Tribune
Par Chloé Maurel – 
IRIS France, 5 octobre 2015
Journée 
internationale des droits des autochtones - Chaque année, 
le 9 août, se déroule la journée internationale du droit des autochtones, avec 
des événements organisés à travers le monde, y compris au Siège des Nations 
unies à New York. Cette année, 2016, le thème sera: le droit des peuples à 
l'éducation

Il y a un an, en 
août 2014, s’est tenu à Ottawa (Canada) le Forum social des peuples, 
rassemblement d’esprit altermondialiste visant à promouvoir les « peuples 
autochtones ». Maoris, Quechuas, Aymaras, Kanaks... Ces peuples sont nombreux 
dans le monde : on dénombre aujourd’hui 370 à 400 millions d’autochtones dans 90 
Etats, même si un flou continue de régner sur la définition de ces termes. La 
question des droits spécifiques à accorder à ces groupes a fait l’objet de 
revendications croissantes de ces peuples eux-mêmes depuis les années 1940. Ils 
luttent aujourd’hui contre la confiscation de leurs terres ancestrales ou contre 
les modifications à leur environnement (ainsi les Indiens du Brésil ont lutté, 
sans succès, contre la construction du barrage de Belo Monte en pleine forêt 
amazonienne), et pour la reconnaissance de leurs cultures.
L’affirmation 
actuelle de ces peuples est le résultat d’une longue lutte. Dès 1946, ces 
peuples se sont manifestés à l’ONU : les peuples autochtones d’Amérique ont 
envoyé des pétitions à la Commission des droits de l’homme de l’ONU chaque année 
depuis sa création, et, en 1948, la Bolivie a proposé à l’ONU la création d’une 
sous-commission spécifique et l’étude des problèmes des populations autochtones, 
mais cela n’a pas abouti.
Au sein des Nations unies, seule l’OIT a agi 
dès les années 1950 en faveur de ces populations : en 1957 elle a adopté la 
convention n°107 sur les populations indigènes et tribales. Cette convention 
voit les peuples indigènes comme des paysans exploités économiquement et 
souligne qu’ils doivent être intégrés dans l’économie moderne. Ce texte 
constitue une première tentative de codification des obligations internationales 
des États en ce qui concerne les populations indigènes et tribales. Toute une 
gamme de thèmes sont couverts, tels que les droits aux terres, le recrutement et 
les conditions d’emploi, la formation professionnelle, l’artisanat et 
l’industrie rurale, la sécurité sociale et la santé, l’éducation et les moyens 
de communication. Ratifiée par 27 pays, cette convention présente une approche 
intégrationniste, assimilationniste, c’est-à-dire visant à l’intégration des 
autochtones dans l’ensemble de la société nationale ; cette approche reflète le 
discours sur le développement alors en vigueur à l’époque à laquelle elle a été 
adoptée.
Puis, au fil des années suivantes, l’approche de la convention 
n° 107 a été remise en question. Un comité d’experts, convoqué en 1986 par 
l'OIT, a conclu que « l'approche intégrationniste de la convention était 
obsolète et que sa mise en œuvre était préjudiciable dans le monde actuel ». 
Cela a conduit à la révision de la convention et à son remplacement par une 
autre convention en 1989.
En 1971, l’ONU a décidé d’effectuer une étude 
approfondie sur les peuples autochtones, confiée à l’Equatorien José Ricardo 
Martinez Cobo. En 1983, après douze ans de travail, cette importante Etude du 
problème de la discrimination contre les populations autochtones, est publiée, 
dans le cadre du groupe de travail sur les populations indigènes (GTPA) qui 
vient alors d’être créé à l’ONU. Le rapport Cobo s’affirme pour 
l’auto-détermination des peuples autochtones et conclut aussi que ces peuples 
ont un droit inaliénable à leur territoire et peuvent réclamer des terres qui 
leur ont été prises. Le GTPA devient un forum recueillant les plaintes de 
peuples autochtones.
Parallèlement, les peuples autochtones eux-mêmes 
continuent à faire entendre plus distinctement leur voix sur la scène 
internationale : en 1974 est ainsi créé le Conseil mondial des peuples indigènes 
(World Council of Indigenous Peoples, WCIP) sous l'impulsion notamment du chef 
amérindien George Manuel. Les réclamations du WCIP poussent l'ONU à accueillir 
une conférence en 1977 sur la discrimination contre les populations indigènes 
aux Amériques.
A partir des années 1990, l’ONU intensifie son action : 
1993 est déclarée « Année internationale du peuple autochtone ». En 1994, la 
journée du 9 août est proclamée « Journée internationale des populations 
autochtones ». En 2000-2002 est créée à New York au sein de l’ONU une « Instance 
permanente sur les questions autochtones » (UNPFII). Cette instance, où les 
experts autochtones siègent à parité avec les experts nommés par les 
gouvernements, examine les questions autochtones ayant trait au développement 
économique et social, à la culture, à l’éducation, à l’environnement, à la santé 
et aux droits de l’homme. En outre, l’ONU organise de 1994 à 2005 la « première 
décennie internationale du peuple autochtone mondial », suivie d’une deuxième 
décennie du peuple autochtone mondial lancée en 2005.
Enfin, en 2007, 
l’Assemblée générale de l’ONU adopte la « Déclaration sur les droits des peuples 
autochtones ». C’est une victoire pour ces peuples. Un des principaux acquis de 
cette déclaration, qui résulte de plus de vingt ans de travail, est qu’elle 
énonce aussi bien des droits individuels que collectifs, et qu’elle reconnaît le 
droit de ces peuples à l’auto-détermination, c’est-à-dire l’autonomie pour les 
affaires intérieures et locales. C’est le point qui a suscité le plus de 
controverses.
