Ange 
Félix PATASSE : le dernier des Pères-Fondateurs
« Lorsque 
le rideau s’abaisse et que les lumières s’éteignent, les échos qui résonnent, 
prolongent le spectacle. » 
CBM
Le 
mardi 05 avril 2011 en début de soirée, j’apprenais par sms le décès à Douala 
d’Ange Félix PATASSE, Président de la République Centrafricaine de 1993 à 2003. 
Après vérification, milles et un souvenir se sont bousculés dans ma tête. Je 
revis les moments de akoli a kpé (1), 
les placages au sol, les crépitements d’arme, les exécutions sommaires, les 
privations de liberté et ces images de milliers de Centrafricains sur les 
chemins de l’exil…y compris ma famille pour délit d’appartenance ethnique et/ou 
régionale. 
Après 
ces souvenirs intenses liés au pouvoir d’Ange Félix PATASSE c’est-à-dire à sa 
propre personne, je me rendis à l’évidence qu’avec son décès, s’achevait aussi 
le cycle des pères fondateurs de la République et leurs héritiers directs 
(2). 
Au 
crépuscule de cette période, se pose avec acuité à l’ensemble de la nation, la 
nécessité de tracer un nouveau chemin d’Esperance en prenant les mesures des 
injustices nées de notre histoire postcoloniale et en fournissant les panacées 
aux différents maux qui minent notre pays.
Du 
Délit de non-assistance à personne en danger
Les 
indices qui témoignent en faveur de la volonté délibérée des autorités 
centrafricaines visant à accréditer la version des proches et de la famille 
d’Ange Félix PATASSE, lesquels soutiennent la thèse de crime contre cet acteur 
de la scène politique de Centrafrique, sont nombreux. Comment peut-on un seul 
instant admettre que l'entourage de l'actuel chef de l'Etat centrafricain ait pu 
ignorer le statut médical de monsieur PATASSE, eux qui ont eu à le côtoyer de 
trop près pendant tant d'années? Ange Félix PATASSE a depuis toujours traîné 
cette maladie. S'il a pu jusque-là s'en sortir sans problème, peut-on croire 
qu'à 74 ans il ait encore les mêmes capacités naturelles pour se 
défendre?
Or, deux 
semaines avant sa disparition, suite à une crise sérieuse où il a été emmené 
inconscient dans une clinique médicale de Bangui, les autorités le refoulent de 
l'aéroport, et cela plus d'une fois, pour ne le laisser sortir qu'au moment où 
très peu de choses pouvaient encore médicalement être faites. Les gouvernants 
ignoraient-ils que les formations médicales de chez nous ne sont que des 
coquilles vides? Que la bonne volonté des médecins et du personnel soignant ne 
suffit plus pour rendre l'espoir à un malade, dans quelque état qu'il soit? 
L'opinion 
nationale et internationale a été témoin que les dénonciations des membres de sa 
famille et de ses proches  n'y ont 
rien fait pour déterminer le chef de l'Etat à autoriser sa sortie pour des 
raisons humanitaires à temps opportun.
Serions-nous 
surpris si l'on nous apprenait que du côté de SASARA on ait sabré le champagne à 
l'annonce de la disparition de celui qui ne nous laissait pas, nous 
Centrafricains, indifférents pour une raison ou une autre?
Où est 
passé ce porte-parole du gouvernement, qui clamait encore à la ville, au pays et 
au monde que la volonté d’Ange Félix PATASSE pour sortir se soigner n’était 
autre chose que de la simulation ? L’histoire retiendra que ce cynisme 
était un délit de non-assistance à personne en danger…je dirai même plus : 
en danger de mort. Même si Ange Félix PATASSE n’était pas un 
ange.
PATASSE, 
l’Histoire et la RCA
Avant de 
prendre la décision de rédiger cette tribune, je me suis longuement interrogé 
sur le principal postulat car à y voir de près, je ne peux parler du président 
PATASSE sans passion(s) ou sans susciter des passions. Cadre du Rassemblement 
Démocratique Centrafricain (RDC), originaire de la Basse Kotto, Yakoma, ayant 
perdu des parents par la barbarie républicaine entre 1993 et 2003 et ayant 
moi-même assisté au viol de mes rêves et de mon imaginaire avec le pouvoir du 
Président PATASSE et de son parti le MLPC.
Ange 
Félix PATASSE était un homme qui a travaillé et présidé un grand ensemble, le 
Centrafrique, de même moi et les miens sommes des entités appartenant à ce grand 
ensemble. Toute analyse partisane de ce chapitre de notre histoire ne 
participerait qu'à rendre plus béante la blessure de notre pays qui ne donne 
aucun indice de cicatrisation. J’en ai conscience et les lignes qui suivent en 
sont le reflet.
