrage universel  sont non seulement les clones des 
idéologies hégémoniques et de l’impérialisme, mais se cantonnent à confirmer les 
vieux principes de l’ex-colonisateur, à savoir « coloniser ou 
conquérir les territoires pour les administrer plutôt que pour les 
gouverner ».
A 
moins d’être victime d’amnésie collective, les traditions et mœurs politiques 
centrafricaines  ne sauraient faire oublier 
les dégâts humains  directs et 
collatéraux occasionnés par la vacuité idéologique de David Dacko I. 
C’était 
l’époque de la guerre froide et la tendance dominante était l’adhésion au 
mouvement des non-alignés. La suite de 
l’histoire se passe de commentaire : lancement de la version centrafricaine 
de l’emprunt russe, l’emprunt national, lancement du slogan « Kwa ti 
kodro. Les intérêts français étaient 
menacés par ces initiatives à l’emporte pièce et sans fondement idéologique, de 
surcroit sans ancrage épistémologique. Tout se 
construit sur des slogans dithyrambiques par une élite déjà prédatrice. La 
situation a fait le lit  au 
1er Coup d’Etat de Jean-Bédel Bokassa.
De 
Jean-Bedel Bokassa 1er  
en passant par David Dacko puis le général André 
Kolingba  ensuite Ange-Félix Patassé 
et maintenant le Général François Bozizé, de la période du règne du parti unique à la période du multipartisme 
folklorique, les  mœurs et 
traditions -que nous réunirons désormais sous le vocable de culture politique- 
n’ont guère levé 
les yeux pour s’interroger sur le pourquoi du piétinement de la 
Centrafrique alors que  l’Etat 
Centrafricain  s’en tire à bon 
compte.  Les différents régimes qui 
se sont succédés à la tête de l’Etat  ont  tous été  les géniteurs de la coercition et de la 
violence légitime et ont organisé les 
multiples formes de mutation de l’oppression et du totalitarisme. 
La 
faillite de l’Etat en Centrafrique est la plus prononcée  des pays d’Afrique francophone comme 
l’illustrent le non paiement des salaires des fonctionnaires au profit des 
investissements militaires  
faramineux et les rapports par nature ombrageux entre l’armée et 
l’Etat. En effet quiconque arrive en Centrafrique se rendra rapidement compte 
d’un phénomène auquel les centrafricains sont 
coutumiers depuis le milieu des années 
soixante, à savoir la résistance de la 
corporation militaire au pouvoir civil pour laquelle depuis cette période le 
coup d’Etat est le seul mode d’accession au pouvoir. Pour l’armée centrafricaine, la notion de frontière entre la 
sphère du politique et celle du militaire s’apparente à un objet sans véritable 
substance. L’Etat en Centrafrique a vu défiler quatre Constitutions dont deux adoptées par 
référendum et, a été dirigé trois fois par des 
Actes Constitutionnels, puis érigé  
en Empire. Les régimes militaires sont restés plus longtemps au pouvoir que les deux régimes 
civils. Sur 50 ans, les militaires ont occupé le pouvoir pendant 23 ans et les 
civils 17 ans. C’est l’armée la plus politisée des pays de la CEMAC [Communauté 
Economique et Monétaire de l’Afrique Central]. Les conséquences qui découlent de 
ce phénomène sont  au moins au nombre de 
trois :
1) 
La résistance farouche aux autorités civiles qui 
laisse accréditer la thèse selon laquelle seuls les hommes en uniforme et qui ont la 
poigne,  ont vocation à diriger 
l’Etat. Les militaires se croient en extra-territorialité et couverts par toutes 
sortes d’immunité pour tuer. Quand les officiers supérieurs ou les 
généraux, candidats aux différents suffrages, ne reçoivent pas l’onction du 
peuple, ils passent par le coup d’Etat après s’être mis dans la poche qui la 
garnison, qui le bataillon dont il a le commandement. L’armée est un Etat dans 
un Etat. Elle gouverne à la baïonnette, prend prétexte de politique sécuritaire 
pour investir massivement dans les armes et munitions à petits calibres, recrute les mercenaires moyennant concessions des puits de diamants. On dirait que 
l’armée centrafricaine  est davantage au service exclusif du 
chef de l’Etat lorsque celui-ci est issu de 
ses rangs que lorsqu’il est l’émanation du suffrage universel. Malgré les 
difficultés économiques du pays, le recrutement des soldats se poursuit au 
détriment de celui d’autres branches. Il règne au sein des forces armées un 
climat délétère généralisé  ouvrant 
droit au généralissime d’assassiner, sous  le 
prétexte d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité intérieure. Des 
familles entières sont endeuillées, les communautés territoriales, lieux de 
naissance des  présumés auteurs ou 
coupables avérés des coups d’Etats et ou mutineries sont frappées 
d’ostracisme.
