La Côte d'Ivoire coupée en deux : Abidjan contrôlé par le pouvoir central, et le nord (Bouaké, Korhogo) par les rebelles


Abidjan contrôlé par le pouvoir, Bouaké et Korhogo par les rebelles

ABIDJAN (AFP), samedi 21 septembre 2002, 15h06 - Au troisième jour de la tentative de coup d'Etat en Côte d'Ivoire, Abidjan semblait sous le contrôle des forces loyalistes, alors que Bouaké et Korhogo, deux grandes villes de l'intérieur du pays, étaient toujours tenues par les rebelles.

Le ministre ivoirien de la Défense, Moïse Lida Kouassi, a annoncé que l'armée gouvernementale allait attaquer ce samedi les rebelles qui tiennent Bouaké, seconde ville du pays.

Selon des sources concordantes, une colonne de véhicules blindés conduite par des militaires de haut rang, a quitté Abidjan en direction de Bouaké. Il était impossible de savoir l'importance exacte de ces renforts qui devraient se regrouper d'abord à Yamoussoukro, capitale administrative du pays, avant de continuer vers Bouaké.

"Nous allons engager une bataille féroce. Notre objectif est de libérer le pays quoi qu'il en coûte. Quand nos hommes commenceront, ils ne s'arrêteront pas", a affirmé M. Lida Kouassi, qui a cependant reconnu que les rebelles disposaient d'armement lourd, sans en préciser la nature.

M. Lida Kouassi avait annoncé vendredi une attaque sur Bouaké, à environ 400 km au nord d'Abidjan, mais celle-ci n'avait pas eu lieu. Il n'est pas à exclure, selon certaines sources, que ce délai s'explique par le fait que les rebelles soient plus organisés et équipés qu'on pouvait le penser au départ.

Selon des habitants de Bouaké, joints samedi par téléphone, la nuit a été calme, hormis quelques rafales d'armes automatiques. Dans la matinée la ville était tranquille. Selon divers témoignages directs, des rebelles ont pris dans la rue, notamment à la gare routière de Bouaké, de nombreux jeunes pour les enrôler de force et leur ont donné des treillis ainsi que des armes.

"Je lance un SOS à notre président. Il faut négocier. Nous qui sommes à Bouaké, nous avons maintenant peur pour notre vie", a déclaré Timothé K., un père de famille de deux enfants. "Nous commençons à manquer de nourriture, de médicaments. Les rangs des mutins ne cessent de grossir. Pour l'instant ils sont corrects mais on a peur de ce qui peut arriver quand ils seront attaqués", a-t-il ajouté.

Plus au nord, la ville de Korhogo (400 km au nord d'Abidjan), tenue par les rebelles depuis jeudi, était également calme samedi matin. Seules quelques rafales d'armes automatiques ont été entendues dans la nuit.

Les mutins qui tiennent Korhogo ont mis en garde, samedi, le gouvernement ivoirien contre une riposte aux conséquences "dramatiques". "Nous sommes sereins. Ce que cela va donner comme conséquences, le gouvernement ivoirien va l'assumer", a déclaré l'adjudant-chef Prosper Kouadio, qui se présente comme "responsable des mutins". Le militaire n'a pas voulu révéler combien de rebelles tenaient la ville, et n'a donné aucune précision sur l'armement dont ils disposent.

Interrogé sur son évaluation de la situation générale, M. Lida Kouassi, tout en déclarant qu'Abidjan était calme, a employé le terme de "statu quo".

Pour sa part, le président Laurent Gbagbo, rentré précipitamment vendredi d'Italie, s'est montré très ferme en insinuant de possibles appuis étrangers. Le chef de l'Etat a notamment évoqué les armes lourdes utilisées par les rebelles, "nouvelles pour la plupart, dont ne dispose pas notre armée".

"Pourquoi montrer du doigt d'autres pays quand il s'agit d'un soulèvement? Avec 700 hommes on peut bien le faire sans soutien extérieur", a déclaré l'adjudant-chef Kouadio.

Le président Gbagbo a annoncé que "dans quelques jours" il invitera "toute la population à un grand rassemblement pour montrer que les démocrates et les républicains sont debout. Parce que dans ce pays il faut qu'on sache une fois pour toute qui est qui et qui veut quoi".


Côte d'Ivoire: Gbagbo promet aux rebelles une guerre totale 
Par Matthew Tostevin

ABIDJAN (Reuters), samedi 21 septembre 2002, 8h01 - Le président ivoirien Laurent Gbagbo a promis vendredi soir une guerre totale à ses ennemis et des échanges de tirs se sont fait entendre cette nuit dans la deuxième ville du pays, Bouaké, où les rebelles ont promis de résister aux loyalistes.

