La Côte d'Ivoire s'enfonce
dans la crise, Paris envoie des renforts
par Clar Ni Chonghaile
ABIDJAN (AP), 22 sept 2002 22:10 - Quatre jours
après le début de la tentative de coup d'Etat, la Côte d'Ivoire s'enfonçait dimanche
dans l'instabilité. Désormais quasiment coupé en deux, confronté à sa pire crise
depuis l'indépendance, le pays se prépare à l'affrontement entre le régime du
président Laurent Gbagbo et les rebelles, tandis que des renforts militaires sont
arrivés de Paris, chargés d'assurer la protection de l'importante communauté
française.
Dans la soirée, des tirs ont été entendus à Bouaké, la deuxième ville du pays (350km
au nord d'Abidjan), contrôlée par les mutins. Mais on ignorait si ces tirs annonçaient
le début d'une offensive de l'armée régulière pour reprendre la ville. Tôt dans la
matinée, des tirs avaient déjà éclaté à Bouaké.
«Tout le monde est rentré chez soi. Les tirs ont commencé il y a environ une
demi-heure, et on entend des tirs tous les quarts d'heure», a rapporté vers 21h un
habitant, qui n'a souhaité donner que son prénom, Lamine.
Auparavant, un gendarme, ayant requis l'anonymat, avait précisé que les forces
gouvernementales se dirigeaient vers Bouaké mais qu'elles progressaient lentement pour
éviter d'être repérées et pour vérifier que la route n'était pas minée.
Dans la journée, ils étaient en tout cas des milliers à défiler à Bouaké, fêtant
les mutins et dénonçant le régime du président Laurent Gbagbo, qui aurait selon les
rebelles recruté des mercenaires angolais pour «tuer des nordistes».
Le Premier ministre Affi Nguessan a réaffirmé une nouvelle fois que l'offensive contre
les mutins était imminente, tandis que le bilan officiel depuis le début du
soulèvement, jeudi, faisait état d'au moins 270 morts et 300 blessés.
Plus au nord, Korogho, bastion de l'opposition et fief d'Alassane Dramane Ouattara
-principal opposant, réfugié à l'ambassade de France de peur d'être considéré comme
l'instigateur du coup d'Etat-, était calme.
Les mutins y affirment contrôler tout le nord. «Nous sommes armés jusqu'aux dents»,
lançait un commandant rebelle, nom de guerre «Samsara-110». Selon lui, les mutins,
équipés d'armes lourdes, sont un millier à Bouaké, 780 à Korhogo, et d'autres encore
attendent leur heure, cachés à Abidjan.
De sources burkinabé, les rebelles auraient pris de petites localités dans le Nord, dont
Katiola, Ferkessedougou et Ouangolodougou, près de la frontière, sécurisant les
aéroports pour éviter que les gouvernementaux n'y dépêchent des renforts. Une
affirmation impossible à confirmer de source indépendante.
Car le fossé ethnique entre le Nord musulman et le Sud et l'Ouest chrétiens s'est
irrémédiablement creusé, et l'on craint désormais un conflit majeur, susceptible de
déborder les frontières de la Côte d'Ivoire. Le Burkina Faso, le Mali, le Liberia,
trois pays frontaliers, sont sur les dents.
Dimanche matin, une centaine de soldats français sont arrivés à Abidjan, venus
renforcer, avec des hélicoptères et autres capacités aéromobiles, le contingent sur
place, le 43e BIMA (Bataillon d'infanterie de marine), qui compte 560 hommes. Et ce
officiellement afin d'assurer la sécurité des quelque 20.000 ressortissants français et
de la communauté internationale, notamment l'importante communauté libanaise. Selon
l'ambassade de France, tout est prêt désormais pour évacuer les Français de Bouaké,
si besoin est.
Pas question en tout cas d'intervenir à la rescousse d'Abidjan, qui dément avoir
demandé l'activation des accords d'assistance militaire liant la Côte d'Ivoire à la
France en cas d'attaque étrangère. La ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie
parle d'un «principe de précaution», et dit espérer que le conflit se résoudra par la
négociation.
Depuis jeudi, le régime d'Abidjan ne cesse de durcir ses propos contre l'étranger, sans
le nommer. Premier visé semble-t-il, le Burkina Faso, avec lequel les relations sont
toujours tendues, fréquemment accusé par Abidjan de soutenir des forces dissidentes.
Toussaint Alain, conseiller du président Gbagbo à Paris, a réaffirmé dimanche à
l'Associated Press connaître «les identités et les soutiens des pseudo-mutins et des
pseudo-rebelles», «qui ne sont que des chiens de guerre, des mercenaires (...) payés
par l'étranger», soutenus par des «Etats voyous qui veulent jouer les gendarmes alors
qu'ils ont été incapables d'instaurer un régime démocratique». Ces forces
disposeraient de «matériel étranger» et seraient approvisionnées «par des moyens
aériens».
Au milieu de ces accusations, Toussaint Alain affirme que les étrangers ne sont pas
visés. Mais à Abidjan, la colère des loyalistes semble s'être déchaînée contre eux:
les bidonvilles où vivent les immigrés burkinabés ou originaires d'autres pays
musulmans ont été incendiés. La Croix-rouge et d'autres ONG cherchaient des
hébergements de fortune pour près de 4.000 personnes ayant tout perdu dans ces
violences.
Mutinerie de militaires en côte d'Ivoire ou remake du coup d'Etat de 1999 ?