2) 
La montée de l’assistance militaire de la communauté internationale. Pour 
garantir la paix aux populations meurtries, prostrées et démunies, de 1997 à 
2010, la Centrafrique est placée sous dialyses 
successives de la MISAB (Mission Inter Africaine en Centrafrique), la 
MINURCA (Mission des Nations Unies en République Centrafricaine) et la BONURCA 
(Bureau des Nations Unies en Centrafrique). Pendant les évènements des années 
1997-2003, Patassé s’est abrité sous le parapluie militaire dressé par la communauté internationale et a laissé 
ceux qui l’ont élu à la merci des mutins et des auteurs des coups d’Etat. En 
tout état de cause, depuis le milieu des années 60, l’armée centrafricaine  
s’est constituée en sanctuaire de l’impunité et de la 
forfaiture.
3) 
Les militaires qui ont accédé au pouvoir par coup d’Etat en Centrafrique ont mis 
en culture un style de  
gouvernance : arracher le pouvoir et revenir prendre par la 
corruption la légitimité politique et la légalité pour l’affichage international. Promoteur et défenseur de la 
délation, ils sont également tentés par l’instauration de la dynastie, 
Jean-Bedel Bokassa avait érigé l’Etat en monarchie. André Kolingba en était sur 
le point  d’en faire autant si son fils militaire n’était pas 
entré au gouvernement. Quant à François Bozizé, aux regards de certains 
faisceaux d’indices, il ne cache pas ses intentions de favoriser l’accession du « fiston » Francis, lui-même militaire. 
Non 
contents d’ériger la 
délation en instrument de gestion de l’Etat, les dirigeants  démontrent avec talent qu’ils n’ont cure 
du respect de la population. Ils se servent de la représentation que la 
Communauté internationale a de la souveraineté des 
Etats. Mais, dans la réalité, ils ne se prévalent nullement de leur Nation  
et  recrutent les élites 
qui leur sont acquises plutôt que d’être soucieuses de  faire émerger les valeurs 
républicaines  susceptibles de 
catalyser les valeurs démocratiques. 
Les réponses 
qu’ils apportent aux problèmes de pauvreté et de vulnérabilité ne sont pas des réponses économiques. Elles  relèvent  plutôt du domaine du 
ponctuel, du conjoncturel que du structurel pérenne avec des référentiels qui 
s’imposent à tous. 
La 
coercition de l’Etat, renforcé par  
la tyrannie aveugle et le totalitarisme a abouti à,  
un Etat autocratique, à caractère patrimonial et clientéliste avec les 
conséquences que l’on sait telle que la 
confiscation  des biens communs. 
Les  Présidents  cumulent généralement  au moins 4 à 5 portefeuilles 
ministériels importants au  point 
qu’à eux seuls ils constituent un gouvernement. En Centrafrique, l’Etat 
postcolonial, ne garantit  pas 
l’accès à l’autonomie de l’individu notamment l’accès aux droits humains , les 
plus élémentaires. 
Enfin, 
évoquons l’approche messianique du pouvoir. 
L’Etat  entretient avec  les 
religions des rapports plus qu’incestueux . Ces  vingt dernières années on n’a de 
la peine à repérer la ligne de démarcation entre le religieux et le politique. 
Le rapport entre le politique et la population dans sa grande majorité, étant rythmé et cadencé par la défiance et la perte 
de confiance, le politique va chercher dans la religion, un vernis de crédibilité et de fiabilité. Ce regain 
d’intérêt  du politique pour une 
communion avec  la religion a 
atteint des sommets vertigineux depuis les 
évènements du 15 mars 2003, c’est-à-dire le coup d’Etat 
Sur 
quoi fondons-nous notre critique ? L’histoire des sociétés en Occident ou 
ailleurs nous apprend les méfaits de l’alliance entre le Trône et l’Autel. L’un 
des aspects les plus liberticides de cette alliance est, non seulement le registre moral qui freine l’émancipation, mais surtout 
la représentation 
que l’un a des valeurs républicaines et démocratiques en matière 
d’instruments d’évaluation. Les deux se cachent derrière la sacralité pour 
éviter le risque d’être évalué par la respiration démocratique et de passer 
devant la justice républicaine. Le politique apparaît comme un  professionnel de la charité et de la 
compassion au lieu d’être un bâtisseur et promoteurs des droits civiques. La 
charité est anesthésiante par nature et ce n’est pas  innocemment que Charles Baudelaire 
faisait remarquer en  son  temps que la plus grande ruse du diable 
est de faire croire qu’il n’existe pas.  L’onction du suffrage universel 
est assimilée à un apostolat, voire un 
pontificat et les pontes du tout répressif ne lésinent sur 
aucun moyen pour s’incruster au pouvoir et s’octroyer la liberté du renard dans 
un poulailler. Les logiques  et les 
dynamiques de la religion [et non de la foi  sont  aliénantes  et  
faites de roublardise et de 
fourberie.  
