Discours de Mme SAMBA-PANZA Catherine(*)
À l'occasion du lancement officiel du rapport d'enquête d'Amnesty International sur la République centrafricaine
"REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE - REFUGIES EN FUITE, DISCRIMINATION ETHNIQUE ET COUPABLES IMPUNIS"

Paris, le 12 juin 2002

Les crises centrafricaines sont fondamentalement politiques. Elles résultent de la lutte effrénée pour la conquête, l'exercice et le partage du pouvoir.
C'est pourquoi, elles ne peuvent être réglées par la force des armes.
Il faut redonner au peuple centrafricain une raison de vivre, dans sa diversité culturelle et ethnique.

 

La société civile centrafricaine, dans son ensemble, et les ONG de promotion de défense des droits de l'Homme de la République centrafricaine, en particulier, partagent l'ensemble des préoccupations exprimées par Amnesty International.

Ces ONG ont conscience que la R.C.A. est devenue depuis quelques années une zone particulièrement instable du continent. Dévastée par des crises à répétition, elle est le théâtre de toutes sortes de violences.

Les mutineries à répétition, le coup d'Etat manqué du 28 mai 2001 et les événements de novembre ont mis à mal l'unité nationale et ont brisé la paix des esprits.

Ces divers événements ont occasionné des pertes en vie humaine, de nombreux déplacements des populations, des violations des droits humains, la destruction des biens publics et privés et mis en péril le tissu économique du pays déjà bien fragile.

Ces conflits incessants ont généralement pour origine : les luttes pour la conquête et l'exercice du pouvoir, la mauvaise gouvernance, la corruption, l'injustice sociale, l'intolérance ethnique et politique, le refus du jeu démocratique, la pauvreté, la violation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'impunité, etc.

Ils compromettent bien entendu les efforts de développement du pays.

S'ils ont entraîné l'instabilité politique et une aggravation de la pauvreté, ils ont surtout instauré un contexte d'insécurité et développé des instincts tribalistes au sein des populations.

Nous avons tous vécu ces moments difficiles et en connaissons les conséquences dramatiques.

Mais les femmes et les enfants ont particulièrement souffert des conséquences de cette situation.

Ces conflits armés, cette instabilité politique, ont infligé des souffrances spécifiques aux femmes et aux enfants ; les adolescentes et les jeunes femmes ont été particulièrement vulnérables dans ces circonstances.

Il est impossible d'illustrer toute l'ampleur de la terreur et de la frayeur constante qui ont envahi la vie quotidienne d'une partie de la population du fait de sa seule appartenance ethnique.

Les conséquences de ces conflits sur la population en général reste un sujet de vive préoccupation pour la société civile centrafricaine et les organisations locales de défense des droits de l'Homme.

La population centrafricaine dans son ensemble aspire à la réalisation de ce droit fondamental de la personne humaine qu'est le droit à un monde en paix.

Des efforts ont été faits par tous et surtout par la communauté internationale pour que la R.C.A. retrouve une situation socio-politique normale, faite de paix et de concorde.

Mais la paix rétablie demeure cependant précaire. La crise est toujours latente et la R.C.A. éprouve d'énormes difficultés à décoller.

La construction de la paix et de la réconciliation nationale exige une série de mesures structurelles de nature politique, économique, juridique, militaire, humanitaire et éducative.

Mais la gestion maladroite de ces diverses crises n'a pas réuni les conditions nécessaires pour l'instauration d'une paix durable.

Des solutions urgentes, concertées et consensuelles, doivent être recherchées afin d'instaurer une paix durable et permettre un décollage réel de la vie politique, économique, sociale et culturelle de la R.C.A.

Au lendemain du putsch, la société civile a condamné sans ambiguïté la tentative du coup d'Etat.

Elle n'a pas manqué de condamner avec fermeté les exactions commises de part et d'autre par les forces belligérantes.