Je n’ai 
pas la prétention de faire le bilan des dix années d’Ange Félix PATASSE à la 
tête de la RCA ou celles au service de Bokassa d’abord et ensuite de l’Empire. 
Les historiens, les biographes, les journalistes et les commentateurs politiques 
s’en chargeront. J’ai comme ambition d’inscrire sur cet évènement majeur de 
l’histoire politique de la RCA quelques marqueurs qui pourront servir 
aujourd’hui et demain de repères dans la mise en place d’un paradigme neuf, 
passage obligé avant la véritable refondation de notre 
pays.
J’ai donc 
pris la décision de regarder Ange Félix PATASSE sous le triple prisme de 
l’histoire, de la réalité et des hommes car ce ne serait pas rendre justice à 
notre pays et à notre avenir si j’abordais ce dernier sous l’angle exclusif de 
ce que moi et les miens avons vécu sous ses 10 ans à la tête de la 
RCA.
BOKASSA, 
DACKO, GOUMBA, KOLINGBA et aujourd'hui PATASSE, ces anciens dirigeants de notre 
pays au plus haut niveau, nous ont tous quitté.  Avec ce chapitre qui se ferme, des 
interrogations légitimes apparaissent :
Tel est, 
à mon avis, le centre d'intérêt autour duquel la disparition du Président Ange 
Félix PATASSE devrait nous convier à réfléchir, à ce moment précis où 
:
Le 
nouveau cinquantenaire de la RCA dans lequel nous sommes entrés, entraîne avec 
lui de nombreux défis dont deux sont majeurs :
1.     
l’organisation, 
la structuration et la gestion du pays comme Territoire et 
Nation ;
2.     
et 
l’entrée de la RCA dans la modernité.
En effet 
cinquante années n’auront pas suffi aux fondateurs de la république ainsi qu’à 
leurs héritiers primaires et secondaires pour consolider le Territoire, 
renforcer l’Identité Nationale et nous faire entrer dans la Modernité. 
Pour que 
dans cinquante ans, nos enfants et nos petits-enfants puissent célébrer le 
centenaire de la RCA et qu’être Centrafricain en ces temps-là puisse signifier 
quelque chose, Il nous faut aujourd’hui un sursaut qui nous aide à rechercher, 
avec clairvoyance et rigueur , où PATASSE, KOLINGBA, GOUMBA, DACKO et BOKASSA 
ont fauté, pour que nous soyons dans cette situation où le régime actuel, sous 
la férule du Général François BOZIZE, affiche des caractéristiques d'un navire à 
la dérive, sans timonier et sans aucun repère.
PATASSE 
et Moi
Lorsque 
je débarquai à Bangui en ce jour de décembre 1993, cela faisait 2 mois jour pour 
jour qu’Ange Félix PATASSE était Président de la République. De Yaloké où 
j’étais interne au Séminaire depuis un an ; j’avais déjà deux oncles et 
quelques tontons qui croupissaient à Ngaragba et d’autres proches qui avaient 
perdu par le jeu du changement de régime leurs responsabilités au sein de 
l’administration.
Ce jeudi 
18 avril 1996, j’étais avec quelques amis au balcon du 1er étage du 
Lycée Boganda lorsque nous vîmes arriver des véhicules militaires au croisement 
du 4ème arrondissement, tirant en l’air. C’était le début de la 
1ère mutinerie mais c’était aussi et surtout le début du viol de 
l’imaginaire.
2ème 
mutinerie, 3ème mutinerie et l’histoire avec sa cohorte macabre se 
répétait, inlassablement. Novembre 1996, éclata la 3ème mutinerie. 
Après une visite aux aurores des éléments de la sécurité présidentielle, nous 
avons pris la décision de nous replier dans un secteur où nous serions en 
sécurité. Contrairement aux précédentes, la 3ème mutinerie fut une 
crise plus longue et porte sans aucun doute les germes du 15 mars 2003. A 
Lakouanga où nous nous sommes repliés ; nous étions aussi livrés à 
l’exaction des éléments de la MISAB (3) 
accompagnés par les éléments de la garde présidentielle. Jusqu’à ce jour de mars 
1997 où, pour échapper aux razzias de ces éléments ; j’ai passé une nuit 
entière, terré dans le plafond de la maison pour être le surlendemain victime du 
koli a kpé et me retrouver en pleine nuit dans un coin de la ville que je ne 
connaissais pas, livré aux moustiques et au 1er quidam qui aurait mis 
sur ma tête, la mauvaise appartenance. C’est ce soir-là qu’est née ma décision 
d’œuvrer pour qu’aucun fils de Centrafrique n’ait à vivre dans un pays à la 
dérive. Ma première expérience politique lors des élections législatives de 1998 
en était la manifestation.
