Eléments d'information et une approche pour comprendre la crise actuelle

 

A peine deux jours après la formation du gouvernement Dologuélé II; le MLPC (parti au pouvoir) et ses alliés rendent publique une Note à l'attention du Chef de l'Etat. C'est une véritable déclaration de guerre contre le Premier Ministre et, au-delà de ce dernier, le Président de la République Ange-Félix PATASSE, réélu le 19 septembre 1999.

 

Eléments d'information et une approche pour comprendre une crise annoncée...

1) Bien avant le 19/09/99, le Président Patassé et son parti ont annoncé qu'après leur victoire ils entendaient gouverner uniquement avec leurs alliés de la mouvance présidentielle. Pas question d'ouverture à l'opposition. Plus de consensus - << Consensus, consensus, consensus, tout le temps consensus! C'est fini maintenant! >>, avait déjà dit le Chef de l'Etat, en novembre 1988 à la veille des élections législatives.

2) Après la proclamation du résultat de l'élection présidentielle le 2 octobre 1999, le Conseil de Sécurité fait savoir qu'il souhaite un gouvernement de large ouverture. Ce message est relayé par le Président gabonais Omar Bongo. Pour l'ONU et le Club des Amis de la RCA, les tensions post-électorales justifient qu'on reste dans le cadre des Accords de Bangui (1997) et du Pacte de Réconciliation Nationale (1998) .

3) Mais le gouvernement formé le 1er novembre ne répond ni à l'une ni à l'autre de ces deux demandes contradictoires :

a) Ce n'est pas un gouvernement de large ouverture : en dehors de M. Jean-Baptiste NOUNGANGA, du PSD (Eaux, Forêts, Chasse et Pêche), aucun parti d'opposition n'est représenté. M. Jean-Bruno VICKOS (Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies) a été désavoué par son parti, le PUN (Parti de l'Unité Nationale), de Jean-Paul NGOUPANDE), qui a engagé une procédure d'exclusion à son encontre.

Le Chef de l'Etat et le Premier Ministre ayant préféré une opération de débauchages individuels au lieu de la recherche d'un accord politique avec les Partis d'opposition, tous à l'exception du partis Social Démocrate d'Enoch Dérand LAKOUE, ont demandé à leurs adhérents de rester en dehors de ce gouvernement.

b) ce n'est pas non plus un gouvernement du MLPC et ses alliés. Le Parti présidentiel dit ne représenter que 17% de l'équipe, composée, d'après lui, de quelques proches (familiaux et ethniques) du Président, et surtout des amis personnels du Premier Ministre.

Le MLPC reproche au Premier Ministre Anicet Georges DOLOGUELE de l'avoir en fait écarté des affaires. Pour le MLPC, M. Dologuélé a placé un grand nombre de ses propres amis : le <<clan de Bordeaux >> (ses anciens amis de l'époque où il était étudiant à Bordeaux), le <<clan des Finances>> (ses collaborateurs quand il était ministre des Finances), et quelques copains de la société civile. Le Premier Ministre est accusé de se positionner pour l'après-Patassé, en mettant ses propres hommes aux postes clés et en écartant les leaders historiques du MLPC.

 

4) Pour qui connaît les relations de plus en plus tendues entre le Président Patassé et les dirigeants du MLPC, c'est le Chef de l'Etat qui est principalement visé.

a) En janvier 1999, certains caciques du MLPC avaient en privé approuvé les critiques de l'opposition contre la nomination de M. Dologuélé comme <<Premier Ministre ethnique>>. Le Chef de l'Etat, le Premier Ministre, le Président et le premier Vice-Président de l'Assemblée Nationale appartiennent au même clan familial.

La crise couvait donc depuis plusieurs mois.

b) Le gros de la base ethnique du MLPC est constitué de Gbayas et de Mandjas. Ces derniers se sentent de plus en plus écartés des rouages essentiels du pouvoir.