                
Plagiant un  grand homme 
d’Etat, nous dirons que la guerre de l’architecture des valeurs républicaines et 
de la démocratie est une chose trop sérieuse pour la laisser à la seule 
initiative des militaires et leurs coalisés  civile 
et religieux. C’est ce que la culture politique en Centrafrique a laissé 
faire depuis 50 ans.
I-2 : De 
la vacuité idéologique à l’absence de socle épistémologique dans l’élaboration 
et la mise en œuvre des politiques publiques  
A 
moins que les centrafricains et leurs 
partenaires ne souffrent d’une amnésie collective, pour nous l’Etat en 
Centrafrique incarne  à la fois la 
défaite et l’abdication des institutions et des valeurs républicaines que l’on 
rencontre ailleurs. Les centrafricains vivent 
depuis 50 ans dans l’illusion de l’existence d’une République. Quant à la 
démocratie, il n’y a pas pire miroir aux alouettes. En réalité, les régimes qui 
se sont succédés  à la tête de cet 
Etat ont  enfanté un Etat autocrate, 
sans aucun  ancrage social, 
patrimonial et à caractère clientéliste. Depuis son accession  à 
l’indépendance, l’Etat en Centrafrique s’est construit sur la coercition. 
Le tout répressif et la coercition en tout et pour tout,  sont illustrés par la désertion du débat 
et des délibérations. C’est un système de domination absolue et de la 
confiscation, sous toutes ses formes, des libertés les plus élémentaires et  les droits fondamentaux des humains et 
des communautés. 
Il 
est impérieux de raviver la mémoire des centrafricains ; depuis son changement de statut  de « Territoire de l’Oubangui 
Chari » à la « République Centrafricaine » ce pays n’a goûté à la 
paix démocratique que pendant 3 ans, lors des 
campagnes électorales entre le MEDAC de Abel Goumba et de Barthélémy 
Boganda , fondateur du MESAN. 
Depuis 
50 ans, l’Etat a non seulement monopolisé la 
violence  en se désarticulant de la 
société mais, même toute raison gardée, n’a aussi eu 
de cesse de dévoyer et bifurquer les logiques qui servent de support 
au fonctionnement minimum de l’Etat, la 
fiabilité et la crédibilité. Si l’on établit un comparatif avec certains autres 
Etats du continent Africain, en termes de notions éclairant les évolutions des 
rôles et fonctions de l’Etat, l’Etat en Centrafrique n’est ni gendarme, ni Etat 
providence, ni Etat interventionniste. Il a toujours reposé sur l’absence de référentiels républicains stables et pérennes. 
De tout temps, depuis David Dacko I, Jean-Bedel Bokassa, David Dacko II, André 
Koligba, Ange-Félix Patassé et l’actuel général-président, François Bozizé, les 
administrations civiles et militaires, les communautés humaines et territoriales 
n’ont connu que l’aliénation et la confiscation. 
                
Soutenant cette analyse sous le contrôle de notre lectorat, nous faisons remarquer que l’absence 
de socle épistémologique dans lequel sont supposées prendre racine les politiques 
publiques, trouve des illustrations dans plusieurs domaines  mais nous n’en retiendrons que  les plus significatifs. 
1) 
La pathologique inexistence de schéma national 
d’aménagement du territoire (SNAT). On confond  construction d’immeubles et autres 
édifices à des  objets de décoration à l’aménagement du 
territoire et on est étonné des nombreuses et 
récurrentes inondations et de l’insuffisance d’accès à l’eau potable. La 
violence légitime de l’Etat le conduit à traverser, bon an mal an, le pays d’est 
en ouest et du sud au nord, quand il le peut, 
mais  l’idée d’un schéma national 
d’aménagement du territoire ne semble pas faire partie de son vocabulaire 
stratégique  quand bien même on 
décentralise et on parle de développement intégré.
