| CONGO: A Kindamba, les oubliés du Pool tardent à réapparaître
          
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             ©  IRIN
 Kindamba |  KINDAMBA, le 6 septembre 2004 (IRIN) - Avant la série de 
        guerres civiles qui ont ravagé la République du Congo depuis 1993, le 
        département du Pool était connu comme le grenier du pays. Ses terres 
        fertiles fournissaient la capitale, Brazzaville, et le reste du pays en 
        produits maraîchers, et en bétail.
 Aujourd’hui, le Pool est une région dévastée, aux villages rasés, aux 
        champs brûlés, aux routes détruites, où la majeure partie de la 
        population a été déplacée par de violents combats entre l’armée, des 
        miliciens pro-gouvernementaux, et la milice locale des rebelles "ninjas".
 
 Toutes les parties au conflit se sont livrées à des exactions massives 
        contre la population civile.
 
 Malgré un cessez-le-feu signé le 17 mars 2003 entre le gouvernement et 
        les rebelles du Conseil National de la Résistance (CNR), la paix reste 
        élusive dans la région, où les habitants sont toujours en proie aux 
        violences de certains "ninjas". L’armée gouvernementale n’a, elle, 
        qu’une présence symbolique, dans cette région abandonnée des pouvoirs 
        publics.
 
 Un survol du Pool révèle une myriade de collines arides, qui encadrent 
        des vallons verdoyants couverts de forêts. Mais les rares villages sont 
        déserts. Les champs sont noirs à perte de vue, incendiés par les feux de 
        brousse qui font rage à la saison sèche, ou par la politique de terre 
        brûlée menée lors du conflit.
 
 Kindamba, une sous-préfecture en ruines
 
 Il y a dix ans, Kindamba était une des principales villes du Pool.
 
 Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un amas de ruines et de cendres, où les 
        rares bâtiments qui n’ont pas été rasés s’étalent sur un peu plus d’un 
        kilomètre d’un centre-ville envahi par une végétation sauvage.
 
 L’infrastructure de Kindamba a été systématiquement détruite. Il y a 
        bien longtemps que toute électricité a été coupée. Les lignes de 
        téléphone, qui étaient nombreuses avant les combats, ne sont plus qu’un 
        lointain souvenir dont témoignent quelques poteaux tordus et calcinés, 
        desquels aucun fil ne pend. Aucun opérateur de téléphone sans fil ne 
        couvre la région, privant la population de toute communication avec 
        l’extérieur.
 
 A l’image du reste du département du Pool, Kindamba est une ville 
        hermétiquement enclavée. Les routes qui y conduisent ne sont plus que 
        des traces de pistes, où seuls des véhicules tout terrain peuvent 
        circuler.
 
 
 
          
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            | Le pont de la route de Vinza |  Le pont qui mène à la route de Vinza, fief de la rébellion du Conseil 
        National de la Résistance du Pasteur Ntoumi, n’est plus qu’un agglomérat 
        de planches bancales. Les autres axes de transports sont dans un état 
        similaire.
 Le marché de Kindamba a été détruit lors des affrontements entre milices 
        gouvernementales "Cobras", et "ninjas" du CNR. Aujourd’hui, quelques 
        stands de bois abritent de maigres piles de tomates, quelques petits 
        quartiers de poisson séché, un peu de savon et du vin de palme en 
        dame-jeanne. Le commerce n’a pas repris. Les autorités ont fermé 
        l’unique boucherie du marché, afin de tenter de freiner le vol 
        systématique du bétail par des miliciens armés.
 
 
 
          
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            | Marché de Kindamba |  L’approvisionnement en produits de base depuis la capitale ne 
        parvient que rarement à la région. Seuls quatre à cinq camions tentent 
        chaque semaine un aller-retour à Brazzaville. Ils ne sont plus chargés 
        que de bananes encore vertes, qui arriveront mures à la capitale, au 
        terme des trois jours de transport nécessaires en moyenne pour parcourir 
        quelques 66 km de route. Mais le transport des rares marchandises 
        revient très cher, à cause des innombrables barrages des rebelles, qui 
        extorquent une taxe de passage aux commerçants.
 Le supermarché de Kindamba, qui faisait autrefois sa fierté, a depuis 
        été entièrement rasé, ne laissant apparaître que des restes de 
        fondations couverts d’une mauvaise herbe qui pousse sur le terreau 
        carbonisé.
 
