L’ABSURDIE !

 Un nouvel Etat est né ! C’est 
l’Absurdie, le pays des hommes absurdes. Il s’agit de l’actuelle République 
centrafricaine.
A Bangui, capitale de la République 
centrafricaine, les « juristes du soir » ont encore frappé. Avant que 
l'encre du Dialogue républicain ne sèche, les voilà qui réclament la réécriture 
de la constitution du 30mars 2016.
A dire le vrai, tout le monde sait 
que cette loi fondamentale a été rédigée à la va-vite pour mettre un terme à la 
transition politique de 2013 à 2015. Les modifications supposées portent sur des 
erreurs matérielles qui touchent à la rédaction des articles 154 à 159 du titre 
XVI,  dont les dispositions 
transitoires, reprises telles quelles, font référence à la Charte de la 
transition politique aujourd’hui forclose.
Théoriquement, il suffit à la 
commission des lois de l'Assemblée nationale, après consultation de la 
Présidente de la Cour constitutionnelle, de rédiger un addenda à soumettre au 
vote des élus du peuple, visant à la suppression de ce titre et le tour est 
réglé.
Malheureusement, nous sommes en 
Centrafrique. Cette simple correction aiguise les appétits, au point de conduire 
certains à entretenir la confusion. Pour ces juristes du soir, toute 
modification de la constitution entraîne ipso facto un changement de régime, 
voire un changement de République ! Ceci remettrait les compteurs à zéro et 
autoriserait l'actuel président à se représenter à la fin de son second et 
dernier mandat. C'est la politique du 3ème mandat, si couru en 
Afrique.
Assis sous les lampadaires de la 
ville de Bangui, entre piqûres des moustiques et bourdonnement des papillons de 
nuit, ces adeptes de l'école buissonnière du droit inventent une jurisprudence 
nouvelle … en dehors du droit (1). L’affaire apparaît donc comme une diversion 
destinée à détourner l’attention des citoyens des priorités fondamentales du 
moment, la paix civile et la libre circulation des biens, des personnes et des 
marchandises sur l’ensemble du territoire.
1 – Pour une recherche de 
cohérence ?…
On aurait pu penser que les 
modifications envisagées visent à établir la cohérence entre, d’une part la 
stricte application de l'article 6 de la constitution, qui établit l'égalité 
hommes-femmes, ainsi que l’article 80, qui introduit la parité du genre dans les 
instances de décision de la République, et d’autre part, la loi sur les régimes 
matrimoniaux qui instaure la polygamie. Il n’en est rien. En effet, si l'article 
6 est maintenu dans sa rédaction actuelle (cf. art. 6, al. 2), alors soit la 
polygamie doit être supprimée et M. Touadéra devra choisir parmi ses nombreuses 
épouses lesquelles répudiées pour n’en garder qu’une, soit la loi matrimoniale 
autorise la polyandrie et chaque Première dame peut prétendre à plusieurs 
époux ; et la RCA avoir plusieurs présidents virtuels. Nous voici en 
Absurdie !
2 – La malédiction du troisième 
mandat ou la tentation d’une présidence intemporelle.
Il n’en est rien. Les modifications 
projetées portent sur les dispositions de l’article 35 qui fixe la durée du 
mandat présidentiel à 5 ans, renouvelable une seule fois. Or l’article cité est 
exclusif de toute révision constitutionnelle. Ce projet de réforme est porté par 
le député de la Lobaye, un certain Brice Kevin Kakpayen, un thuriféraire 
nostalgique de l’autoproclamé Empereur Bokassa de Centrafrique, ex-président à 
vie de la RCA. Le principe directeur sur lequel le parlementaire fonde sa 
proposition est d’une simplicité limpide : aucun pays voisin de la RCA ne 
pratique la limitation des mandats ! Autrement dit, les mauvaises habitudes 
deviennent source de droit !
En ne mettant pas le holà à cette 
manœuvre, le président Touadéra se fait le complice, voire l’initiateur en 
sous-main de ce projet. 
Le voici frappé par la malédiction 
du 3ème mandat, comme bien d’autres présidents africains avant lui 
(2).
A cet égard, le projet du député 
Kakpayen manque d’ambition : il devrait proposer une présidence 
intemporelle, laquelle aurait permis à M. Touadéra de continuer, dans l’au-delà, 
à diriger la République centrafricaine et à entretenir son gynécée de neuf 
épouses et concubines, la tête ceint de l’auréole de l’Archange – non ! Pas 
Saint Michel, pour lequel le peuple a déjà donné du temps de Djotodia, mais 
l’autre, le Judas.
Bien entendu, comme l’Etat 
centrafricain n’a pas les moyens budgétaires et financiers d’organiser un 
référendum (3), pour respecter le parallélisme des formes avec la précédente 
constitution, le pouvoir va recourir à la voie parlementaire, où les votes à 
l’Assemblée nationale centrafricaine se font par acclamations, contre la remise 
d’une enveloppe individuelle d’un million de francs CFA 
(4).