L'ancien Ministre des Mines, Serge Wafio, député de Bossangoa, a entrepris de mobiliser les députés et les cadres Gbayas pour obtenir la nomination d'un premier Ministre gbaya . Le lendemain de la formation du gouvernement, soit le mardi 2 novembre 1999, il a tenté d'organiser une marche des gbayas et des mandjas du 4e arrondissement de Bangui pour protester auprès de M. Patassé. Il y a renoncé devant le refus des mandjas de se joindre à la manifestation (il y a un contentieux Gbaya-Mandja dans cet arrondissement, suite à l'élection de Mme marie Wafio comme député en décembre 1998).

c) Dès le 2 novembre 1999, la jonction entre les deux clans de mécontents MLPC s'organise.

Voici les principaux clans :
- les dirigeants <<historiques>> : Dobozendi (1er Vice-Président, ancien Président de l'Assemblée Nationale), Koyambonou (2e Vice-président, ancien Premier Ministre), Tchendo (Secrétaire Général), Dobanga, Mazette (ancien Ministre des Travaux Publics);
- le clan Gbaya, le plus mobilisé et le plus déterminé : Wafio et Aguéné (ancien Ministre);
- le clan de mandjas : Dogo Nenjé Bhé (ancien Ministre, qui représentait M. Patassé au sein de la Commission Electorale Mixte Indépendante), Dotté Bade-Kara, Langou Abraham et Anne-Marie Ngouyombo (tous anciens ministres);
- le clan des Saras exclus de la Présidence : Marcel Loudégué (ancien SG de la Présidence) et Martial Beti-Marace (ex Directeur de Cabinet);
- à ces clans proprement MLPC, il convient d'ajouter les autres composantes de la mouvance présidentielle, notamment le Parti Libéral Démocrate de Nestor Kombot-Naguémon.

 

La situation est d'autant plus grave que le Premier Ministre doit faire sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée Nationale avant la fin de ce mois de novembre. Or, les dissidents appellent déjà les députés MLPC et ses alliés à censurer le gouvernement Dologuélé. Couteau à double tranchant.

L'opposition qui n'a pas été associée à la formation de ce gouvernement, ne semble pas disposer à le soutenir. Le risque de renversement du gouvernement est donc réel.

Le Président allume des contre-feux : nomination de l'ancien Premier Ministre Gbézera Bria (Gbaya de Bossangoa comme Wafio) au poste de Ministre d'Etat chargé des affaires présidentielles pour tenter de calmer les Gbayas, également mécontent de la situation de Madame Lucienne Patassé, la 1 ère épouse du Chef de l'Etat, leur parente, qui'ils estiment abandonnée au profit de la togolaise.;

Le Président Patassé et son Premier Ministre, en choisissant de marginaliser les partis, se sont mis dans cette situation. On a du mal à comprendre la démarche, quand on sait que la crise centrafricaine est d'abord politique, sur fond de clivages ethniques très marqués, comme l'a prouvé le résultat de l'élection présidentielle.

La réaction des partis, y compris le MLPC et ses alliés, était prévisibles. Pour terminer ce tour d'horizon rapide, nous citons un passage tiré de la position du Président du PUN à la suite de sa rencontre avec Anicet Dologuélé le 27 octobre intervenue avant la composition du gouvernement : << On peut faire un gouvernement sans les partis, mais on ne peut pas le faire contre les partis >>.

 

En attendant, c'est l'incertitude totale. Comme un malheur n'arrive jamais seul : la République Centrafricaine vit sous des pluies diluviennes. Elle connaît des inondations jamais vues il y a longtemps; on dénombre des milliers de sans abris à Bangui, dans La Lobaye, dans le Nord-Est. Le célèbre pont de l'Ombella a été endommagé. Les abords des routes récemment bitumées ont été laminés par les fortes eaux tombées.

A suivre...

 

(1999) Victor Bissengué
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