 
 
          
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            | Les ruines de l’ancien supermarché |  Les différentes écoles et internats de Kindamba ont également été 
        pris pour cible lors des affrontements. La mission catholique est 
        maintenant abandonnée, ses bâtiments pilonnés. Les salles de classe sont 
        constellées d’impacts de tirs d’armes automatiques et ses puits sont 
        comblés. A Kindamba, comme dans le reste du Pool, aucun enfant n’a été 
        scolarisé depuis 1993.
 Réfugiés en foret
 
 Avant les combats, Kindamba comptait environ 16 000 habitants. Adrien 
        Batantou était alors responsable du laboratoire d’analyses de l’hôpital. 
        Il estime que seuls 2 000 à 3 000 des habitants sont revenus, en se 
        basant sur le nombre de consultations dispensées depuis que l’ONG 
        médicale Médecins sans Frontières (MSF) a commencé à réhabiliter 
        l’hôpital en octobre 2003.
 
 
 
          
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            | Patients à l’hôpital |  La plupart des habitants ont fui les attaques, abandonnant tout pour 
        chercher refuge dans les forêts avoisinantes. Les plus chanceux ont 
        réussi à rejoindre des parents dans la capitale. 
 Par trois fois, Batantou a, lui aussi, dû fuir, et cacher sa famille 
        dans les bois pendant plusieurs mois. Ils ont survécu dans des huttes de 
        paille improvisées, qui ne protégeaient pas de la pluie: "nous arrivions 
        parfois à manger, grâce a Dieu et à la nature, quelques poissons de 
        rivière, et des feuilles de manioc que les mamans préparaient la nuit, 
        sans quoi le feu attirait les milices qui nous attaquaient", dit-il.
 
 Les civils ont été systématiquement ciblés par toutes les parties au 
        conflit. "Il fallait rester constamment en mouvement. On se cachait 
        séparément de jour, pour ne pas être pris tous d’un coup, puis on se 
        rassemblait la nuit, pour dormir quelques heures ensemble", 
        explique-t-il. Personne ne sait combien de civils ont été exécutés, 
        combien de femmes et d’enfants violés. Mais au plus fort des combats, la 
        ville entière était désertée. C’est pourquoi, aujourd’hui, il n’y a plus 
        d’animaux à Kindamba, excepté quelques maigres et rares poulets.
 
 
 
 Pendant ce temps, Kindamba était systématiquement pillée, d’abord par 
        les soldats du gouvernement et leurs miliciens "Cobras", puis par les "ninjas". 
        "Ils ont pillé tout l’équipement de l’hôpital, même les trois 
        microscopes du laboratoire, et les réactifs chimiques pour les analyses. 
        Bien sur, ils les jetaient ensuite, parce qu’ils ne savaient pas s’en 
        servir" affirme Batantou.
 
 Les habitations ont également été pillées, puis incendiées, pour la 
        plupart. "Ils ont tout pris, même les assiettes et les toitures en 
        tôle", ajoute-t-il.
 
 
 
          
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            | Une maison en ruines |  A la fin de l’année 2003, le Comité International de la Croix Rouge 
        (CICR) a ouvert une mission de distribution de non-vivres essentiels à 
        Kindamba. Les 5 000 kits contiennent notamment des nattes, des 
        couvertures, des pagnes, des ustensiles de cuisine, et des semences 
        maraîchères, attestant de l’état de destitution dans lequel se trouvent 
        les habitants. Etant donné le délabrement des routes, le transport du 
        matériel a été effectué par avion, pour un moindre coût.
 Urgences médicales
 
 A son arrivée à Kindamba en Octobre, MSF a constaté un taux de 
        malnutrition exceptionnel, particulièrement chez les enfants, ainsi 
        qu’une prévalence endémique du paludisme.
 
 L’ONG a restauré l’hôpital, dont il ne restait que quelques sommiers 
        rouillés, suite aux pillages. Le service médical a procédé à plus 17 000 
        consultations de décembre à mai 2004.
 
 La maternité a également rouvert ses portes. Selon une source médicale 
        qui n’a pas souhaité être nommée, par peur de représailles, de 
        nombreuses mères sont mortes en couche pendant le conflit, suite à des 
        viols par des hommes en armes, ainsi qu’aux traumatismes des combats. 
        "Les coups de feu et les bruits de l’artillerie provoquaient beaucoup de 
        fausses couches spontanées et d’accouchements prématurés", 
        explique-t-elle.
 
 La responsable de la maternité est connue de tous sous le nom de "Maman 
        la sage", une sage-femme qui est restée a Kindamba pendant les 
        hostilités. Pendant les hostilités, elle fermait la maternité à 16 
        heures, au lieu de 18 heures en temps normal, afin d’éviter que les 
        patientes ne soient violées en rentrant chez elles de nuit. Au plus fort 
        des combats, d’avril à juillet 2002, elle ne sortait plus de chez elle, 
        mais accueillait toujours à son domicile les femmes venues accoucher, 
        explique-t-elle.
 