En Afrique, la notion de peuples autochtones et la 
Déclaration de 2007 ont suscité initialement beaucoup de réticences : les pays 
d’Afrique, regroupés dans le groupe africain aux Nations unies, ont menacé de 
saboter tout le travail de mise en place de la Déclaration. Finalement, en 
septembre 2007, lors du vote, ils se sont ralliés à la 
Déclaration.
Ainsi, en septembre 2007, la Déclaration a été adoptée à 
l’ONU à la majorité de 143 voix contre 4 ; les quatre pays ayant voté contre 
sont les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces quatre 
pays se sont d’ailleurs après coup, en 2009-2010, ralliés à cette Déclaration 
comme instrument non légalement contraignant. La Bolivie a été le premier pays à 
approuver la Déclaration et à la traduire au niveau national en une loi, sous 
l’impulsion de son président, Evo Morales, lui-même d’origine 
autochtone.
La Déclaration de 2007 contient des acquis considérables : 
elle reconnaît le droit des autochtones à l’autodétermination, leur droit à être 
autonomes et à s’administrer eux-mêmes (art. 3 et 4) ; leur « droit de maintenir 
et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales 
et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, 
de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale, culturelle de 
l’Etat » (art. 5) ; leur « droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de 
destruction de leur culture » (art. 8) ; leur « droit d’appartenir à une 
communauté ou une nation autochtone » (art. 9) ; leur « droit d’établir et de 
contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires, où l’enseignement 
est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes 
culturelles d’enseignement et d’apprentissage », et en même temps leur « droit 
d’accéder à tous les niveaux et à toutes les formes d’enseignement public, sans 
discrimination aucune » (art. 14) ; leur « droit d’établir leurs propres médias 
dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de médias non 
autochtones sans discrimination aucune » (art. 16), leur « droit de conserver et 
de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux 
» (art. 20), leur « droit à leur pharmacopée traditionnelle » (art. 24), leur « 
droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent 
traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis » (art. 26). Ainsi la 
Déclaration leur accorde beaucoup de droits spécifiques, elle permet à la fois 
leur autonomie et leur intégration dans la société nationale. En revanche elle 
est hésitante sur leur droit à récupérer les objets et productions de leur 
patrimoine, qui leur ont souvent été enlevés par les colonisateurs.
La 
question des autochtones a soulevé beaucoup de controverses terminologiques : 
devait-on dire « indigènes » ou « autochtones » ? « Populations » ou « peuples » 
? Devait-on employer le pluriel ou le singulier ? Pouvait-on assimiler les 
peuples autochtones aux minorités ? Le mot « peuple », employé finalement de 
préférence à « populations » dans la version française de la Déclaration de 
2007, est beaucoup plus fort que le mot « population ». Et, toujours en 
français, le choix du mot « autochtones » de préférence à « indigènes » 
s’explique par le caractère péjoratif que pouvait avoir le terme « indigènes », 
employé à l’époque de la colonisation. Enfin, le pluriel a été préféré au 
singulier, et il a été décidé de ne pas accompagner la Déclaration d’une liste 
précise de peuples, laissant les autochtones décider eux-mêmes de leur 
identification.
Si la Déclaration de 2007 apparaît comme une grande 
avancée, une de ses faiblesses est son absence de force contraignante en droit 
international ; il s'agit de soft law. En outre, certains éléments dans cette 
déclaration sont controversés et ne sont pas approuvés par tous les Etats : 
c’est le cas notamment de la reconnaissance de droits collectifs aux 
autochtones. Ainsi, si la France soutient officiellement la Déclaration, elle ne 
reconnaît pas à ce jour le principe de droits collectifs à ses autochtones 
(comme les Amérindiens de Guyane), pour cela il faudrait modifier l'article 1 de 
la Constitution sur l'égalité des citoyens, qui ne reconnaît que les droits 
individuels.
La question des peuples autochtones est complexe car elle 
implique un changement de conception, avec l’idée de reconnaître des droits 
spécifiques, et notamment des droits collectifs pour les peuples autochtones, ce 
qui est une remise en cause de l’unité et de l’indivisibilité de l’Etat. C’est 
dans cette direction que va la Déclaration de 2007. Mais continuer dans ce sens 
n’aboutirait-il pas à scinder les Etats et à ouvrir la voie à une multiplication 
de demandes de droits spécifiques de la part des différents groupes qui 
constituent chaque Etat (par région d’origine, par religions, etc.) ? L’enjeu 
pour la communauté internationale est certes d’être attentive à ce que soient 
respectés les droits des peuples autochtones, notamment de veiller à ce que 
leurs terres ne leur soient pas confisquées, tout en s’assurant de ne pas 
permettre des régressions en faisant primer par exemple les coutumes 
traditionnelles avant les droits universels de l’homme, ou en encourageant les 
autochtones à se replier sur leur communauté, ce qui pourrait favoriser les 
communautarismes et donc les tensions entre groupes au sein des Etats. Ne 
faudrait-il pas s’attacher, plutôt que de donner des droits spécifiques aux 
autochtones, de donner à tous les citoyens, autochtones inclus, des droits 
politiques, économiques, sociaux et culturels élargis ? Une véritable démocratie 
sociale pour tous, et non pas des droits à la carte selon le groupe 
d’appartenance ?