La Cémac en apnée à 
Oyala.
La crise du pétrole a 
plongé la tête de la Cémac (Communauté économique et monétaire en Afrique 
centrale) sous l'eau. L'institution sous-régionale vit en apnée, recherchant un 
peu d'oxygène pour survivre. Le sommet convoqué par son président en exercice, 
l'équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbassogo, le 17 février prochain à Oyola, 
participe de cet exercice. Selon le communiqué officiel annonçant cette réunion, 
« plusieurs dossiers liés à l'intégration économique et destinés à 
accélérer la sortie de crise en zone Cémac figureront à l'ordre du 
jour ».
1 – Le 
contexte.
Au plan politique, 
les pays de la zone sont confrontés à diverses rébellions, en Centrafrique en 
particulier, maillon faible. Le Cameroun et le Tchad doivent faire face aux 
attaques du groupe Boko Haram, nébuleuse islamiste qui a fait allégeance à 
Daech. Le Gabon sort difficilement de la crise politique née des dernières 
élections présidentielles ; l'opposition, corsetée par les battus des 
urnes, se recroqueville sur son orgueil bafoué et refuse tout dialogue avec le 
président élu, Ali Bongo Odimba. Son adversaire, l'ancien président de la 
Commission exécutive de l’Union africaine, Jean Ping, est la clé de voûte de ce 
blocage qui ne saurait durer un quinquennat.
De leur côté, la 
République du Congo et la Guinée équatoriale apparaissent, par contraste, comme 
les deux pôles de stabilité, bien que leurs dirigeants soient confrontés aux 
méandres de l'affaire des « biens mal acquis ».
Au plan économique, 
la crise est profonde. Malgré un regroupement institutionnel et une monnaie 
commune, les six Etats qui composent la dite communauté n'ont rien en commun. 
Conçue à l'origine comme un organisme interactif de solidarité économique et 
douanière (Union douanière et économique des Etats d'Afrique centrale), la Cémac 
s'est désagrégée dans une logique du chacun pour soi : la création d'une 
compagnie aérienne commune est un échec, la mise sur pied d'une bourse des 
valeurs mobilières a volé en éclats entre deux institutions concurrentes, la 
mise en service d'un passeport biométrique unique permettant la libre 
circulation des citoyens des six Etats dans l'espace communautaire s'est 
encalminée, l'absence d'une politique industrielle de développement concerté a 
fait le reste : la Cémac n'est porteuse d'aucun projet ; les six Etats 
membres sont concurrents en tout, partout.
La crise du pétrole à 
bas coût vient ainsi frapper de plein fouet des Etats sans inspiration, tous 
voués à l'économie de rente, politique de développement ayant partout échoué. 
Résultat, un taux de croissance en chute libre qui s'inscrit autour de 1 %, du 
fait,
·        
d'un recul des 
investissements dans le domaine des infrastructures à hauteur de 80,04 % en 
2016,
·        
d'un recul des 
investissements miniers qui s'établissent à 8 % en 2016 contre 29 % en 
2013,
·        
etc.
La Cémac présente 
ainsi le taux de croissance économique le plus faible du continent et, à 
l'inverse, le taux de chômage le plus élevé (25 %) pour une jeunesse en plein 
essor démographique.
Mais, crise politique 
et crise économique ne sont pas les seuls fléaux.
Au plan culturel, 
plus grave est l'absence d'une intelligentsia régionale capable de dynamiser les 
ressorts de la création artistique et culturelle, symbole d'harmonie sociale et 
facteur de résilience. Contraints partout à l'exil, intellectuels et créateurs 
vont ainsi grossir les rangs de la diaspora africaine installée surtout en 
Europe occidentale, en France en particulier. Les uns et les autres n'exercent 
aucune influence directe sur leur pays respectifs, ni auprès de la jeunesse ni 
auprès des pouvoirs publics, si l'on excepte la situation particulière de la 
musique congolaise.
Somme toute, la 
diaspora la plus dynamique de la sous-région demeure celle du Cameroun, plus 
visible à Paris qu'à Yaoundé, faute de relais sur place ou d'une politique 
culturelle plus offensive. Le Cameroun apparaît comme l'entité la plus porteuse 
d'avenir pour la zone mais, tiraillée entre anglophones et francophones, ce pays 
qui aurait pu être le fer de lance d'une bataille idéologique pou l'indépendance 
totale et la libération nationale, demeure captive d'un « monstre 
cannibale » au pouvoir depuis 1982, soit 35 ans.