 MSF a également rouvert le laboratoire d’analyses, essentiel au 
        dépistage du paludisme, qui fait encore des ravages dans cette région 
        tropicale.
 
 Le dispensaire ne désemplit pas, accueillant des patients qui font 
        jusqu’à 50 km de marche pour atteindre l’hôpital. Norbert Makila a ainsi 
        accompagné sa femme depuis leur domicile, à 15 km de Kindamba: "nous 
        sommes partis hier soir à minuit, parce que ma femme était souffrante. 
        Nous sommes arrivés à 8 heures ce matin, et ma femme est en consultation 
        en ce moment", explique-t-il.
 
 Le chemin doit être fait à pied, parce que les camions ne passent plus 
        sur ces routes trop endommagées. "Le seul trafic qui passe, ce sont les 
        "ninjas", et ils ne rendent service à personne", dit-il.
 
 Ni paix ni guerre
 
 Les rebelles "ninjas" sont en principe sous la direction du Pasteur 
        Ntoumi, qui dirige le CNR, et dont le fief se situe au nord du Pool, 
        dans la ville de Vinza, à une vingtaine de kilomètres de Kindamba. Ils 
        sont aisément reconnaissables à leurs tuniques et écharpes violettes, et 
        leur coiffure en dreadlocks.
 
 Mais en pratique, les agressions et menaces fréquentes dont les 
        humanitaires font l’objet, ainsi que l’extorsion systématique à 
        l’encontre des habitants, font douter de la cohésion du mouvement 
        rebelle.
 
 Les autorités et les "ninjas" disent s’être mis d’accord pour que 
        personne ne porte d’armes dans Kindamba. Pourtant, la consigne n’est pas 
        unanimement suivie, et de jeunes "ninjas" se promènent parfois en arme 
        dans la ville. Un de ces groupes a refusé de parler à IRIN, alléguant 
        que "vous allez nous faire passer pour des bandits".
 
 
 
 Monsieur Mouzital est le représentant attitré du mouvement à Kindamba. 
        Selon lui, rien de concret n’a été entrepris pour reconstruire la 
        région, depuis la signature d’un accord de paix entre les rebelles et le 
        gouvernement le 17 mars 2003. Il regrette ce qu’il perçoit comme le 
        désintérêt du gouvernement à Brazzaville, ainsi que des Nations Unies: 
        "personne ne nous aide parce que nous n’avons pas de pétrole. Si la 
        guerre avait lieu à Pointe Noire [principal site d’exploitation 
        pétrolière du Congo], tout serait maintenant réglé", dit-il.
 
 Bien qu’il n’y ait pas eu d’affrontements majeurs depuis le début de 
        l’année, Mouzital estime que tout peut reprendre d’un moment à l’autre. 
        "Je garde quatre armes sous mon lit", précise-t-il en indiquant sa 
        maison d’un hochement de tête.
 
 Quelques représentants de l’armée gouvernementale sont également 
        présents à Kindamba. Leur présence est plus symbolique que stratégique. 
        Ils sont relevés tous les trois mois, par un hélicoptère en provenance 
        de Brazzaville. En attendant, ils tuent le temps en discutant 
        paisiblement avec de jeunes "ninjas", non loin des bureaux improvisés du 
        sous-préfet de Kindamba, dans une ancienne salle de consultation de 
        l’hôpital.
 
 Le sous-préfet, Jean de Dieu M’Boukou, estime que la situation est 
        relativement calme ces derniers mois, excepté quelques incidents qu’il 
        attribue plus volontiers à l’oisiveté de jeunes hommes armés qu’à des 
        revendications politiques ou militaires.
 
 
 
          
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            | Vendeurs de bananes attendant le camion pour 
            Brazzaville |  Mais il partage le constat des habitants: "avant, la région vivait de 
        bétail et cultures, mais maintenant il n’y a plus rien". Le sous-préfet 
        aimerait relancer un embryon de système judiciaire, mais il dit manquer 
        de moyens. Il affirme lui aussi que le premier problème de Kindamba, 
        c’est l’enclavement dû à l’état des routes: "il est très difficile 
        d’acheminer nos produits, faire du commerce est devenu impossible".
 Bientôt, avec l’arrivée de la saison des pluies en septembre, les 
        quelques pistes du Pool seront rapidement embourbées. Et l’enclavement 
        de Kindamba sera alors irrémédiable.
 © IRIN
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