Cette perspective provoque 
l’irritation des terroristes du CPC, adeptes compulsifs de la prise du pouvoir 
par la force, qui ont lancé un ultimatum au président Touadéra, l’invitant à 
quitter le pouvoir d’ici au 1er juillet 2022.
3 – Pour un Grand rassemblement 
démocratique et populaire !
L’opposition démocratique aurait 
cependant tort de s’en tenir à sa pratique coutumière des communiqués. A 
l’exemple du président du MEDEREC, Joseph Bendounga, qui en appelle … à la 
France et à la communauté internationale. Il lui faut relire le Batouala de René 
Maran !
Pour les autres leaders réunis au 
sein de la Coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), l’affaire est 
d’importance : il s’agit du lien de confiance qui lie le peuple souverain 
au  président de la République, 
lequel a fait le serment de respecter et défendre la constitution lors de son 
investiture et à travers son serment. 
Réviser l’article 35, c’est rompre 
ce lien de confiance, trahir le peuple et se parjurer. 
L’heure est donc venue d’un front 
uni et solidaire, loin des sempiternelles alliances de circonstance, à géométrie 
variable et à présidence tournante. L’opposition doit se réunir au sein d’un 
seul et vaste rassemblement démocratique et populaire qui aura pour missions 
de :
-          
exiger la 
dissolution de toutes les milices privées ;
-          
inviter 
tous leurs représentants au parlement à se démettre de leurs mandats 
respectifs ;
-          
récuser 
et dénoncer par avance tout contrat, convention, traité et tous actes bilatéraux 
ou internationaux engageant la RCA, signés par l’actuel pouvoir, qui seront nuls 
et de nul effet ;
-          
demander 
le départ de toutes les forces armées étrangères, en particulier celles de la 
MINUSCA dont le mandat arrive à échéance d’ici à la fin de l’année 
2022 ;
-          
prôner la 
désobéissance civile dès lors que le non-respect de la constitution par le chef 
de l’Etat dispense les citoyens de toute obéissance à la loi 
(5).
Pour éviter tout conflit et 
affrontement, trois autorités publiques ont la solution de cette crise entre 
leurs mains. Il s’agit des membres du Comité spécial, visé par l’article 47 de 
la constitution, composé de la présidente de la Cour constitutionnelle, du 
président de l’assemblée nationale et du premier ministre. Par trois lettres en 
termes identiques, elles peuvent reconnaître l’incapacité définitive du 
président Faustin-Archange Touadéra à assumer les fonctions conformément aux 
devoirs de sa charge. Les motifs ne manquent pas (6). 
Si elles ne le font pas, elles 
seront complices de son acte de forfaiture et devront en rendre compte quand 
l’heure de l’épuration sera venue. 
Je dis ça, je ne dis 
rien !
Paris, le 21 juin 
2022
Prosper INDO
Économiste,
Consultant 
international.
(1)   – L’article 153 de 
la constitution du 30 mars 2016 fixe la liste des dispositions exclues de toute 
révision.
(2)   – Les précédents 
présidents africains adeptes du troisième mandat ont pour nom : Téodoro 
Obiang Nguema Bassogo, Paul Biya, Denis Sassou-Nguesso, Faure Gnassingbé 
Eyadema, Ali Bongo, Alassane Ouattara, Paul Kagamé, Alpha Condé, ainsi que tous 
ceux qui les ont précédés dans la mort, Sessé Seko Mobutu, Jean-Bedel Bokassa, 
Omar Bongo, Mouammar Kadhafi, Idriss Deby, etc. 
(3)   – Déjà, le pouvoir 
n’a pas pu, faute de moyens, organiser les élections municipales qui devraient 
se tenir en septembre 2022, prélude aux élections des sénateurs, lesquels seront 
« élus » par les maires désignés par l’actuel 
gouvernement.
(4)   – Pour faire passer 
la réforme, on va l’habiller de différents artifices : création d’un poste 
de vice-président de la République ; interdiction aux citoyens binationaux 
de se porter candidats aux élections présidentielles et à différents postes 
ministériels ou fonctions dans la haute administration ; suppression de 
l’Agence nationale des élections ; etc.
(5)   – La constitution 
autorise en effet les citoyens à résister de manière pacifique à toute tentative 
de prise du pouvoir par coup d’état, rébellion, mutinerie ou par tout autre 
moyen non démocratique (art.29). On s’étonnera en l’occurrence de l’inertie du 
Procureur de la République de Bangui à ne pas ouvrir d’information judiciaire 
contre X pour les faits de menaces de mort, de menaces sous contrainte, de 
chantage et d’incitation à la haine raciale, tous crimes et délits proférés par 
les responsables de la milice Galaxie nationale !
(6) – Les motifs sont ceux répertoriés par l’article 124 qui constituent la haute trahison, parmi lesquels « la constitution ou l’entretien de milice ».