Puis je 
suis parti de Bangui et après, il y a eu le 28 mai 2001 et l’odyssée de ces 
Centrafricains assimilés à tort aux auteurs du putsch manqué. Et parmi ceux-ci, 
il y avait toute ma famille qui s’est retrouvée sur les chemins de la fuite, de 
l’exil. Sans oublier ce grand oncle froidement exécuté ainsi que l’autre qui n’a 
pu avoir les soins nécessaires et s’est vu amputé une jambe. 
Et enfin 
il y a eu les jours qui suivirent les 22 au 25 octobre 2002 où les quartiers sud 
de Bangui virent débarquer les réfugiés du nord de la ville qui fuyaient les 
bombes de Kadhafi et les exactions de certains miliciens importés dont le chef 
est jugé en ce moment à la Haye. Parmi ceux qui fuyaient, j’avais, des cousins, 
des neveux, des tantes, des oncles, des amis.
Dix 
années de pouvoir dont huit d’instabilité qui ont fini par baliser le chemin 
pour que l’homme du 15 mars arrive, s’installe, se légitime et créé le 
KNK.
Conclusion
Le 
Président PATASSE qui vient de nous quitter était le dernier des 
Pères-Fondateurs de la seconde génération et du cycle 1930. Avec son décès, 
s’achève le 1er chapitre de notre histoire postcoloniale. De nombreux défis sont 
aujourd’hui à relever avec les mêmes Hommes, le même peuple, les mêmes 
traditions et le même pays. Il faut comprendre où Patassé, Kolingba, Goumba, 
Dacko, Bokassa et Boganda ont échoué pour que cinquante années plus tard tout 
soit à faire ? Il ne s’agit pas d’inquisition ou de catalogue-bilan. Il est ici 
question d’une sérieuse comptabilité des actes politiques posés qui justifient 
l’actuel retard de la RCA.
Ange 
Félix PATASSE s'en va après avoir traversé une grande partie de l'histoire de 
notre pays. C'est donc un témoin autant qu'un acteur qui s'en est allé. Quel 
secret emporte-t-il? Nous a-t-il, en dehors de ses proverbiales rodomontades 
dont il a su habituer la génération actuelle, et qui nous ont permis de le 
nommer tantôt avec affection, tantôt avec haine TONGBONDA ou SHAOLIN, a-t-il su 
transmettre, pour la progéniture, ne fût-ce qu'une partie de ce qu'il savait de 
notre histoire commune , des responsabilités individuelles et de ses propres 
responsabilités ? D'aucuns se réclament ou se réclameront de lui, mais que 
ferons-nous d'un nom, si derrière il n'y a aucune idée fondamentale unificatrice 
pour consolider la république et promouvoir la mise en perspective de nouvelles 
passerelles au service de notre communauté de 
destin ?
Voilà 
pourquoi je me permets de convier les Centrafricains à faire l'inventaire  
des actes  non seulement d’Ange Félix PATASSE, mais aussi de tous les 
hommes politiques de notre pays, de BOGANDA à BOZIZE dans le cadre de leurs 
actions. 
Seule, 
une comptabilité sans complaisance des actions du passé pourrait nous autoriser 
à nous regarder sans déformation dans le miroir et surtout à envisager l'avenir 
avec plus de clairvoyance et d’espoir.
Clément 
BOUTE-MBAMBA
Post-scriptum
A la tête de l'Etat, 
certains de ses amis, jouant sur les notions ethniques, sur l'appétit du pouvoir 
et les sentiments avoués et/ou inavoués d’Ange Félix PATASSE, réussirent à faire 
de son pouvoir, un pouvoir tribal à la lisière de la rapine. Il faut cependant 
avoir le courage de préciser que les limites d’un dirigeant sont aussi 
l’expression des limites de ceux qui l’entourent. Car, si Ange Félix PATASSE 
était la tête, il y a bien eu des bras qui avaient froidement exécuté certaines 
besognes, des fois à l'insu de ce dernier. Comprenons-nous, je ne dis pas cela 
pour le dédouaner de ses charges, mais pour que chacun sache que les 
Centrafricains  n’oublient pas qu’au 
bilan de PATASSE, il faut aussi ajouter ceux qui étaient avec lui. Puisque les 
têtes pensantes des sales besognes d'hier  sont là aujourd'hui aux affaires ou dans 
l'opposition, et tentent cyniquement de faire de PATASSE le dénominateur commun 
du mal centrafricain.