2) 
La pathologique réduction de la Centrafrique à Bangui. Une société n’est-elle 
pas faite de myriades de tribus imbriquées et intriquées par  les  référentiels  républicains ! A l’exception de la richesse de 
son sous-sol dont on se prévaut, et de sa situation de pays enclavé dont l’Etat 
se plaint, quelles sont les potentialités entrepreneuriales de chacun des 6 
régions et des 16 préfectures qui composent 
l’ex- Territoire de l’Oubangui-Chari, pour lui permettre de s’attaquer à la 
pauvreté et à la vulnérabilité ?  
3) 
L’incurable déficit d’exploration des voies pour réaliser un déversement entre 
le secteur formel et le secteur informel, 
l’ insuffisance ou l’absence de politiques 
publiques d’incitation  au dialogue 
intersectoriel  ne 
sont pas de nature à  
favoriser l’apparition des facteurs d’amélioration des modes et méthodes 
de production. L’esprit de créativité et d’invention a disparu au profit de 
l’esprit de marchands du temple. La Centrafrique est industrieuse en matière de 
trocs mais  ne produit rien. Les 
activités de production ne sont entourées d’aucune boucle d’activités et il n’y 
a pas de politiques publiques  de 
filiarisation du système  de 
production, de surcroit,  il n’existe pas de  structuration  du commerce et de 
l’artisanat.
4) 
L’action et le discours politiques relèvent du registre de l’ésotérisme et de 
l’illumination. La représentation que la culture politique en Centrafrique a de 
l’homme politique est une représentation quasi mystique. L’homme politique 
passe, non seulement pour un infaillible mais également pour altruiste. 
Sur le plan international, la Centrafrique a le positionnement de passager 
clandestin. Les différents régimes valsent entre la charité de l’oncle 
Dupont ; la France ou de l’oncle Sam ou de l’empire du soleil levant, et la quête du parapluie protecteur du grand frère 
Touareg, magna du pétrole.  Aucune 
ligne de diplomatie n’est lisible de l’extérieur sauf à singer, en termes de 
degré de violence et de totalitarisme, les généraux Birmans ou le régime de la 
Corée du Nord. 
A 
l’aune de la définition  que donne 
Max  Wéber de l’Etat, nous avons 
essayé de faire  l’état des lieux de l’Etat en 
Centrafrique. Nous espérons avoir fourni l’essentiel pour permettre de discerner 
les limites, les points de paralysie et de sclérose du modèle d’Etat existant 
depuis 50 ans.
 Pourquoi soutenons-nous la thèse de 
l’Etat braqueur de République et de Démocratie ? Ainsi que nous le démontrerons dans nos développements 
ultérieurs, sur le plan international, il est marqué par la bipolarité du 
monde, issue de la coexistence pacifique et de la guerre froide même si la 
notion le groupe des non alignés a très longtemps servi  trivialement d’alibi à certains pays 
pour asseoir leur hégémonie sur d’autres .
L’instrumentalisation 
des valeurs républicaines et démocratiques crèvent les yeux. Les référentiels de 
République n’ont de sens que pour l’affichage. Quant aux valeurs démocratiques, 
elles ont été préemptées par l’Etat. Le bâillonnement des individus et 
communautés territoriales, l’asservissement et l’avilissement sont devenus des 
servitudes de passage que l’Etat a érigées sur le chemin qui mène vers la 
démocratie. Les espaces publics sont confisqués. Le modèle de démocratie 
représentative s’est mué en modèle de cooptation des aristocrates et des 
oligarques civils et militaires par le pouvoir autocratique, coercitif et à 
caractère clientéliste et patrimonial. 
L’ancien 
système étant caractérisé par le règne du totalitarisme et celui de la désertion 
de la délibération et du débat, ne faut-il pas admettre désormais que les 
exigences d’accès à l’autonomie et à l’émancipation soient les  critères de détermination des 
électeurs  dans la marche vers le 
premier centenaire des indépendances. . A la bipolarité de la division du monde, 
les pays de la Triade et les pays du bloc communiste 
et soviétique, s’est imposée désormais, la division polycentrique du 
monde. Le monde a plusieurs centres de décisions et d’influence. N’est-il pas 
temps pour les centrafricains d’intégrer dans 
leur culture politique ces mutations du monde  et d’y voir une sorte de nouvelle 
trajectoire que l’histoire de leur pays les assigne à prendre ? 