Il n'est pas seul. 
Dans la galaxie des dinosaures au pouvoir en Afrique centrale, on compte aussi 
le président de la Guinée équatoriale (1979), celui du Tchad (1994), celui de la 
République du Congo (1995). Le président du Gabon, au pouvoir depuis seulement 
2009, a pris la suite de son père qui aura régné 42 ans sur le pays, de 1967 à 
sa mort !
Le déficit culturel, 
économique et politique en Afrique centrale est ainsi le résultat d'un défaut 
d'alternance, une dégénérescence pour reprendre le doux euphémisme du sociologue 
français Edgar Morin : « Nul acquis n'est irréversible, y compris la 
démocratie. Et ce qui ne se régénère pas, dégénère ». (1) 
Le manque 
d'alternance dégénère régulièrement en coups d'Etat militaire, car les 
dinosaures ne lâchent leur proie, le pouvoir, que contraints par la force des 
baïonnettes. Voilà pourquoi le président de la République centrafricaine, élu il 
y a seulement un an, apparaît dans cet aéropage comme un nouveau-né, le 
Leuk-le-Lièvre des contes de la brousse et de la forêt, célébré par le poète 
sénégalais Léopold Sédar Senghor, lui-même ancien président. 
(2)
2 – Les 
perspectives.
Dans ce contexte, la 
réunion du 17 février à Oyala ne servira à rien, sauf à pontifier sur les 
ressorts cassés du nationalisme partisan des différents chefs d'Etat présents. 
C'est ainsi que l'organigramme de l'institution est plus le repaire d'anciens 
ministres qu'une moraine de vrais talents.
On remarquera que la 
présence, à la tête de la Cémac, de l'économiste Pierre Moussa, ancien ministre 
du plan et de l'économie nationale du Congo, n'a rien changé sur le fond, pour 
quelques raisons simples :
-        
l'absence d'une 
véritable philosophie de l'action dans les domaines politique, économique et 
culturel ;
-        
l'absence d'une 
personnalité politique charismatique, capable d'insuffler dynamisme et fierté à 
la jeunesse de la zone ;
-        
l'absence d'un pays 
assurant le leadership de la sous-région par effet d'entraînement, comme 
l'aurait pu l'être le Cameroun, si ce pays n'avait pas fait le choix de son 
propre quant à soi.
La réunion d'Oyala ne 
fera que confirmer la feuille de route dispenser par la directrice générale du 
Fmi, Christine Lagarde, et le ministre français de l'économie et des finances, 
Michel Sapin. Il ne peut en être autrement puisque les six pays membres de la 
Cémac sont de facto membres de la zone Euro. Après le refus de la dévaluation du 
franc cfa par les chefs d'Etat de la région, les voies de résolution de la crise 
ne sont pas nombreuses. Elles sont au nombre de deux, déjà expérimentées par la 
Grèce, toute chose étant égale par ailleurs :
-        
la réduction des 
dépenses publiques,
-        
l'abandon par la 
Banque centrale des avances directes aux Etats.
Or de l'aveu même du 
service des études de la Beac (Banque des Etats de l'Afrique centrale), les 
besoins de financement de la Cémac, pour la période 2016-2020, s'élèvent à 
13.313,2 milliards de francs cfa. Pour ces besoins, la Beac propose des mesures 
de facture très libérale :
-        
la mise en œuvre de 
réformes de structures ;
-        
la mise en mouvement 
du partenariat public-privé ;
-        
la diversification de 
l'économie ;
-        
le recours aux 
marchés des capitaux et aux emprunts du fonds monétaire 
international.
De ces quatre 
catégorie de mesures, seule la diversification de l'économie est porteuse de 
croissance, mais à long terme. Les trois autres sont synonymes du 
« dépérissement » de l'Etat et de ses services publics (santé, 
éducation, sécurité, justice), et donc d'appauvrissement et précarisation des 
populations locales.
En effet, la 
réduction des dépenses publiques - plans d'ajustement structurel - conduit 
souvent à la réduction des dépenses d'investissement et en ressources humaines, 
dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la sécurité (police et 
gendarmerie), de la justice, etc. Ces réductions conditionnent les emprunts 
auprès du Fmi (3).
