CENTRAFRIQUE - LENDEMAINS DE 
PUTSCH 
par Francis Laloupo, 
(le nouvel Afrique-Asie 
N° 164 - MAI 2003)
Après le coup d’Etat réussi du général François Bozizé qui a fait tomber 
Ange-Félix Patassé le 15 mars dernier, le nouveau pouvoir s’emploie à consolider 
la normalisation de tous les secteurs de la vie publique. Nouveau gouvernement, 
restauration d’une vie politique et sociale apaisée.…Un vaste programme pour une 
transition dont la durée demeure encore indéterminée.
Il y a un homme heureux sous le ciel de la capitale. Peut-être le plus comblé de 
tous : le professeur Abel Goumba, nommé Premier ministre le 31 mars dernier par 
le président autoproclamé François Bozizé. “C’est le couronnement de toute 
ma lutte, du long combat que j’ai mené depuis des années…” Rien moins que 
ça. L’opposant “historique” – au demeurant un vieil ami fidèle d’Afrique 
Asie –, l’homme qui a dit “non” à tous les pouvoirs successifs après avoir 
été le digne compagnon de Barthélemy Boganda, le père fondateur de la République 
centrafricaine, Abel Goumba, 76 ans, considère sa nomination à la tête d’un 
gouvernement issu du putsch du 15 mars dernier comme une consécration. Il est 
rare qu’ambition politique se satisfasse autant d’un poste, non électif, de 
Premier ministre. N’empêche. Selon lui, les événements du 15 mars ne peuvent, ne 
doivent pas être jugés sous le vocable de “coup d’Etat”, mais plutôt désignés 
pour ce qu’ils sont : “une libération du peuple centrafricain”. Par 
conséquent, Goumba se sent à la tête d’un gouvernement chargé de traduire dans 
les faits cet acte libérateur. 
Il faut reconnaître que le nouveau pouvoir a été bien inspiré de nommer à ce 
poste Abel Goumba, alias “Monsieur Propre”, le doyen de la politique 
centrafricaine, le seul peut-être, sur la scène politique du pays, à pouvoir 
susciter autour de sa personne une sorte de consensus et apporter aux 
putschistes une respectabilité, de même qu’une caution de “sagesse”. Toutefois, 
l’accès d’euphorie du bon professeur Goumba, aussi émouvant que candide, ne 
pourra masquer longtemps toutes les interrogations que suscite le putsch de 
Bozizé. Par exemple, on peut se demander si l’actuel maître de Bangui ne sera 
pas tenté dans un proche avenir de prendre pour prétexte l’état de délabrement 
extrême du pays après dix ans du régime Patassé, pour mettre l’ensemble de la 
classe politique devant un fait accompli : une transition prolongée, à durée 
indéterminée. Pour le nouveau pouvoir, une telle option pourrait calmer, un tant 
soit peu, l’impatience et l’ambition de nombre de leaders de partis qui ont déjà 
le regard rivé sur l’horizon d’une hypothétique élection présidentielle. 
Autre question : de quelle marge d’autonomie dispose ce pouvoir vis-à-vis de son 
voisin tchadien, qui a sponsorisé le coup d’Etat du 15 mars 2003 et est 
aujourd’hui le premier protecteur de la nouvelle structure du pouvoir 
centrafricain ? Quand on sait le prix payé sous d’autres cieux par ce type 
d’alliance – celle de feu Laurent-Désiré Kabila du Congo Kinshasa avec le Rwanda 
et ses conséquences –, la question se pose dès maintenant de savoir quels sont 
les dividendes attendus par le pouvoir tchadien de l’appui et de l’aide apportés 
à l’expédition militaire des hommes de Bozizé qui ont conduit à leur victoire 
contre Patassé. Enfin, aussi urgente que les précédentes, la question se pose 
pour les centrafricains de savoir dans quel délai, et par quelles voies, le 
nouveau gouvernement pourra satisfaire à leur attente, celle d’un mieux-vivre, 
afin de tourner le dos à la misère et à tous les ravages du règne de Patassé.
La mission du nouveau gouvernement de transition, selon les termes du président 
François Bozizé, relève du “sacerdoce”. En effet, indiquait-il à ses 
ministres lors du premier Conseil, le 3 avril dernier, “cette charge commune 
est une abnégation pour commencer à construire là où rien n’a été édifié… Un 
sacrifice consenti ensemble pour reconstruire ce qui a été détruit…” Et le 
chantier s’annonce gigantesque, consistant d’abord à nettoyer les écuries 
d’Augias – en détruisant notamment tous les avatars d’une corruption érigée en 
culture de gouvernement –, tout en s’attelant à d’autres travaux d’Hercule, à 
savoir, ainsi que le rappelle François Bozizé, “reconstruire l’école, la 
santé, l’économie, et ce dans un contexte de paix et de stabilité recouvrées”. 