                
Les variables internes à partir desquelles il convient d’architecturer 
les stratégies d’accompagnement de la mutation de l’Etat vers la République 
sont  pour l’essentiel, au nombre 
de  
trois :
1)                  
La 
durée de vie moyenne  est de 39 ans 
en Centrafrique alors qu’elle était de 45 ans dans les années 
1970-80.
2)                  
Le 
dernier rapport du développement humain du PNUD classe la Centrafrique au 172ème rang 
mondial sur les 173 pays pauvres très endettés. Des ONG considèrent que 
la Centrafrique est un Etat fantôme.
3)                  
Bien 
que n’ayant pas de modèle économique et social reconnu et identifiable comme 
tel,  la 
Centrafrique présente d’innombrables paradoxes. Les structures publiques de santé tombent en 
lambeau mais des cliniques privées et la médecine libérale se développent à une 
vitesse à couper le souffle au point que les 
hôpitaux sont devenus des mouroirs où sur un même lit cohabitent les 3 M ( Le 
malade, le mourant et le mort). Quant au système éducatif et de formation, sa 
marchandisation atteint des proportions qui dénient toute idée d’effort et 
d’éducation. Le  
marché des sujets d’examen est très florissant et s’accompagne de 
la montée du droit de cuissage, donc l’avilissement de la femme. 
Ces derniers temps, 
l’appel  au changement de mentalité 
est chanté en cœur tel un hymne voire un exutoire par de nombreux auteurs que 
l’Etat traite d’intellectuels professionnels de l’afro pessimisme. Le maniement de la 
notion de changement de mentalité   
s’apparente pour certains à un débat de type « café du 
commerce » c’est-à-dire ne reposant sur aucune 
posture scientifique  et visant à 
accréditer la thèse d’un changement  
incognito de mentalité. D’autres considèrent que le changement de 
mentalité viendrait exclusivement des partis politiques qui concourent à 
l’expression du jeu démocratique.  
                
Nous réfutons les deux thèses en présence en nous appuyant sur la 4è 
variable du paragraphe précédant étant donné que d’aucuns admettent que les 
valeurs républicaines, catalyses de démocratie, seraient des dons d’un Etat,. Ce 
qui est une absurdité, même dans les pays développés dits 
de vieille démocratie . Les gouvernements 
successifs ont fait comme si, sur le chemin de la construction des valeurs 
républicaines et démocratiques, un désert de sable-mouvant a surgi et que personne d’autre ne ferait mieux 
qu’eux, les dévoués, les inoxydables et inexorables  patriotes !
                
Le changement de mentalité ne viendra pas comme un astre radieux qui 
frappera les esprits bienpensants ou les auteurs de slogans prophétiques, tels 
que les disciples centrafricains du tristement célèbre Raspoutine. Il ne peut 
qu’être l’œuvre patiente de ceux qui veulent changer de paradigme. Ceux qui, à 
leur niveau professionnel, s’interrogent sur la manière d’amener les citoyens à 
devenir les co acteurs, les participants aux choix qui les concernent 
. 
Ceux qui veulent bien opposer une résistance, en s’organisant par réseaux, hostiles  à 
toute vision uniformisante et hégémonique de l’humain pour promouvoir et 
défendre la coopération. Ceux qui veulent contribuer, en fonction de leur 
capacité, à mettre en mouvement les composantes plurielles de la société centrafricaine. Ceux qui acceptent de s’impliquer, 
de s’emparer du débat pour ne pas être continuellement désemparés et dépossédés. Ceux  
dont la motivation première est  
de redynamiser leur capacité d’indignation et de devenir le levain qui 
fait monter la pâte lorsque la justice est inféodée au pouvoir et à la solde du 
gouvernement. Ceux qui refusent  de 
s’accommoder de l’envoi régulier au pilori des  citoyens civils et militaires. Le défi à 
relever est de faire des prochaines 50 
prochaines années, la période de 
promotion des faits de société, qui sont de véritables laboratoires de 
démocratie. Ceci n’est possible  que 
si l’on refondait l’Etat pour sortir de l’aliénation dans laquelle la période 
postcoloniale a enfermé et continue d’enfermer 
les gens.  
