Réponse
du Parti ARECA à la tribune de Maître Sando Wang You Avocat à la Cour d’appel de
Paris, Avocat à la CPI sur la légalité constitutionnelle du pouvoir constituant
de l’Assemblée Nationale Centrafricaine.
Cher
Maître,
Nous
avons parcouru avec beaucoup d’intérêts votre tribune sur le débat qui se fait
aujourd’hui dans la classe politique sur l’éventualité de modifier ou pas la dernière constitution de notre pays à
savoir celle du 30 Mars 2016 dans la perspective de la prorogation du mandat du
Président de la République au-delà de la durée
constitutionnelle.
En
tant qu’acteur politique, nous ne pouvons pas rester sans réagir à cette tribune
pour, à la fois apporter notre contribution aux débats, et surtout marquer notre
différence d’approche à votre initiative comme nous vous l’avons dit de vives
voix lors de notre échange téléphonique.
Nous
vous savons gré de nous avoir
encouragé à vous faire notre réplique quand bien même nous avons des points de vue divergents
et espérons que d’autres apporteront leurs contributions au débat sur la
modification de la constitution telle que vous défendez avec fortes proses
juridiques.
Pour
rentrer dans le vif du sujet, nous constatons malheureusement que les différents
régimes dans notre pays ont toujours tenté ou initier des modifications
constitutionnelles à l’approche des
élections soit pour solliciter un troisième mandat, soit pour proroger leur
mandat sous quelque motif que ce soit. Malheureusement, ils trouveront toujours
des personnes dans la classe politique ou ailleurs qui prêteront flan à leurs
démarches.
En
tant qu’imminent juriste
centrafricain connaissant les graves problèmes qui se posent à notre pays et
qui ont amené le Constituant à opter pour un parlement bicaméral, vous aurez dû
avoir une approche globale de la situation du pays dans votre démarche pour ne
pas privilégier pratiquement que l’aspect juridique dans votre
analyse.
La
situation qui prévaut au pays ne relève que l’aspect juridique uniquement
conférant à la prorogation du mandat du Chef de l’Etat du fait de la propagation
de la pandémie du Coronavirus à travers la planète entière appelant à des
mesures appropriées suivant les pays pour chercher des solutions spécifiques à
leurs cas.
Notre
pays tente difficilement de sortir d’une crise qu’on ne trouve pas ailleurs dans
les nombreux cas pris en exemple pour appuyer votre démarche ou comme le font
déjà certains.
L’analyse
globale selon nous doit s’appuyer sur la réflexion sur les situations
socio-politiques, sécuritaires, humanitaires, la bonne gouvernance etc. qui
prévalent dans notre pays à la veille des élections.
Ne
pas en tenir compte fait courir à notre pays des lendemains difficiles quel que
soit le vainqueur des élections qui ne seront pas crédibles et transparentes
dans le contexte actuel.
La
cause profonde des maux qui gangrènent notre pays et qui sont à l’origine des
crises à répétition qu’il vit est la mauvaise gouvernance. Et ce n’est pas faire
injure aux différents régimes qui se sont succédés ces dernières années quand un
de leur principal pilier qu’on peut qualifier de
lanceur d’alerte a eu le courage politique de dénoncer la mauvaise
gouvernance dont nous nous passons du détail et qui est à l’origine des crises
que nous connaissons.
Ne
pas faire un tel diagnostic contribue à maintenir notre pays dans la crise, car
les mauvaises pratiques se perpétueront toujours faute de garde-fou. Ce lanceur
d’alerte souhaite contribuer à sa manière pour que nos autorités retrouvent le
droit chemin et renoncent aux mauvaises pratiques qu’il dénonce avec force
détail qui le fera rentrer peut être dans l’histoire un
jour.
Nous
savons tous comment les votes se font à l’Assemblée chez nous. Prétendre qu’elle seule peut légiférer à
la place d’un parlement à deux chambres, c’est se moquer des constituants qui
ont longuement médité sur les inconvénients du monocarisme pour proposer un
parlement à deux chambres.
Il
y a aussi lieu d’objecter que le Présidente de l’ANE qui n’est pas encore érigée
de manière formelle en Institution et que le Pouvoir tient mordicus à son
maintien, a déclaré que les élections seront prêtes à la fin de l’année.
Si
tel est le cas, la modification de la constitution pour proroger le mandat des
députés et du Chef de l’Etat est prématurée et inopportune. Mieux vaut laisser
le temps au temps, et c’est lorsqu’à l’approche des élections et si c’est
nécessaire, c’est en ce moment-là que la modification de la constitution pourra
être envisagée.
Eu
égard à ce contexte particulier de la Centrafrique, la comparaison avec beaucoup
d’autres pays qui ont envisagé la modification de la constitution ne sied
pas.
Notre
pays a trop souffert des crises. La nouvelle constitution tente d’y remédier en
mettant en place des nouvelles
institutions pour promouvoir la bonne gouvernance et la sécurité juridique en
préconisant un parlement bicaméral.
Il
est fait obligation au nouveau Chef de l’Etat quel qu’il soit de mettre en place
les nouvelles institutions dans un délai de 12 mois à compter de sa prestation
de serment sous peine de poursuite devant la Cour de justice pour haute
trahison.
Cela
démontrait à quel point les
Constituants ont voulu mettre la pression sur le nouveau Chef de l’Etat quel
qu’il était de respecter les obligations qui lui incombaient de la constitution.