Elle a interpellé les autorités nationales sur la nécessité d'arrêter les exactions commises contre les innocents.

Elle a déploré les dérapages et dérives tribales qui ont suivi, telles que les exécutions sommaires, les pillages, les destructions délibérées des biens, le déplacement des milliers de personnes.

Après l'institution de la Commission mixte d'enquête judiciaire, elle a dénoncé les graves violations des libertés fondamentales commises par ladite commission : les arrestations désordonnées sur la base de dénonciations, le non-respect des délais de garde à vue, les violations des libertés d'aller et venir, etc.

Elle déplore enfin l'impunité garantie aux auteurs identifiés de ces exactions qui n'ont été ni interpellés ni inquiétés.

Quelle est la situation actuelle ?

Les représailles qui ont suivi la tentative du coup d'Etat ont causé un véritable traumatisme au sein de la population centrafricaine.

La peur reste vivace dans les esprits.

Les gens n'osent prendre aucune initiative, qui serait dangereuse pour leur sécurité.

L'insécurité garantie aux auteurs des exactions n'est pas de nature à rassurer les personnes désireuses de revenir.

Pourtant, l'on enregistre le retour d'un certain nombre de réfugiés, militaires ou civils.

La population est absente des débats et décisions. Elle subit les événements.

La société civile, quant elle, essaie de sensibiliser les acteurs politiques sur la précarité de la paix et sur la nécessité de rechercher des solutions consensuelles à la crise centrafricaine.

Elle a mis en exergue la responsabilité de la classe politique centrafricaine, toutes confondues, dans les difficultés rencontrées par le pays.

Elle a dénoncé le manque de sincérité dans les tentatives de réconciliation nationale.

Elle prône, à travers des campagnes d'information et d'éducation civique, la tolérance, la fraternité, la justice, les respects d'autrui, des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, conditions indispensables pour aboutir à une paix durable.

 

Elle appelle les autorités centrafricaines à :

a.. Favoriser la réconciliation nationale, en instaurant un véritable dialogue avec l'ensemble de la classe politique et la société civile en vue d'apporter des solutions pacifiques à la crise centrafricaine et établir les bases d'une paix durable ;

b.. Porter une attention particulière à la situation des réfugiés afin de favoriser leur retour dans des conditions de parfaite sécurité ;

c.. Prendre en compte la situation de ceux qui reviennent ;

d.. Lutter par tous les moyens contre l'impunité en réprimant toutes les atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales.

 

Nous pensons quant à nous que les crises centrafricaines sont fondamentalement politiques. Elles résultent de la lutte effrénée pour la conquête, l'exercice et le partage du pouvoir.

C'est pourquoi, elles ne peuvent être réglées par la force des armes.

Il faut redonner au peuple centrafricain une raison de vivre, dans sa diversité culturelle et ethnique.

Pour cela, les Centrafricains, au plus haut niveau doivent être capables de se rencontrer, de se concerter et de discuter sereinement des affaires du pays, dans l'intérêt supérieur de la population.

Ils doivent rechercher ensemble les voies et moyens de sortir leur pays de l'impasse dans laquelle elle se trouve.

Il importe tout autant d'essayer de prévenir les conflits que d'y porter remède.

Et cela n'est possible que par :

a.. Une volonté politique affirmée ;

b.. La confiance mutuelle ;

c.. Le dialogue et la concertation permanente ;

d.. La tolérance et l'esprit de compromis ;

e.. Le respect des engagements pris ;

f.. Le renforcement du processus démocratique ;

g.. Le refus de l'impunité ;

h.. Une gestion participative des affaires publiques.

Je vous remercie !

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(*) Mme Catherine SAMBA-PANZA est Vice-présidente de l'Ong centrafricaine :
Association des Femmes juristes de Centrafrique. - A.F.J.C. - Siège social : Rue de Navarre - B.P. n° 1695 Bangui - Centrafrique


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