Dans 
notre esprit, le sentiment qui domine face à la violence avec laquelle le monde 
change  ne passe pas par la question 
du pourquoi ça ne change pas mais plutôt par 
celle de « pourquoi et comment la transformation fonctionne ailleurs et pas en 
Centrafrique » ?  Quand on 
constate les dégâts causés par les « 50 Mafio-Piteuses  »  on en revient aux grilles d’analyse 
initiées et impulsées au travers les notions de  pouvoir et autorité 
« compétents » [Max Wéber], société ouverte et société fermée de [Karl 
Popper] et les récents travaux d’Edgar Morin sur les valeurs fondatrices des 
institutions républicaines et démocratiques.
Cette 
phase II de la implique une remise en cause de l’ère postcoloniale que nous appelons les 50 mafieuses et 
piteuses par rapport aux valeurs républicaines et démocratiques. Il ne s’agit 
pas de se prévaloir des seules « élections générales » et du mouvement 
de «  décentralisation » pour se dire que l’on dans une 
« République ». La refondation passe indubitablement par l’arrêt du 
mouvement de désinstitutionalisation de la 
Nation pour commencer à faire vivre des 
institutions républicaines, à même de catalyser les référentiels de démocratie 
afin que la nation soit réellement la seule richesse du pauvre [Jean Jaurès] 
Cet 
apport de changement d’air dans l’aire post 
coloniale apparaît comme le défi à relever par tous : artistes, 
écrivains, enseignants, chercheurs, partis 
politiques, société civile en coopération avec les institutions ancestrales et 
traditionnelles. En un mot, pour naviguer dans la complexité du monde  présent et à venir, il faut outiller, 
prémunir chacune de ces institutions pour qu’elles soient à même de démunir 
-sans nécessairement prendre le pouvoir-  
l’Etat mafieux et piteux. Initier et impulser le changement nécessite 
souvent que l’on déclare obsolètes et surannées les valeurs postcoloniales qui 
ont organisé le maintien de la Centrafrique, à la 
périphérie des autres pays d’Afrique. Il requiert un changement de logiciel du 
monde  en matière d’attitude et de 
comportement des acteurs. Le refus de capituler pour construire une nouvelle 
matrice  nationale, creuset de 
l’interdépendance et de l’articulation des matrices individuelles et 
communautaires, de l’échelon local à 
l’échelon national, doit être le paradigme politique de cette évolution de l’ère post coloniale. 
                
Sans que notre thèse prenne les allures d’une prescription, si l’on 
désire que les institutions républicaines soient ancrées dans les attitudes et 
les comportements pour faire de la Centrafrique une société ouverte [Karl 
Popper], on ne peut faire l’économie de 
l’identification et du repérage des barrières  et des inerties de toute sorte 
qui les endiguent.  Ce paradigme à 
conquérir et à construire apparaît-il en filigrane dans les orientations des 
différents candidats aux orientations générales de 2011 ? Lequel des 
prétendants aux élections de 2011  se montre outillé pour mener le 
navire centrafricain vers un nouveau 
positionnement ?
2-2 : 
Sortir de l’aliénation de la période postcoloniale à partir d’un tropisme 
                
La 
monstruosité des 50 Mafio-Piteuses se remarque à première vue sur le plan des 
politiques économiques. Elles sont fondées sur une erreur qui, aujourd’hui a 
atteint son paroxysme. Alors que partout dans le monde y compris  
en Afrique, on part du postulat que les difficultés économiques résultent 
du conflit séculaire entre le capital et le travail et qu’il est vital de 
trouver des  systèmes et mécanismes 
pour faire des régulations, les 50 Mafio-Piteuses ont persisté et persistent à 
mettre l’accent sur l’enclavement géographique qui serait à l’origine de tous 
les maux. Cette approche a amené le pays dans un ravin et a consacré les 
dirigeants politiques en VRP des complexes militaro-civils de l’armement. 
                
Pour 
quelle raison les 50 Mafio-Piteuses ne sont-elles pas parties des faits de 
société pour impulser l’économie politique et sociale  notamment 
l’élaboration et la mise en œuvre des mesures  propices à la fertilisation croisée du 
secteur formel  avec le secteur 
informel ?  
La 
réalité de cette période néfaste nous a 
convaincu du contraire. Les mutations du monde auxquelles la Centrafrique 
n’échappera pas appellent un changement de 
postulat ; inscrire l’éducation et la formation à l’économie comme la clé 
de voûte de lutte contre la pauvreté et de l’accès à l’autonomie et à 
l’émancipation. Dit autrement, la nouvelle trajectoire à prendre n’est pas  le chemin de traverse qui consistait à 
faire le bonheur des communautés humaines et territoriales en milieu rural  à leur place mais il s’agit de faire 
leur bonheur avec elles, en les impliquant et avec leur participation. Rendre 
évidentes 
les interactions sociales et solidaires comme alternative politique, ce 
que nous appelons l’invention de nouvelles pratiques. Les 50 Mafio-Piteuses ont 
 engendré une société d’élites qui décident de façon 
snobe pour les autres, lesquels n’ont rien d’autre à faire que de se soumettre. 