Contrairement
à votre analyse, ce n’est pas une démarche personnifiée ici car on ne pouvait
savoir qui allait devenir Chef de l’Etat quand la constitution a été rédigée
sous le régime de la transition.
Vu
les difficultés qui pouvaient se faire jour, les constituants ont différé la
mise en place du sénat la deuxième chambre du parlement jusqu’à l’organisation
des élections municipales et régionales vu que les sénateurs sont élus par un
vote indirect des Conseilleurs régionaux et municipaux.
Dans
une note de la Présidente de Cour Constitutionnelle elle-même en mai 2016, elle
stipulait que la mise en place du Sénat devrait intervenir au plus tard le 31
décembre 2019. Ce qui laissait largement le temps à l’Exécutif d’organiser les
élections sénatoriales comme le prévoit la constitution.
Notre
pays dans une situation post conflit a beaucoup bénéficié d’attentions de la
communauté internationale ce qu’il ne faut pas oublier. Outre les interventions des Nations unies à
travers la MUNISCA pour pallier à l’insécurité, le pays a reçu des appuis
budgétaires de tous genres pour soulager les finances publiques. L’afflux
des dons et subventions dépasse de
loin ce qu’aucun régime n’a reçu auparavant dans ce pays.
L’aide
internationale a représenté 43% du budget de la RCA en 2020. Cela témoigne de la
volonté de la communauté internationale à nous aider pour nous sortir de
l’ornière. Il appartenait donc à nos autorités de faire le reste pour ne pas
toujours tout attendre de la communauté internationale.
Elles
auraient dû provisionner le budget des élections depuis la prise de pouvoir du
nouveau régime pour montrer le bon exemple. Malgré que la nouvelle constitution
impose un parlement à deux chambres, le pays fait un bond en arrière en
ressuscitant un parlement monocaméral proscrit par la constitution du 30 mars
2016 pour les raisons que nous avons expliquées ci-avant.
Négliger
la mise en place du Senat créé la situation de blocage que le pays connait
aujourd’hui. Pourquoi ne pas alors utiliser la voie référendaire, l’autre
possibilité qu’offre la constitution pour toute modification de la loi
fondamentale. C’est aussi un problème de coût, nous dira-t-on.
Le
Gouvernement a trop prêché en eaux troubles. L’exécutif est entièrement
responsable du blocage actuel. Une porte de sortie à travers un compromis
politique est toujours préférable à un passage en force qui ne fera que créer le
fossé entre la classe politique.
Notre
démarche en tant que nouveau venu sur l’échiquier politique n’est pas de
s’aligner dans un camp contre un autre autant que faire se peut. Persévérer dans
une option chacun de son côté ne peut que conduire au
clash.
Nous
avons préconisé dans notre première tribune sur la crise actuelle une solution
de sortie qui passait par un compromis politique à travers le maintien en place
des garants des institutions issues
du suffrage universel à savoir le Président de la République et les Députés.
Seul
le Gouvernement qui n’a pas su conduire le processus électoral devrait être
remplacé par un autre plus
consensuel à l’effet de préparer les élections avec à sa tête une
personnalité neutre choisie par consensus par la classe
politique.
L’exécutif
tente actuellement de régulariser la situation de l’ANE qui se trouve dans
l’insécurité juridique car aucune loi organique qui fonde son organisation n’a
été promulguée.
A
supposer que la modification constitutionnelle passe, ce qui parait difficile au
regard du strict respect de la constitution, quelle ANE va piloter les
opérations électorales ? Celle relevant de la loi du 13 novembre 2013 où
l’ANE n’était qu’un organe technique et administratif ou celle qui relève de
l‘article 143 de la nouvelle constitution du 30 Mars 2016 qui érige l’ANE en
tant qu’institution et dont la loi organique peine à voir le
jour ?
Un
nouveau code électoral a été promulgué en août 2019, le mandat de l’ANE dans sa
forme actuelle prend fin le 23 décembre 2020 soit 4 jours avant le premier tour
des élections groupées. Que
fera-t-on dans ce cas ?
Maître,
voilà toutes ces situations qui nous gênent en tant que nouveau parti politique
qui allons aux élections pour la première fois et ne souhaitons pas nous trouver
dans des élections bâclées où comme dit le lanceur d’alerte les points sont
distribués selon les vœux du pouvoir faisant abstractions des programmes et
propositions que chaque parti peut produire pendant sa campagne pour avoir
l’adhésion des électeurs pour instaurer une bonne gouvernance dans notre pays.
Chaque
pays a sa spécificité, on peut difficilement se référer à des modèles d’ailleurs
sans voir notre propre contexte. Le Benin abondamment cité en exemple de
démocratie en Afrique ne peut l’être aujourd’hui. Que des juristes béninois
appuient la démarche de la modification constitutionnelle en Centrafrique fait
sourire pays qui ne peut être une référence en matière de démocratie vu que le
tripatouillage de la loi fondamentale renvoi ce pays à l’antipode des systèmes
qui faisait honneur à l’Afrique.
En
tout état de cause, sans ce consensus politique que nous appelons de nos vœux,
le blocage sera total dans notre pays ce qui ne peut que augurer des lendemains
sombres après les élections.
Maitre,
comme tout le monde le sait, vous êtes un grand juriste, mettez votre talent au
service du peuple. Notre pays a besoin de vous.
Bien
cordialement Bertrand KEMBA
Président
de l’ARECA
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NDLR : Cf.
ci-joint :