Redonner également confiance aux Centrafricains et aux étrangers – on pense aux 
futurs investisseurs, indispensables pour relancer les pans ruinés de l’économie 
– en rétablissant un climat de sécurité, ce qui constitue une priorité pour le 
nouveau président et son équipe : “La sécurité des personnes et des biens, 
comme leur liberté d’aller et de venir, doit, avec une grande fermeté, être 
consolidée partout sur le territoire…” Ce n’est pas une mince affaire, 
quand on sait toutes les violences auxquelles ont été soumis le pays et les 
populations ces dernières années. Une violence d’ailleurs instrumentalisée par 
le régime déchu, et qui participait de sa structure de pouvoir. Il faudra, pour 
les Centrafricains, réapprendre à avoir confiance dans la rue, dans ses voisins, 
à ne plus s’inquiéter des moindres bruissements insolites que transporte le vent 
du soir. Réapprendre à aimer les siens avec confiance, retrouver les promesses 
des levers de soleil et ne plus ressentir la caresse des nuits d’ici comme 
porteuse de desseins hostiles…
Quelques signaux positifs ont été émis par les nouveaux maîtres de Bangui. La 
composition du gouvernement d’abord : tous les partis et sensibilités politiques 
y sont représentés – les leaders de ces partis sont tenus à l’écart de cette 
institution –, avec le souci d’associer l’ensemble des Centrafricains à l’œuvre 
de reconstruction, et aussi de se mettre en phase avec une population qui a 
massivement manifesté son soutien aux putschistes du 15 mars. Par ailleurs, pour 
la première fois dans ce pays, tous les ministres sont tenus, avant leur entrée 
en fonction, de déclarer l’état de leurs biens et patrimoine. Rappelant que 
“l’intégrité” doit désormais servir de valeur cardinale aux grands commis 
de l’Etat, le Premier ministre Abel Goumba – qui se soumet le premier à cette 
obligation – voudrait, avec une équipe “composée d’homme intègres, 
travailleurs et ayant le sens de l’Etat”, instruire une manière de 
“rupture culturelle” avec une époque où le Centrafrique était synonyme 
d’affairisme et de corruption. 
Mais on peut penser que le signal le plus fort émis par le nouveau pouvoir est 
d’avoir manifesté son désir de poursuivre le processus menant à un “dialogue 
national”, l’une des voies qui furent explorées pour résoudre la crise 
politique sous l’ancien régime. Alors que l’on croyait que ce dialogue national 
– à la fois Etats généraux de toutes les sensibilités politiques réunies et 
aussi catharsis nécessaire après dix années de crise – aurait fait long feu avec 
la prise de pouvoir par les armes intervenu le 15 mars, l’actuel numéro un 
centrafricain ravive cette solution de sortie de crise. Une .manière de 
reconnaître que son coup de force n’est qu’une étape, nécessaire mais pas 
suffisante, dans le long processus qui doit mener à la guérison de son pays. 
Après avoir été reçu le 2 avril dernier par le président Bozizé, l’archevêque 
Paulin Pomodimo, un temps pressenti – avant le coup d’Etat – comme coordonnateur 
pour la tenue du dialogue national, confiera que “le chef de l’Etat est 
conscient qu’il faudrait en passer par ce dialogue pour donner une dimension 
plus importante à l’œuvre de libération du peuple à laquelle il s’est attelé”. 
Et peut-être aussi pour apaiser toutes les frustrations latentes au sein d’une 
classe politique traversée par des ambitions aussi légitimes qu’impatientes. 
Un dialogue national pourrait également permettre à chacun des acteurs 
politiques de retrouver sa juste place aux yeux des siens, sur la scène 
politique. En effet, ces Etats généraux de la classe politique, qui pourraient 
se dérouler dans une atmosphère moins tendue que sous le règne de Patassé, 
agiraient comme un état des lieux, un espace de redéfinition des règles du jeu 
et des rapports de force réels, en prélude aux futures élections. Afin que les 
Centrafricains puissent choisir en toute liberté, et sereinement, leurs 
prochains dirigeants.…
Et que devient le président déchu Ange-Félix Patassé ? Après avoir passé 
quelques jours à Yaoundé, au Cameroun, où il trouva refuge au moment du coup 
d’Etat, il a choisi comme lieu d’exil le Togo, chez un ami de vieille date : le 
“Timonier” Gnassingbé Eyadéma qui aspire, pour sa part, à une présidence à vie à 
la tête de son pays… Depuis Lomé, la capitale togolaise, Patassé a eu une idée, 
originale comme il se doit : créer un “Mouvement de libération du Centrafrique”. 
Une nouvelle version d’Apocalypse now ? Pas de risque : juste un ultime 
délire. Solitaire… au grand soulagement des Centrafricains.
Le temps et l’effort
L’actuel pouvoir et celui qui lui succèdera seraient certainement bien inspirés 
de dire à leurs concitoyens la seule vérité qui vaille : il faudra du temps, 
beaucoup de temps… Car la facture laissée par le régime déchu est 
particulièrement lourde. Toute la structure économique ayant été réduite à celle 
d’un comptoir privé – pour les seuls intérêts de Patassé et ses ayants droit–, 
les obligations macroéconomiques ayant sans cesse été contournées, détournées ou 
simplement ignorées, la RCA est devenue un néant institutionnel, un espace 
sinistré hébergeant une population meurtrie et traumatisée. Il faudra du temps, 
des efforts collectifs colossaux et une application soutenue au service du bien 
public de la part des dirigeants pour faire renaître le Centrafrique et en faire 
le pays prospère qu’il aurait pu devenir depuis longtemps, les moyens et les 
ressources étant, pour cela, disponibles. Abel Goumba l’a compris, qui le dit et 
le répète : “Une seule solution : travailler, et encore travailler…”
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