Le partenariat 
public-privé consiste, pour l'Etat, à déléguer ses prérogatives à des 
entreprises privées, souvent des multinationales étrangères, contre paiement de 
loyers ou redevances. Cette pratique concerne très souvent la construction des 
infrastructures (routes, autoroutes, chemins de fer, prisons, etc.) ou à 
concéder à des entreprises privées des besoins tutélaires jusqu'alors servis par 
des entreprises publiques dans les domaines stratégiques (eau potable, énergie, 
communication, transports, formations professionnelles). Les usagers de ces 
fournitures paieront plus cher leurs consommations.
La mise en œuvre du 
partenariat public-privé par certains Etats africains se traduit déjà par des 
contentieux lourds, où l'intérêt des entreprises locales est souvent bafoué, du 
fait de la corruption. Même les pays développés se désengagent de ce type de 
contrat, dont les coûts de revient à long terme sont 
prohibitifs.
Enfin, le recours au 
marché financier n'est pas sans risque. Cette, technique a pour désagrément 
d'augmenter les dettes de l'Etat, et à peser sur les générations futures. Le 
financement long des marchés financiers n'a de sens que si cette dette porte sur 
la réalisation d'infrastructures durables devant profiter aux générations 
futures : construction de logements, réalisation de grands travaux ou 
d'ouvrages d'art (ponts, tunnels, aéroports, ports, etc.). Les pays africains 
qui ont commencé à explorer ce créneau, en particulier les pays d'Afrique de 
l'ouest, sont obligés d'émettre des obligations souveraines conformes à la 
charia, et à la logique d'intervention des banques islamiques. Ces obligations 
rapportent peu en termes de montant global (4), car elles doivent reposer sur 
des actifs tangibles (biens immobiliers, terres agricoles, par exemple). Elles 
peuvent constituer une menace pour le patrimoine d'un 
pays.
En conclusion, il ne 
sortira rien de la 31ème édition du sommet des Chefs d'Etat de la Cémac. En 
décidant de privilégier les négociations bilatérales avec le FMI, ils ont étalé 
leurs divergences et signé leur reddition. Tout au plus, rendront-ils service à 
la jeunesse de la zone s'ils venaient à reconsidérer l'organigramme  de l'institution vers plus de cohérence 
et d'harmonisation entre les stratégies respectives de la Béac, de la Bdéac 
(banque de développement des Etats d'Afrique centrale) et de la division 
industrielle de la Cémac. Cette dernière devra devenir le stratège de la 
politique de développement de l'organisation sous-régionale, sa structure de 
commande optimale, en lieu et places des ministères « ésotériques » 
qui pullulent dans chacun des pays membres, sans cohérence interne : 
ministères du pétrole ou des hydrocarbures, ministères des mines ou de 
l'industrie, ministères du bois ou des forêts, ministères de l'énergie ou de 
l'hydraulique, etc.
Paris, le 13 février 
2017
Prosper 
INDO
Economiste,
Président du 
CNR.
(1)   
– Edgar Morin, 
interview in L'OBS du 22 au 28 octobre 2015, page 80.
(2)   
Léopold Sédar Senghor 
& Abdoulaye Sadji : La belle histoire de Leuk-le-Lièvre ; Cours 
élémentaire des écoles de l'Afrique Noire, Edicef, 
1953.
(3)   
Dans un récent 
entretien accordé au magazine français L'OBS, la directrice générale du FMI, 
Christine Lagarde, l'a reconnu : « Pendant longtemps, l'analyse du FMI 
portait essentiellement sur la politique monétaire et la politique budgétaire. 
Désormais, nous examinons des dimensions inhabituelles : la contribution 
des femmes à l'activité, les investissements dans la santé ou dans l'éducation, 
en particulier celle de tout jeunes enfants... » in L'OBS n) 2717 du 
01/12/2016, pp.48-50.
(4)   
- Le montant de ces 
obligations souveraines est symbolique. Il tourne aux alentours de 140 millions 
de dollars. On est loin des 2,2 milliards de dollars de prêts concessionnels 
obtenus par la RCA lors de la Conférence de Bruxelles, ou des 12,2 milliards de 
dollars accordés au Burkina-Faso à Paris.