Dans ce champ du développement, on confond plan cadastral et  urbanisation. 
Comme nous l’avons dit, il n’existe pas 
en Centrafrique un Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT) 
déclinable en Schéma Régional d’Aménagement du Territoire avec les pôles 
structurants lisibles pour induire de vrais effets multiplicateurs. Malgré 
l’absence du schéma national d’aménagement du territoire, on annonce que l’accès 
à l’eau potable est un droit pour tous et qu’à ce titre, l’Etat en fera 
désormais une priorité. Quid des inondations, des rues truffées de nids de poule 
et d’autres certes cadastrées, mais 
laissées à 
l’abandon depuis 30 ans. 
La 
seconde erreur de ce paradigme dominant  
a consisté à négliger l’existence de la fabrique du dogme néolibéral 
qu’est le Consensus de Washington. C’est cette doctrine qui sert de trame aux 
orientations des institutions financières internationales et les autres 
légitimités supranationales ; en somme, le Consensus de Washington sert de 
tropisme au fonctionnement du monde. C’est à l’aune de cette convention  
que les pays de la Triade se sont partagés le monde et tentent de partager le 
monde avec les pays émergents que sont les BRIC [Brésil, Russie, Inde et Chine]. 
Il est vraisemblable que les BRIC tireront vers le haut les NPI  [Nouveaux Pays Industrialisés] des 
années 80, les Dragons d’Asie du Sud Est. La 
mutation du monde conduit vers un éclatement des centres du monde et ce n’est 
plus en termes de pays de l’Est et de pays de l’Ouest qu’il faut décrypter les 
monde. Le monde est désormais polycentrique et complexe. 
Ce 
n’est ni avec des comportements ubuesques [la théâtralisation sans pudeur de 
l’insupportable, que l’on a coutume d’appeler « le sursaut 
patriotique »] et ni une gestion 
déjantée et scabreuse des biens publics qu’on réalisera les Objectifs du 
Millénaire pour le Développement. Le sursaut en question est un véritable saut 
entre le creux et le vide. Le sursaut patriotique du 15 Mars 2003 est une 
montagne à deux versants : le premier versant se présente comme une 
euthanasie pour le gouvernement d’alors et le 
second versant symbolise un véritable suicide collectif pour le pays à la 
lumière de ce qui a suivi. Le miracle pour libérer la nation, s’est mué en 
mirage. Les libérateurs  étaient en 
réalité des tyrans et leur libération confinait à la liberté du loup dans la 
bergerie. Les libérateurs ont infesté le tissu social -largement détricoté par 
le régime agonisant de Patassé- par leur cruauté, leur perfidie et leur délire 
d’emprise. 
Sans 
être présomptueux nous partons du postulat que le Tiers monde à vocation à 
devenir des Républiques, selon le schéma préconisé par  Alfred Sauvy, se référant aux Tiers 
Etats, de la Révolution française de 1789. La Centrafrique doit se donner pour 
vocation d’évoluer vers la mise en gestation des valeurs républicaines et 
démocratiques en cette seconde moitié du 
premier centenaire de son accession en droit à la souveraineté internationale. 
La démocratie vient toujours de l’extérieur de 
l’appareil d’ l’Etat. Si la 
Centrafrique veut se donner un idéal émancipateur dès le début des cinquante 
prochaines années, il faut infliger aux 50 Mafio-Piteuses  et leurs oligarchies, des valeurs 
républicaines et des disciplines démocratiques.
Conclusion :
La 
situation dont nous proposons la clé 
d’élucidation, loin d’être une condamnation divine, est la conséquence des choix 
de politiques hasardeuses. L’Etat postcolonial a instrumentalisé l’ethnie et la 
tribu pour disloquer la nation. 
Face 
au grand écart entre l’indépendance en droit et la dépendance économique dans 
les faits, la prise en compte des phénomènes de société  dans la gouvernance de la société, avec 
les différentes parties prenantes de la société impulsera un changement profond. 