La crise a pris une dimension régionale lorsque des responsables ont révélé que les rebelles recevaient des renforts d'un pays voisin et que les forces de sécurité avaient commencé à brûler des maisons d'immigrés du Burkina Faso voisin à la recherche des auteurs présumés du coup d'Etat.

Gbagbo a livré un discours de combat après être revenu précipitamment de Rome, où il a annulé une entrevue avec le pape Jean Paul II. Les rebelles n'ont pas réussi à prendre Abidjan, la principale ville du pays, mais ont établi des positions dans le nord.

"L'heure du patriotisme a sonné, l'heure du courage sonné, l'heure de la bataille a sonné. On nous impose une bataille et nous la mènerons", a-t-il déclaré vendredi soir à la télévision nationale, ajoutant que si quelqu'un se présentait avec une épée, il sortirait la sienne.

Les troubles font craindre un conflit majeur dans le premier producteur mondial de cacao, qui compte plus de 16 millions d'habitants. Jusqu'au coup d'Etat de 1999, le pays était un havre de stabilité dans une région meurtrie par des guerres comme celles du Liberia et de la Sierra Leone.

"Ce sont ceux qui sont au pouvoir qui veulent la guerre civile, pas nous", a déclaré un commandant rebelle à Reuters à Bouaké, tombée aux mains des rebelles depuis les attaques bien coordonnées lancées jeudi avant l'aube.

Les rebelles disent être 775 soldats protestant contre leur retraite injuste de l'armée.

Le gouvernement les accuse d'essayer de prendre le pouvoir par un coup d'Etat fomenté par l'ancien chef de junte Robert Guet, abattu par des forces loyalistes à Abidjan jeudi. Guet avait été chassé du pouvoir en 2000 à la suite d'une élection qu'il avait essayé de truquer.

 

ECHANGES DE TIRS A BOUAKE

Des habitants de Bouaké, située à 350 km au nord d'Abidjan, ont déclaré avoir entendu des échanges de tirs pendant plusieurs heures cette nuit.

Mais ils estiment qu'il s'agissait d'une attaque menée par les rebelles contre des loyalistes retranchés dans un camp de commandos plutôt que de l'assaut massif promis par le gouvernement après l'expiration de son ultimatum.

"Nous avons l'intention de faire le siège de Bouaké. Nous ne partirons pas d'ici sans livrer combat", a déclaré le commandant rebelle.

Les Ivoiriens ont repris timidement le travail vendredi à Abidjan où des tirs isolés se sont faits entendre. Des flammes embrasaient dans la nuit des maisons dans le quartier principalement habité par des immigrés.

Des millions d'immigrés, originaires pour la plupart du Burkina Faso, jouent un rôle vital dans la culture du cacao en Côte d'Ivoire, mais sont de plus en plus harcelés depuis quelques années.

La question de l'immigration est très liée à la polarisation politique de la Côte d'Ivoire entre le nord musulman du leader d'opposition Enlaçante Ouatera et le sud et l'ouest à majorité chrétienne, d'où Gbagbo est originaire.

Ouatera, interdit par la justice de participer aux élections parce qu'on le soupçonnait d'être de nationalité burkinabée, s'est réfugié à l'ambassade de France. L'ancienne puissance coloniale a 560 soldats stationnés à Abidjan. Le gouvernement ivoirien a fait savoir qu'Ouatera n'était pas visé.

Les relations déjà tendues avec le Burkina Faso risquent de se détériorer encore, le gouvernement ayant déclaré que les rebelles bénéficiaient de renforts d'un pays voisin. La Côte d'Ivoire accuse depuis longtemps Ouagadougou d'abriter des troupes dissidentes.

Gbagbo a ajouté que les rebelles semblaient avoir préparé leur assaut à l'aide d'armes lourdes provenant de l'étranger, mais sans préciser de quel pays.

Le Burkina Faso, qui a déclaré vendredi regretter les troubles en Côte d'Ivoire, a intensifié ses mesures de sécurité à la frontière et à l'intérieur du pays.

Gbagbo a annoncé qu'il appellerait à une manifestation dans les prochains jours pour que tout le monde puisse se révéler.

"Dans ce pays, il faut qu'on sache qui est qui et qui veut quoi", a-t-il déclaré. "Et il faudrait qu'on ait d'un côté ceux qui sont pour la démocratie et la république et (de l'autre) ceux qui sont contre la démocratie et la république et que la bataille s'engage".


Mutinerie de militaires en côte d'Ivoire ou remake du coup d'Etat de 1999 ?