L'exaspération à l'égard des Américains gagne Bagdad saccagée
BAGDAD (AFP), le 12 avril 2003 - 
"Est-ce cela l'Irak libre et démocratique ?", s'époumonne Salah Jamir, un 
habitant de la capitale irakienne, tandis que dans les rues saccagées, les 
Bagdadis en colère disent samedi leur exaspération à l'égard d'une armée 
américaine passive face au sac de leur ville.
Magasins barricadés, bâtiments noircis par le feu, amoncellement de détritus... 
un ouragan semble avoir frappé Chorja, un centre populaire et commerçant. Des 
passants tentent encore de récupérer des reliefs des pillages des jours 
derniers.
Plus loin, quelques fumées balaient le ciel, magasins et ministères finissent de 
se consumer.
"Tous les bâtiments ont brûlé, on est sans électricité, sans eau, pourquoi 
Bagdad reste-t-elle dans le noir, avec ces voleurs partout ? Les forces de la 
coalition sont responsables. Honte aux Etats-Unis!", dit un professeur qui 
refuse de donner son nom.
Très vite une foule se masse et les critiques fusent sur une armée indifférente 
au désordre.
"Ce pays est un bateau ivre sur une mer démontée, nous sommes sur le point de 
couler", dit Salah Jamir. "Nous sommes une ville ancienne, une ville d'Histoire, 
nous sommes pauvres mais on refuse de voir notre ville détruite", lance-t-il, 
alors que des tirs d'arme automatique éclatent, venus de commerces dont les 
propriétaires tentent de défendre leur bien.
"Les gens brûlent ce qu'ils croient être la propriété de Saddam, or c'est le 
bien du peuple", se désole Abdelhussein Hattab, un marchand de 48 ans, qui, 
faute de police dans les rues, place son espoir dans l'appel au calme lancé par 
les autorités religieuses.
Mais pour beaucoup, l'accalmie incombe aux Américains.
"Tout ça, ce n'est pas la liberté. Les Américains peuvent mettre un terme à nos 
malheurs. Nous ne sommes pas des voleurs, nous sommes des braves gens", plaide 
Safar Hussein Hazem, un bijoutier qui a pu mettre ses marchandises à l'abri. Lui 
accuse "les voyous", les prisonniers libérés en octobre après une amnistie 
proclamée par Saddam Hussein.
Mais il est vite contredit par un jeune homme, justement sorti de prison. "Je 
n'ai rien pillé. Dites-moi juste pourquoi les voleurs ne s'en prennent pas au 
ministère du Pétrole. Parce que des chars américains le protègent", dit Hussein 
Ali, 28 ans, au bras tatoué d'un "la meilleure, c'est maman".
Beaucoup, comme Abdelhussein Hattab, vont jusqu'à suggérer que les Américains 
ont activement contribué à la situation, assurant avoir vu un char détruire 
jeudi la porte de la Rafidain Bank dans le quartier de Jamila. Un autre, Amar 
el-Kaadi, affirme avoir vu des soldats encourager à entrer au siège du parti 
Baas de son quartier. "Ils veulent tout détruire pour donner du travail à leurs 
entreprises", accuse-t-il.
Si ces accusations sont impossibles à étayer, il reste qu'à aucun moment la 
présence de l'armée américaine n'a dissuadé les pillards.
"Si les Américains ne font rien ces prochaines semaines, nous les chasserons", 
crie Hassan Fahed. "L'Irak est une civilisation millénaire, les Etats-Unis eux 
ne sont rien", ajoute-t-il.
Derrière, un petit groupe commence à s'en prendre à une statue de Saddam.
"Je suis content de voir cette statue tomber", commente un homme, prénommé Sami. 
Mais aussitôt, il montre un papier, son diplôme d'anglais. "J'ai étudié, je n'ai 
jamais pu travailler, je n'ai rien acheté à mes filles depuis dix ans. Je suis 
triste, déçu de voir tout ça, alors que les Américains ont le pouvoir de ramener 
l'ordre".
Une colère partagée, tout près du monumental ministère du Pétrole, gardé tel 
Fort Knox par une armada de chars américains.
"Pourquoi ne pas permettre aux voleurs de s'en prendre à ce ministère?" demande 
Adnan Hazem, 54 ans. "Je suis contre Saddam mais Bush nous a menti. Je suis avec 
mon pays et j'ai peur de l'avenir."
 

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