Les logiques et les dynamiques qui servent de ressort aux fonctionnements de 
l’Etat sont appelées à faire leur mue  
notamment par l’articulation de la libération sociale et de la libération 
politique pour briser la chaine qui lie intimement les valeurs néo libérales 
avec les valeurs néocoloniales des 50 
Mafio-Piteuses. Les élections générales, véritables façades en droit de la 
souveraineté internationale constituent  
des illustrations cyniques  
de l’Etat, producteur à l’infini de 
délestages et de la gestion de la pénurie. 
L’enjeu des élections  générales ne 
saurait se cantonner dans le changement de tête  au 
sommet de l’Etat. Il doit comporter la capacité d’interprétation des 
problématiques que soulève le monde et les leviers qu’il faut trouver, au niveau 
interne, pour induire les transformations et mettre la Centrafrique au diapason 
de la sous-région et du monde.  La 
Centrafrique doit cesser, d’ici le premier centenaire des indépendances 
de sa situation de « ventre mou »  ou de passager clandestin de la 
sous-région  et, globalement de la 
communauté internationale.
Pour 
cela, la quête et la conquête des institutions républicaines et démocratiques 
ancrées dans les mœurs et cultures politiques d’alternatives s’imposent 
naturellement. 
Quelle alternative 
construire face aux multiples formes de mutation du néolibéralisme adapté à la 
sauce post coloniale ? Durant les années 
90, devant la montée paroxysmique des mécontentements populaires, le 
néolibéralisme a trouvé la panacée qui consiste à privatiser les entreprises 
publiques et à proposer les politiques de décentralisation. Par ce biais, on a 
accrédité l’idée de lutter contre l’endémique corruption et introduire des 
règles managériales à la tête de l’Etat, en 
conservant le même Etat, avec les mêmes fondements, la coercition et la 
confiscation pour certains et l’impunité 
absolue pour les hauts placés. Ni le diagnostic, ni la thérapeutique ne sont 
acceptables particulièrement en Centrafrique. Nous appelons  tous les Centrafricains à convenir que 
le tropisme qui doit inspirer la république à construire, est, qu’à la logique 
d’organisation politique et socio-économique régulée  par les valeurs  néolibérales et postcoloniales, il faut 
opposer l’organisation sociale fondée sur l’accès du plus grand nombre aux 
droits humains ; accès à l’eau potable, à l’éducation, à l’hygiène et la 
santé et l’échange juste et non le libre-échange. Nous empruntons cette  rationalité à Henri Lacordaire selon 
lequel « Entre le riche et le pauvre, le fort et le faible, la liberté 
alors que le droit libère » La liberté néolibérale et postcoloniale tue [ 
aliène] alors que l’accès aux droits humains par la participation à ces droits 
et l’exercice de ces droits du plus grand nombre, enfante l’émancipation.  
                
Pour nous, la sécurité des transactions passe par la refondation de 
l’Etat actuel sur des institutions républicaines mettant en œuvre l’éducation de 
la population au développement à grande échelle. Des institutions  républicaines en rupture radicale avec 
une justice inféodée pouvoir en place. Des institutions républicaines 
garantissant, en termes de coûts et de financement  les libertés publiques dont la liberté 
de parole, de publication et de la presse. Des institutions  républicaines reconnaissant le statut de 
la différence entre les communautés humaines et territoriales et  se préoccupant de leur émancipation dans 
le cadre de l’unité nationale. A l’aube de cette deuxième partie du premier 
centenaire des indépendances en droit,  
c’est l’occasion où jamais de  
s’entendre sur la construction des 
valeurs républicaines et de rejeter les connivences avec les multinationales et 
les complexes militaro-industriels de part le monde. C’est le  tribut que la Centrafrique doit 
payer  pour s’attribuer les 
attributs de la tribu  de 
l’ouverture au monde épris de liberté et de paix. Dit autrement, c’est la 
feuille de route du rejet de l’aliénation pour promouvoir et défendre 
l’émancipation.
Université 
de Rouen
Membre 
du Réseau entrepreneuriat de l’AUF et de l’OPPE
Président 
de Symbiose Consultant ETD (Entreprenariat-Territoire et 
Développement) 
[1]) Frank Saragba « Fini Kodé » [On ne cite que les bons auteurs]
NB: Série d'article sur les "50 ans d'iIdépendance" composée de réflexions, points de vue, analyses, servant d'éclairage et de témoignage dans le cadre indiqué et qui n'engagent que leurs auteurs. Cependant, pour toute personne qui se sentirait touchée, un droit de réponse ou de rectification est réservé.